Parce qu’il figure sans conteste parmi les albums cruciaux ayant contribué à mettre la Drill de Chicago sur la carte du rap US et ayant donné au genre ses lettres de noblesse, nous sommes revenus sur Finally Rich de Chief Keef, sorti le 18 décembre 2012.
Comme une fonction dérivée, en plus lugubre, de l’univers trap jailli des profondeurs d’Atlanta, dont la courbe tendrait vers l’infini, Chief Keef s’est élancé dans l’espace pour raconter la violence qui règne dans les rues chaudes de Chicago. Finally Rich est à l’image de cette expédition pionnière sur Trappist-1, une étoile naine ultra-froide située à 39 années-lumière de chez nous, tout juste découverte il y a quelques semaines par la NASA mais arpentée depuis bien longtemps par le Chief.
A bien des égards, l’étoile semble être la représentation cosmique des projects qui ont enfanté le prince de la Drill. D’abord, avec la pesanteur des basses et la lenteur des flows, la température est la même dans la zone où Sosa dealait son premier gramme qu’à la surface de Trappist-1 – 2200°C – dans une ville où le nombre d’homicides a explosé depuis 2011. Ensuite, la relative « fraîcheur » de cette mesure par rapport à la plupart des autres astres (par exemple 5500 °C pour le Soleil) trouve son pendant sonore dans la griffe Young Chop, principal producteur de l’album. Avec ses snares polaires et disloquées qui vous imbibent de sueurs froides, il cadence la chronique de ces morts annoncées. Enfin, à l’instar des réseaux établis entre la rue et les tours, lesquelles abritent un trafic de cailloux dont il est difficile de connaître l’ampleur exacte, sept exoplanètes rocheuses de tailles comparables à la Terre mais de masses encore incertaines orbitent autour de Trappist-1. Et comme chez le Chief, on y trouve des soldats, des guetteurs et des hommes de main.
Les points de convergence entre le disque et l’astre, toutefois, devaient bien s’arrêter pour le pire. Alors que trois des exoplanètes qui rôdent aux abords de Trappist-1 se trouvent dans la zone dite d’habitabilité (où l’eau peut exister sous forme liquide), point de salut dans les quartiers où le rappeur le plus caillera de l’Illinois a grandi. Sur le grand tableau noir de la crise économique des banlieues, les traits blancs tracent l’arborescence des trafics en tous genres en même temps qu’ils guident le doigt tremblant d’un gosse de 16 ans sur la gâchette.
Les cadavres affluent dans les morgues comme autant de marqueurs du cancer métastasé qui décime le ghetto, tandis que les gangs récoltent le macabre fruit de la bicrave crasseuse.
Ecouter Finally Rich, c’est une confrontation brute avec l’écho suffoquant d’une Chiraq en proie à une sourde descente aux enfers. C’est se plonger dans la sauvagerie d’une nuit transpercée par la mitraille ainsi que par le fracas des bris d’existences qui s’incarnent dans les cris et les pleurs maternels, fraternels. C’est sentir derrière sa nuque le souffle acide d’un quotidien qui tord les vies, les éteint, sectionne les familles, hante les consciences. Slalom entre les overdoses et les chargeurs pleins, prêts à l’action, bientôt vidés. Sans oublier la case prison dont Cozart a pareillement réchappé à la faveur d’une résidence surveillée et qui bien trop souvent, chez les rappeurs, désorbite les carrières.
Outre l’ami Lil Reese, bien inspiré de faire une apparition sur le plus gros banger de 2012, « I Don’t Like », 50 Cent et Wiz (« Hate Bein’ Sober »), French Montana (« Diamonds »), Young Jeezy (« Understand me ») et Rick Ross (« 3Hunna ») se mêlent à cette incantation célébrant l’accomplissement suprême du Chief. La présence d’anciens ayant souvent percé dans des conditions semblablement difficiles auréole cette hymne à la survie et à la gloire de son auteur, un exercice classique qui n’est pas sans rappeler Get Rich Or Die Trying de Fif ou Trap Or Die de Jeezy.
Il est clair que Chief Keef n’est pas plus un grand rappeur aujourd’hui qu’il ne l’était à 17 ans, lors de la sortie de l’album en 2012, préférant les gimmicks et les grommellements, les phrases simples et directes et les rimes pauvres aux multi-syllabiques alambiquées d’un Rakim ou d’un Eminem. Pour autant, il ne faudrait pas minimiser la portée de ce premier album. En effet, Finally Rich reste à ce jour un projet qui a durablement marqué le rap de Chicago et celui qui confirmait, à l’époque de sa sortie, le bien-fondé de l’explosion de Keith Cozart quelques mois plus tôt. Dès avant l’annonce de sa signature sur Interscope début 2013, la bulle spéculative autour de la scène drill et la convoitise des labels à l’égard d’artistes proches de lui, tels Lil Durk, Sasha, Tree, Fredo Santana ou Lil Reese, s’en trouvaient relancées. Grâce à ce nouveau souffle, la cité des enfants perdus prospérerait encore quelques années. Au point même de se trouver en position, à tout le moins par intermittence, de disputer à Atlanta qui l’avait inspirée son statut de vaisseau mère du rap US.
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