Les années passent et les souvenirs se détériorent, on aimerait que ce ne soit qu’un adage sans réelle valeur mais la réalité nous oblige à y adhérer. Quels souvenirs nous restent-ils de l’année 1998 quand on est sur une tranche d’âge de 30-40 ans actuellement ? Des vacances dans le sud-ouest en Rip Curl histoire de suivre la tendance surfeur de l’époque ? Débouler sur l’avenue des Champs Elysée avec 3.5 grammes à base de 8.6 pour fêter la victoire de de l’équipe de France de football et accessoirement débusquer un plan cul facile dans la foulée ?
Rappologiquement, on se souviendra d’albums comme celui éponyme des Black Star, le Capital Punishment de Big Pun ou le Moment Of Truth des Gangstarr mais indéniablement, le raz de marée Red Hot Chili Peppers et leur Californication sorti en début de période estivale reste un événement musical majeur que l’on aime ou pas. On a tous eu un ami pour nous balancer en boucle cet album ou tomber dessus une dizaine de fois par jour sur les radios. Virage bien plus commercial que ses prédécesseurs dont l’énorme One Hot Minute, les Red Hot Chili Peppersnouaient enfin avec un succès planétaire. Derrière cette nouvelle orientation plus Soul, plus mélodique, c’est surtout le retour d’un grand musicien après un passage plutôt long par la case cocaïno-crack : John Frusciante. Plus qu’un simple guitariste de rock, Frusciante est avant tout un putain d’explorateur : du rock à la house en passant par la new wave, si les années 80 fut l’époque d’un génie comme Quincy Jones, la fin des années 90 est clairement l’ère de Frusciante. L’arrivée de Frusciante dans le rap en 2014 via les affiliés au Wu-Tang Black Knightsn’est pas en soi une surprise, tellement Californication et By The Way partageaient une certaine influence G-Funk avec la scène rap Westcoast. Il aura fallu que Frusciante rencontre RZA pour qu’il saute le pas. La vraie question était de savoir comment il allait aborder ce tournant après sa période électro.
Il suffit de se balader sur Internet pour comprendre l’impact de Frusciante sur la musique et toute la communauté de fans qu’il a su se faire. Entre universofrusciante.com et invisible-movement.net deux sites de fan, l’officiel johnfrusciante.com et sa page FB qui culmine à 572000 like, l’artiste ne laisse clairement pas indiffèrent. Son arrivée à la production des albums de rap des Black Knights n’a d’ailleurs pas été du goût d’une partie de son public plutôt ancré dans sa vibe rock et électro. La meilleure façon de répondre aux sceptiques face à cette collaboration était donc la plus logique : John Frusciante n’aborde aucun virage, il reste ancré dans son univers, ce sont les deux mcs que composent Black Knights qui abordent un virage en s’éloignant clairement du rap. Que ce soit Medieval Chamber et aujourd’hui The Almighty on a bien affaire à du cross-over de mcs rappant sur des instrumentaux pop-electro avec une influence rap finalement très limitée. Plutôt intelligent de la part de John Frusciante qui, au lieu d’attaquer frontalement son auditoire, les amène à redécouvrir son univers sur un style peu prisé. A l’instar d’albums comme le Blakroc des Black Keys, Medieval Chamber et The Almighty sont des espèces d’OVNI qui ne reposent sur rien de vraiment similaire, une expérience complétement nouvelle qui amène l’auditeur à sortir des sentiers battus. Sur la manière d’aborder son travail, on pourrait relier John Frusciante à Danger Mouse pour le côté mix soul, électro-pop et rock, mais les deux musiciens ayant leur propre pate, la comparaison s’arrêtera là. Chroniquer la musique de Frusciante sur ces deux albums des Black Knights semble presque impossible tellement les rythmiques changent au sein d’un même morceau.
