Venice Beach, 1983. La plage brille par son activité diurne incessante. Un microcosme urbain donnant au lieu un air de parc d’attractions pour touristes en recherche d’éclectisme. Haut en couleur par sa diversité et son avant-gardisme, le lieu marque la frontière nette entre deux mondes sauvages : l’océan et l’urbanisme.
Une espèce de paradis à ciel ouvert, diraient certains, mais c’est occulter qu’à la tombée de la nuit, le vernis s’effrite complètement pour laisser place à l’enfer de la drogue. Hus « Freeway » Kingpin, caché dans les ruelles adjacentes le jour, en devient le seigneur des ténèbres la nuit, propageant sans culpabilité son vice : la cocaïne.
Originaire de Long Island, Hus traîne une solide réputation dans le milieu, épaulé par ses partenaires de crime Rozewood et Smoovth. Le marché de la coke étant arrivé à saturation dans son coin d’origine par la mainmise de Roc Marciano, menacé d’un côté par les frères Griselda, Westside Gunn et Conway, et de l’autre par Vic Spencer, c’est avec le chimiste de ce dernier, Big Ghost Ltd qu’il s’exile sur la côte ouest, territoire encore vierge de ce type de drogue. Très vite, il quitte l’ombre glauque des ceintures d’autoroute pour le sable fin des plages de Venice Beach. En transformant la cocaïne en crack bien plus addictif et source de marge plus importante, les deux partenaires deviennent l’épicentre de la vente de drogue, c’est l’époque de la Cocaine Beach.
Presque 35 ans après, Hus Kingpin et et Big Ghost décident de poser leurs mémoires, non pas sur papier mais sur une galette en 11 pistes, histoire de rappeler une époque où le crack a failli détruire toute une génération d’américains. Loin de se sentir coupables, les deux protagonistes rappellent que c’était juste du business, une histoire de l’offre et de la demande au bon moment au bon endroit qui les a rendus multimillionnaires La cocaïne, hier producteur et vendeur de cette dose, aujourd’hui producteur et vendeur de rap music sur cette dose.
Cette audiobiographie vient donc se positionner dans un marché déjà ultra saturé par la concurrence de l’époque pour réaliser encore une fois le hold-up parfait. Ce projet est-il aussi addictif que leur dope ? Cocaïne Beach est clairement un produit chimico-musical de qualité, mais il ne peut se vanter d’avoir un effet aussi addictif que leur crack à base de coke nicaraguayenne. L’ensemble du prochain tape fort dans ce gangster smooth jeu, mais une fois redescendu, on a l’impression d’avoir déjà vécu le même trip narcoleptique. Loin d’être mauvais, Cocaïne Beach a même vocation d’égaler le Rosebudd’s Revenge de Roc Marciano, mais souffre autant que son concurrent d’une certaine redondance.
Si Big Ghost Ltd a bien réussi sa reconversion dans le beatmaking, il souffre d’une touche trop générique qui, ici, surprend moins que sur sa collaboration avec Vic Spencer. L’enchaînement « Carlos Lehder », « Coke Casa », « Wave Star » et « Cocaine City » est assez magistral sur la forme, mais sur le fond, ne fait pas évoluer le genre là où les portés disparus Arch Druids avaient réussi à faire évoluer leur style sur presque une décennie. A l’image de « Serotonin High », Big Ghost bénéficie réellement d’une oreille musicale, mais manque d’une certaine pertinence dans son approche sur les manettes, se faisant éclipser par les scratches de DJ Q-Bert.
Concernant Hus Kingpin, il possède sur cet album les qualités et les défauts qu’on lui connaissait : un spit qui manque de relief, pour ne pas dire de personnalité, et des lyrics plutôt bien foutus, l’album n’échappe pas à ce constat. On pourra lui reprocher la sur-utilisation des « wave », « wavy » et « wave lord » et toute extension possible avec ce mot. Mais un bon rappeur s’apprécie à sa capacité à maîtriser son sujet mais aussi ses invités, afin de ne pas finir sur une daube informe d’empilage de tracks appelée communément compilation ou projet. Ici, Hus Kingpin croise le mic avec de vraies pointures comme Milano Constantine, Vic Spencer ou encore Planet Asia sans concéder un block de son territoire. Reste tout de même une interrogation dans cette liste de narcotrafiquants du micro, que fait Vinnie Paz ici ? Et surtout, qui l’a autorisé à poser un verse aussi pété sur la meilleure instru à sa portée depuis 5 ans ? Parfois la drogue est trop pure pour la logique…
Cocaine Beach reste un témoignage important de cette période, tout en nous rappelant que si la beuh c’est cool, le crack c’est mieux. Malgré tout, entre des productions parfois trop clean et du contenu certes attrayant, mais ennuyeux, cette collaboration ne dépasse pas le premier palier d’addiction que l’on peut attendre d’une drogue chimique à la Barksdale. La dope est bonne entre les deux protagonistes, mais ne résiste pas à la comparaison d’autres produits comme ceux d’Hus Kingpin avec Chuck Stranger ou de Big Ghost avec Vic Spencer.
La première dose est gratuite, c’est sur ce lien.
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