En 2013, sortait le premier véritable album commun de Orelsan et Gringe. Pour l’occasion, ces derniers avaient choisi de se baptiser les Casseurs Flowteurs. Le concept ? Parler de leur passé de glandeurs en réutilisant les codes du buddy movie. De quoi séduire les provinciaux paumés et autres fans de Kevin Smith. Mais les deux potes allaient-ils être capables de transformer l’essai ?
Commençons par parler de la forme globale du projet : 17 titres formant un ensemble compact, relié par des interludes. Les deux bonhommes ont en effet fait le choix d’un concept album, puisque leurs non-aventures sont guidées par un fil directeur : ils sont à la recherche du single qui leur permettra de percer. Toute leur équipe leur met la pression, mais Orelsan et Gringe ne semblent pas plus perturbés que ça, trop occupés à manger des céréales et à picoler sans but.
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Parce-que c’est aussi ça l’objectif de l’album des Casseurs Flowteurs : réussir à transcender le vide d’une existence en appuyant sur les moments les plus significatifs et les plus drôles. Malheureusement le pari n’est qu’à moitié réussi sur ce point là. Il est vrai que par instant, les deux bonhommes parviennent parfaitement à magnifier leur loose-attitude, mais l’aspect parfois trop frontal de leurs lyrics empêche la transcendance totale d’opérer. Résultat, la replay-value du disque en prend un coup. Prenons l’exemple d’un morceau comme « Les putes et moi ». Passé la surprise face à l’audace de la thématique, on se met très rapidement à appuyer sur la touche next. Les deux MC y déploient assez bien leur sens de l’observation, mais leurs lyrics manquent de tranchant et d’images fortes, ce qui est un problème assez récurant sur l’ensemble de l’album. Orelsan déclare d’ailleurs lui même que pour lui, une punchline est juste « une très bonne vanne ». Peut-être le problème vient-il simplement de leur vision de l’écriture dans le rap, qui semble un peu réductrice.
De même, l’usage d’interludes est très amusant lors des premières écoutes, et quiconque a déjà vécu des aventures similaires aura de quoi se marrer, mais on en vient assez vite à en zapper certaines d’entre elles, trop longues ou trop agaçantes.
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Malgré tout, il y a certaines choses que l’on ne peut pas enlever à cet album. Tout d’abord, il est d’une cohérence parfaite, notamment en terme de sonorités. Skread livre des instrumentaux relativement épurés, oscillant constamment entre boom bap et électronique. La production comporte une vraie ligne directrice qui s’attarde avant tout sur le fait de donner un carcan aux textes des rappeurs afin de les mettre en avant.
De même, l’album est très bien construit, et les morceaux s’enchaînent parfaitement, même si l’on ne peut s’empêcher d’en zapper quelques uns – « Bloqué », le single quelque peu énervant, ou le braillard « Tu m’dois de l’oseille » – et l’on ne peut vraiment pas reprocher aux rappeurs d’avoir assemblé leurs chansons à la va vite.
On retrouve aussi quelques moments assez jouissifs, comme le refrain de « Fais les backs », l’audacieux « La mort du disque », ou encore « Des histoires à raconter », morceau le plus introspectif qui viendra clôturer l’album.
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Au final, l’album des Casseurs Flowteurs ne s’avère pas être une réussite totale. Les deux rappeurs ont clairement leur univers, et leurs références sont plutôt bien digérées, mais il semble qu’ils n’aient pas encore la puissance de frappe pour nous délivrer un projet réellement marquant. Malgré ses quelques bons moments, ce disque risque en effet de vite tomber aux oubliettes.
De manière globale, il est rare que les albums à visée humoristique entrent réellement dans l’histoire, et cela est encore plus vrai pour le rap que pour les autres genres musicaux. On a vu que Frank Zappa en était capable, mais sa musique allait beaucoup plus loin que cela. L’homme était à la fois drôle, subversif, et ultra-inventif. Les Casseurs Flowteurs ont encore du chemin à faire, mais on leur fait confiance pour réussir à passer un nouveau palier sur leur prochain projet.
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