Bodega Bamz : Poudres & Caniveau

In Chroniques by ThadrillLeave a Comment

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A moins d’être un puriste à la dure des années 90 qui ne vibre qu’à chaque sortie d’un mc de plus de 40 ans, vous devez être au fait que le point névralgique du rap à NYC se situe actuellement sur Harlem. Harlem, sa soul food à vous foutre des AVC en moins de 45 secondes (Chicken & Waffles le mix parfait pour crever en plein mois d’août), ses bodega (deli) multicolores qui jonchent tous les corners de Central Harlem, ses chorales de gospel pour touriste, la façade de l’Apollo, ses néo-hippies végétivores, ses légendes (Big LImmortal TechniqueJim Jones(humour), Cam’RonKool Moe Dee ou encore Biz Markie) …

Bref si le borough connait, à l’instar de Brooklyn, la dure réappropriation de ses blocs par la classe aisée en manque d’exotisme, il y reste des coins intemporels où une nouvelle génération a pris ses marques et s’est approprié tous ses codes. Le collectif A$AP Mob en est clairement le fer de lance depuis 2011 où des têtes comme ASAP Ferg et ASAP Rocky ont remis Harlem sur la carte avec ce style musical caractéristique nommé Beastcoast, dans leur sillon le Spanish Harlem n’est pas en reste avec l’émergence sur le tard de Bodega Bamz

Propulsé grâce à sa mixtape Strictly 4 My P.A.P.I.Z.Bodega Bamz est au rap ce que le reggaeton est à la musique latine c’est-à-dire une erreur que la nature a été incapable de régler par elle-même. Et pourtant contrairement au reggaeton, Bodega Bamz brille par son vide. Mc plutôt lambda, son discours orienté sauvageon des trottoirs trouve une réelle répercussion grâce à l’environnement sonore qui l’habille. Maqué façon Beastcoast, l’homme a eu l’agréable intelligence d’aller chercher le sniper V Don qui est clairement le producteur de beatscoast (BPM lents et infrabass de vibro) le plus talentueux. Sur les beats de V Don mais aussi de JohnBoyBeatsBodega Bamz a réussi à trouver un palliatif à sa propre personne expliquant ainsi la réussite de Strictly 4 My P.A.P.I.Z. et l’attente autour de son premier album Sidewalk Exec.

Willie The KidThe Game, le Wu-BlockSmoke DZALloyd BanksStyles PVadoTrae The Truth, la liste des artistes qui ont fait appel à V Don depuis 5 ans est assez pléthorique démontrant ainsi l’intérêt porté à ce producteur de génie. Le qualitatif de génie peut paraître fort mais le constat est clairement là : V Don est le seul producteur en dix ans à avoir réussi à créer pas seulement sa pate mais un style musical complet allant clairement à contre-courant du modèle original boom bap. La sortie de Sidewalk Exec permet à V Don de mettre à son actif un album totalement produit par ses soins et si on ne peut pas enlever tout intérêt à retrouver Bodega Bamz sur un premier album, on peut tout de même dire que l’attente s’attardait plus sur V Donque le principal intéressé.

Bienvenue, donc, dans Sidewalk Exec, si vous vous attendiez à passer plus d’une heure dans le monde très égotrip de Bodega Bamz, il va falloir vous canaliser car cet album prend le même temps que de couper un kilo coke (30 minutes environ). Au fond, c’est surement ce qui fait de cet album tout son intérêt car le Bamz a beau faire le travail, son discours sans surprise ni grande réflexion n’a pas besoin d’une durée supérieure pour être compris. Vantard à tout bout de champs, Bodega Bamz passe son temps à se prendre pour un don de la mafia entre coke, guerre de territoire et règlement de compte avec plein de morts autour de lui (Abel Ferrara n’aurait pas fait mieux). Pour mener son entreprise crapuleuse à bout, Bodega Bamz a fait appel à d’autres lieutenants du Beastcoast, excepté le vétéran Joell Ortiz, on y retrouve les Flatbush ZombiesAston MatthewsLil Eto et Youth Is Dead. Sous le pseudo de Don Francisco, Bamz offre tout de même quelques textes intéressants comme El Rey qui fait la connexion avec ses racines portoricaines, Raw Deal et son storytelling sur un deal de coke qui tourne mal et enfin le très intimiste I’m Ready avec la présence du disparu A$AP Yams mort soit d’une overdose d’après le médecin légiste soit par asphyxiassions dans son sommeil d’après les A$AP Mob, ce qui dans tous les cas n’est pas très Gangsta…

Ce genre de démonstration à la Bodega Bamz, on est habitué à la connaître sur des gros beats bien sales à coup de boom bap de trottoir et c’est donc là où toute la magie de l’album opère. Attendu pour nous prendre à contrepied, V. Don se fait extrêmement plaisir à nous décanter les dires de Bamz sur du BPM tout lent et parfois atmosphérique (l’énorme Invoice). Ambiance lugubre et macabre, V. Don traverse l’album balançant par-ci un xylophone bien carré (Down These Mean) ou un synthé électronique par-là (Woopty Woop Blazhay Blah). La contradiction entre le discours très raw de Bodega Bamz et l’habillage musical digne d’un enterrement de V. Don sur Gods Honest ou Cocaine Dreams représente tout l’intérêt de cet album. V. Don garde tout de même une certaine touche new-yorkaise dans sa version rap traditionnel, on la retrouve sur El Rey et son sample de funk 70’s comme sur Raw Deal mais avec sa pâte qui fait tout l’intérêt de cet artiste.

Sidewalk Exec rend ce que l’on pouvait attendre d’un album de Bodega Bamz produit entièrement par V Don. Excepté les mauvaises langues et les allergiques à la Beatcoast, l’écoute de l’album amène à un replay value qui fait bien plaisir. Bodega Bamz n’est toujours pas un lyriciste incroyable mais il s’est clairement investi sur son delivery comparé à Strictly 4 My P.A.P.I.Z.. De son côté V Don survole complétement la production, s’il fallait miser sur un poulain de race dans le quinté des beatmakers du moment, V Don serait une source intéressante de blanchiment d’argent. Aux plus sceptiques, on les invitera à lâcher du regard le cadavre plutôt bien rigidifié du boom bap traditionnel new-yorkais pour venir se prendre une bonne gifle avec ce Sidewalk Exec.

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