Septembre et déjà la rentrée. L’été, la chaleur, les vacances et les claquettes-chaussettes… tout cela a disparu bien trop vite, et sans même l’avoir vu venir. Après vous avoir présenté la playlist parfaite du premier semestre, récit de 8 jours au soleil, il est temps pour la rédaction de rechausser les crampons et de faire le point sur les immanquables de l’été, que certains des plus hardcores vacanciers auraient pu manquer.
SEAN PRICE – Imperius Rex
Deux ans déjà. Le 8 août 2015 s’éteignait chez lui l’auto-proclamé meilleur rappeur de Brownsville. A seulement 43 ans, c’est une véritable légende de l’underground qui tirait sa révérence, laissant femme, enfant, et armée de fans orphelins et désœuvrés. Après un premier album posthume, Songs in the Key of Price sorti en 2015 dans une certaine précipitation, c’est au tour d’Imperius Rex de voir le jour. Loin d’être, comme on pourrait le craindre, un projet mercantile et bâclé, cet album se révèle être en réalité le sacre tant mérité de Master P. Duck Down Music, et surtout Bernadette Price, sa veuve, ont vu les choses en grand, et c’est avec humilité et respect qu’ils nous livrent ce qui pourrait bien être le meilleur album solo du New Yorkais. Avec les featuring de MF Doom, Prodigy, Method Man, Raekwon, Swif-N-Wessun, Freeway ou Buckshot, l’album est un véritable must have, ode aux cassages de bouches et à l’humour gras de ce regretté P. Florian.
21 SAVAGE – Issa Album
21 Savage avait marqué l’année 2016 du son codéiné de son très bon projet « Savage Mode » produit par un Metro Boomin’ en grande forme. Ce dernier était parvenu à capturer l’essence de l’univers du rappeur d’ATL, lui permettant ainsi de livrer son meilleur opus jusqu’alors. Avec son premier album studio sorti le 7 Juillet dernier, affublé d’un titre qui pourrait être un hommage au personnage de Jar Jar Binks sans que nul ne s’en soucie au regard de ses ténèbres fantaisistes, le mumble rappeur le plus célèbre du moment passe encore un palier. On continue de s’enfoncer dans la caverne sombre et poussiéreuse qui tient lieu de conscience à notre sauvageon préféré. Quelques notes de piano de Zaytoven larguent les amarres de cette exploration tumultueuse et torturée de l’esprit de l’ex-blood (Famous), ensuite portée tour à tour par Southside, Pierre Bourne, DJ Mustard, Wheezy ou Metro Boomin’ (encore lui). Ce qu’il faut bien appeler l’aridité de son timbre de voix se fond parfaitement dans ces sonorités lunaires et lugubres ou anxiogènes.
Même lorsqu’il chantonne, la voix géostationnaire du satellite 21 Savage demeure toujours en terre des middles, comme pour souligner les qualités de sa propre monotonie. Un sort vaudou l’aura ramené d’entre les morts pour nous conter, en messager de l’Effroi, toute la noirceur d’une jeunesse enclavée dans l’Amérique des gangs. Sa mémoire n’est qu’un cercueil de plus, une boîte de Pandore d’où s’exhument tels des zombies suceurs de santé mentale les souvenirs de la rue et de sa jungle de compromissions.
A l’arrivée, 21 Savage livre un premier album globalement convainquant qui en dépit de quelques faiblesses (dont la plus évidente restera le morceau « FaceTime ») respecte la promesse formée dans son précédent opus. Le Scribe.