On a tout le temps l’impression que Frusciante compose sur un nombre de pistes indéfinis rajoutant assez d’éléments subtils pour qu’à chaque écoute, on puisse découvrir un nouvel élément. Et dans ce tourbillon de musicalités on reste toujours surpris que les morceaux arrivent à tenir la route avant de se rappeler à quel point John Frusciante est un musicien hors-norme. Mais comme dans tous les albums de cross over, Medieval Chamber et The Almighty souffrent avant tout d’un éclectisme musical qui pourra en refroidir plus d’un. Chercher une connivence pour en faire des masterpiece est peine perdue, ici le premier juge reste d’abord l’auditeur et selon ses influences et sa flexibilité, ce type de projet pourra être vu comme une pièce unique ou une sombre daube. Si le public de John Frusciante semble plus aisément facile à attirer dans le concept des deux albums malgré la partie rap, il semble moins sûr que l’écho soit le même chez les habitués du rap dans sa version traditionnelle boom bap.
Au risque musical pris s’ajoute aussi un autre facteur de taille : Crisis The Sharpshooter et The Rugged Monk qui composent les Black Knights. Originellement composé de Holocaust et de feu Doc Doom, on trouve leur première trace musicale sur la soundtrack de Ghost Dog composée par RZA. Pris sous l’aile de ce dernier, ils deviennent donc Wu Affiliate sans réellement savoir ce que cela leur donne comme passe-droit puisque leur premier album n’a jamais été officiellement mis dans les bacs suite au véto de RZA ce qui n’annonçait pas grand-chose de bon… Le sentiment se confirmant une fois que l’album fut lâché en 2007, une sombre merde qui logiquement faisait acte de décès pour le groupe. Doc Doom réellement mort, Holocaust ayant pris la tangente, on se disait vraiment que les Black Knights n’étaient qu’un lointain souvenir.
Mais voilà, il suffira à RZA de rencontrer Frusciante pour déterrer les deux bonhommes. Une fois les présentations faites et les œuvres comparés, on aurait aussi très bien compris que Frusciante prenne la fuite en courant mais bizarrement non. L’effet du LSD et de la coke ayant un impact à long terme, John Frusciante a dû voir en Crisis et Monk ce que le commun des mortels n’arrivait pas à déceler et n’arrivera toujours pas à déceler après l’écoute des deux projets. Embrigadés dans l’ultime chance de voir leur nom en haut de l’affiche, on ne pourra que féliciter les Black Knights d’avoir pris cet énorme risque. Derrière des lacunes d’écriture très flagrantes, Crisis et Monk font preuve d’une très belle maîtrise de leur flow. On ne pourra pas savoir si les mecs sont off beats ou non vu la complexité des productions de Frusciante mais en tout cas les deux mcs défendent leur bout de gras avec héroïsme. Dommage que la partie texte soit si pauvre car il y avait de quoi nous embarquer dans de belles batailles féodales, là on est au même niveau que le Black Knight de Martin Lawrence. Si Medieval Chamber et The Almightysont de vraies bénédictions pour Crisis et Monk de se faire un nom, ils sont aussi une malédiction car la question se posera pour eux d’arriver à survivre dans le game sans l’apport pléthorique de John Frusciante.
Medieval Chamber et The Almighty, deux galettes extirpées d’une même session d’enregistrement qui compte une quarantaine de morceaux, si vous pensiez avoir fait le tour des cross-over, si vous pensez que le rap ne peut vivre que dans sa forme originelle alors c’est que vous ne connaissez pas ou sous-estimez la capacité de Frusciante à faire de sa musique une réelle arme de destruction massive. Bienvenue dans un autre monde musical aux réminiscences d’une partie de l’âme des Red Hot depuis disparue, le premier pas n’est pas chose aisée mais si celui-ci ne vous fait pas vaciller alors les suivants vous feront adhérer à la limite de la dépendance.
.
.
.
.
Share this Post
- Half&Half, braquage à Atlanta - 11 février 2018
- Jupiter AKA : la nouvelle guerre des mondes - 22 juin 2017
- Hommage : Prodigy, le mythe en 10 titres - 21 juin 2017