A$AP MOB – Cozy Tape Vol 2
Eté chargé pour les A$AP, qui après nous avoir balancé les très bons 12 et Still Striving respectivement par A$ap Twelvy et A$ap Ferg, le crew nous délecte de sa Cozy Tape Vol 2. Alors que le premier volume des Cozy Tape, sorti en 2016 avait été échafaudé, ou en tout cas, imaginé, par A$Ap Yams peu avant sa mort, ce second volet s’est fort logiquement élaboré sans la regrettée tête pensante du crew. Pourtant la recette reste la même, 17 tracks sur lesquels se bousculent un nombre incalculable de talents. Après avoir invité Onyx, Skepta ou Tyler the Creator en 2016,Rocky, Ferg, Twelvy, Nast et les autres partagent cette fois le micro avec Jaden Smith, Chief Keef, Lil Yachty, Big Sean, and Schoolboy Q. De quoi faire craindre une nouvelle fois aux plus exigeants auditeurs l’embouteillage stylistique. Pourtant malgré quelques longueurs, disparités et baisses de régime, Too Cozy nous offre tout de même son lot de titres forts et une très belle palette de flow. Florian.
LAYLOW – Digitalova
Teasé au début de l’été par le clip de « Bionic », Laylow nous a livré une petite douceur estivale acide et sucrée, idéale pour s’ambiancer lors de chaudes soirées romantiques sous lean. En effet, Digitalova (de l’amour et du toucher) tomba à point nommé pour le lancement officiel de la saison et faire une razzia sur juillet/août. Pari réussi pour l’homme aux cheveux noodles, doué et prometteur. Si l’album n’est pas à mettre en toutes les mains, il est clair que les Jean Puristes n’y trouveront pas leurs comptes. Faut vous y faire les gars. Une nouvelle vague arrive, et il faut faire de la place. Je conviens qu’il peut être difficile d’assumer qu’on aime se dandiner sur de la musique sensuelle, voire même parfois sexuelle, mais l’époque est réceptive à ce genre de bonbons savoureux. Reste à savoir comment évoluera Laylow, et les choix artistiques qu’il prendra définiront si oui ou non il laissera une empreinte définitive sur la route de la musique urbaine francophone. C’est tout ce qu’on lui souhaite ! Clément.
TYLER THE CREATOR – Flower Boy / Scum Fuck Flower Boy
Quatrième album studio pour Tyler, qui après Goblin (2011) Wolf (2013) et Cherry Bomb (2015) nous livre au beau milieu de l’été, Flower Boy, son premier album signé en major. Un projet comme toujours, complexe et dense au air d’exutoire pour le californien. Emmenant ses démons en vacances, le créateur nous livre une véritable balade, bande son pour toutes sortes de rides estivales. Dans un projet très introspectif, Tyler s’éloigne prends ses distances avec son personnage d’éternel adolescent agité pour se laisser aller à une certaine mélancolie. Entouré de ses potes Franck Ocean, Asap Rocky ou Jaden Smith, le MC nous apparait sur des productions très travaillées, sensible et réfléchi, presque apaisé. Bourré de titres accrocheurs, doté d’une production parfaite et de featuring intelligemment disséminés, l’album se révèle plus lisse, plus accessible, mais aussi plus touchant, que ses précédents projets, et fait de Flower Boy sans nul doute la meilleure carte de visite de Tyler à ce jour. Florian.
DAVE EAST – Paranoia
Après 7 ans de carrière à diffuser ça et là mixtapes de qualité, Dave East est aux portes de la renommée. Un pied dans le succès, l’autre toujours enraciné dans les rues sombres de Harlem. Aidé de la machine Def Jam, Dave East nous entraîne donc cette fois, seul, dans sa Paranoia. Regardant le game par dessus son épaule, plus vraiment sur de son avance, Dave East joue les contorsionnistes. Au point qu’il semble avoir ici besoin de rentrer dans toutes les cases, rapper tous les textes, tous les styles, pour toucher tous les publics, et éviter de chuter juste avant la ligne d’arrivée. Entre l’introspectif et le superficiel, Dave East ne cesse durant ce projet de passer des rues sales aux clubs hype de New York, de nous conter la mort de ses proches, tout en s’autorisant un featuring plein de douceur avec Chris Brown. Vendu comme un apéritif avant l’album, les interludes à rallonge et les ouvertures mainstream manquent de maîtrise et ne réussissent malheureusement pas toujours à convaincre, jusqu’à diluer cette dureté pourtant revendiquée jusqu’au titre. Une paranoïa visiblement justifiée, Dave East loupe l’Or à quelques mètres de l’arrivée. Florian.
TORO Y MOI – Boo Boo
Le clip de « Girl Like You » a lancé ce triste été de la meilleure des manières : une funk lente et mélancolique, des espoirs d’amours impossibles à concrétiser, brasier crépitant en fond. Ce titre annonçait Boo Boo, le nouvel album de Chaz Bundick. Entre Prince, la Madonna eighties ou J. Dilla, le californien nous envoie doucettement vers un coucher de soleil en solitaire sur un rooftop et les émotions qui vont avec, impossibles à approcher dans les époques les plus stables de nos petites vies. Sensualité, tristesse, désir langoureux et romantisme, ce disque doux-amer nous laisse quand même ce léger rictus de satisfaction irraisonnée qui vaut mieux que mille amours éphémères. Julien.
A$AP FERG – Still Striving
L’été 2017 sous le sigle A$ap passait également avec Ferg. Le Trap Lord nous a balancé début août Still Striving, mixtape aux allures d’album, même si les titres solo sont ultra-minoritaires (trois sur quatorze). Et depuis son premier disque, on sait pertinemment que le gars peut lâcher bangers sur bangers, c’est ce qu’on attendait après le plutôt décevant Always Strive and Prosper sorti l’an dernier. Une attente salutaire, puisque les muscles cervicaux se mettent directement en action dès la première piste, et ne s’octroient que peu de répit. « Oww Yeah », « Nasty » et surtout le hit « East Coast Remix » avec A$AP Rocky, Busta Rhymes, Dave East, French Montana, Rick Ross ou Snoop Dogg nous tiennent en haleine en fronçant les babines. Flows sautillants, chantants ou bien plus durs, Ferg nous a encore une fois démontré la polyvalence du Mobb, summer crew 2017. Julien.
A$AP TWELVY – 12
Membre du crew depuis le début, A$ap Twelvyy, Jamel Phillips de son vrai nom, aura attendu l’aurée de ses 28 ans pour sortir enfin son premier album, le bien nommé 12. Parfois éclipsé par ses illustres compères, à commencer par Yams et Rocky, le MC d’Harlem aura attendu près de 10 ans pour enfin toucher ses rêves de gloire. Se développer ensemble, pour mieux briller solo, tel pourrait être son crédo. C’est donc « remis », aussi bien que l’on puisse l’être, de la disparition de Yam$, et très sur de lui, que Twelvyy nous balance son projet. Et quel projet ! Aidé de Fredro Starr, Joey Bada$$, A$AP Rocky , A$AP Nast, Flatbush Zombies ou A$AP Ant, et sur des productions de Harry Fraud, Erick Arc Elliott, Maaly Raw ou Jim Jonsin, Tvelvyy nous offre un album extrêmement plaisant et parfaitement maîtrisé. Malgré des textes parfois trop lisses, Jamel Phillips réussit à varier les styles, et nous démontre sans forcer toute l’étendue de sa musicalité. Efficace et attachant, le personnage de Twelvyy nous embarque sans tout au long des 40 minutes du projet, sans jamais nous lasser. Au point de laisser le projet tourner toute une soirée… sans forcer. Florian.
DANIEL CAESAR – Freudian
Toronto et ses pépites. Cet été, c’est le chercheur d’or Daniel Caesar qui a sorti son premier album, intitulé Freudian. R&b atmosphérique, gospel et soul, le sucre est fin, le sucre est doux, ça fond dans les oreilles et se transforme en miel par une mystique alchimie. De l’enfer de l’amour au paradis de la solitude, le nouvel empereur dépeint son monde et le nôtre sur des rythmes lents et remplis d’exaltation, faisant se mélanger les sentiments les plus contradictoires et révélant les extraits cachés d’une innocence enfouie au plus profond. La lune est pleine, les cœurs aussi, le love est ailleurs mais n’attend que nos petites personnes pour se pointer. Et une analyse façon Freud pour commencer à s’aimer soi-même, avant de donner aux autres. Julien.
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