Mercredi 20 avril, La Gaîté Lyrique. C’est assez concentrés que Fiasko Proximo et Prince Waly, ou Big Budha Cheez, arrivent sur scène sur appel d’Alpha Wann, la tête d’affiche. Sur cette date parisienne, le membre de l’Entourage a en effet eu l’invitation facile, pour le grand bonheur de la salle bondée qui, déjà trop heureuse face à Caballero, S.Pri Noir ou Deen Burbigo -pour ne citer qu’eux, fut exaltée de voir débarquer un Nekfeu très en forme en fin de concert.
Retour en arrière. Big Budha Cheez a droit à son tour de piste en début de concert, face à un public franchement difficile. Complètement acquis à la cause d’Alpha Wann, le live de Rov or Benz passera mieux que celui de Triple C, morceau du groupe inédit pour un public qui ne peut donc pas (encore) reprendre les paroles en chœur. Pourtant, le jeu scénique est bon: le petit côté laid back de leur prestation cache peut-être une légère anxiété mais lui donne une certaine élégance. Trois jours plutôt, Big Budha Cheez racontait justement à Reaphit que c’est avec un brin d’inquiétude qu’ils abordaient cette semaine décisive pour eux : tous deux un peu malades, il allait néanmoins bien falloir assurer pour la sortie de leur nouvel opus, L’Heure des Loups (dans les bacs aujourd’hui 22.04.2016). Désireux de bien faire mais pas totalement rompus à l’exercice de la promo, c’est Hologram Lo, du haut de ses platines, qui leur rappelle d’annoncer la sortie imminente de leur album quand ils s’apprêtent à quitter la scène de la Gaîté Lyrique. Une anecdote qui en dit long sur la mentalité de Waly et Proximo, malgré l’air méchant qu’ils affichent sur la pochette.
D’abord parce qu’il est facile, et légitime dans une certaine mesure, de classer ce que font Waly et Proximo dans la catégorie « Old school »; or, depuis 2010, d’autres ont déjà surexploité la fibre nostalgique, à commencer par Alpha Wann qui, avec 1995, s’est positionné sur ce créneau avec La Source et La Suite. Alors certes, un tel positionnement fut mi-volontaire mi-contraint par des média trop contents de pouvoir parler à nouveau de l’âge d’or du rap français, mais toujours est-il que l’on pouvait se demander à un moment si 1995 allait être autorisé à sortir un jour de cette image (ce que le groupe a finalement fait de manière assez naturelle). Puis cette « mode » est un peu passée, remplacée par autre chose. C’est aujourd’hui la nouveauté et l’innovation qui sont mises sur un piédestal. Une imagerie nouvelle, un son, un flow, des productions qui rompent radicalement avec « ce qui se fait », voilà ce qui semble aujourd’hui être plébiscité (pour le meilleur comme pour le pire). Pour Big Budha Cheez et son inspiration plutôt nineties, cela pose-t-il un problème ?
« On est obligé de se poser la question. On réfléchit à comment notre musique va évoluer. Quand on bosse un projet, on est déjà en train de penser au prochain, et on se dit « mais qu’est ce qu’on va pouvoir ajouter, qu’est ce qu’on va pouvoir changer, pour ne pas refaire la même chose et essayer d’amener un nouveau truc. Mais on essaie d’abord d’avoir des bases solides, de bien maîtriser ce qu’on fait pour le moment et on partira de là pour faire quelque chose de plus abouti encore » (Prince Waly)
Le futur ? Il se fera peut-être du côté de sonorités r’n’b, dont les deux rappeurs avouent être férus. Nate Dogg, Aaliyah font autant partie du répertoire que toute l’écurie Time Bomb (« si je savais chanter, je ferais du r’n’b ! » balance Prince Waly). Le constat n’est pas nouveau, mais tient toujours : maîtriser ses bases musicales d’abord pour innover ensuite. Parait-il que la taille de la vinylothèque de Fiasko Proximo témoigne de son long apprentissage musical. Aux manettes des productions de L’Heure des Loups, le rappeur/producteur met les samples à l’honneur : ce sont eux qui tiennent l’album et lui évite trop d’aspérités, avec pour conséquence positive une ambiance particulière, tenue du premier track jusqu’au dernier. La priorité, nous confie le groupe, c’est bien l’atmosphère, toujours assez dépendante de la nature des samples. Une fois posée, ils peuvent alors commencer à jouer avec les rythmes, percussions, basses, flow, etc. Musicalement, les quatre premiers titres de l’album rejoignent le dixième ((…)), et dégagent un sentiment d’urgence, même sur les instrus les plus lentes (L’heure des Loups, Vice et Vertu). Comme si quelque chose de louche était sur le point de se passer dans les rue de M.City. Une ambiance Black Mafia… mais qui rappelle aussi le Roc Marciano de Marcberg par son aspect brumeux et sur le fil du rasoir. Les autres titres sont plus doux, intimes (Mes Patrons), voire léger (L’Apollo ou EM Cite, qui évoque la funk chaloupée de Cymande sur The Message).
.
Autre pierre d’achoppement sur laquelle Big Budha Cheez aurait pu faillir : la méthode d’enregistrement. Le choix de l’analogique prouve que plus que des sons particuliers, c’est une manière de faire particulière qu’ont choisi Fiasko Proximo et Prince Waly, le second ayant été converti par le premier à la méthode. Pourquoi ce choix ? Tout simplement pour être satisfaits du son qu’ils produisaient.
« Quand on était plus jeune, j’enregistrais chez lui, dans sa chambre, à Montreuil [il pointe du doigt Køhm, rappeur et compositeur du collectif Exepoq Organisation mais aussi ingénieur du son], sur ordinateur et ce qui sortait, c’est pas ce que je voulais. A l’époque, je savais plus ou moins qu’on enregistrait pas avec le même matériel que dans les années 1970, mais c’est plus par rapport à la qualité du son que je me suis dirigé vers autre chose » (Fiasko Proximo)
« Moi je continue à enregistrer comme ça avec Big Budha Cheez parce qu’on a commencé comme ça, mais comment c’est galère ! Le mec qui se met à faire ça, je lui dis « mec, prépare-toi ! » (Prince Waly)
Pourtant, bourreaux d’eux-mêmes, les Big Budha Cheez s’imposent les mêmes méthodes pour leurs visuels, photos, vidéos. L’importance accordée à leur style -dans le lumière comme dans l’ombre, à leurs poses, ne vient qu’en complément de celle accordée au traitement de l’image. Pour s’en rendre compte, et pour en découvrir plus sur l’enregistrement de l’album, il suffit de regarder ce mini-documentaire réalisée par Clifto Cream. Tourné en 16mm, il retrace l’enregistrement de L’Heure des Loups, en interrogeant toutes les parties prenantes à la production de l’album, dont Køhm et Papa Lex, le chanteur membre d’Exepoq qui les accompagne sur scène. Clifto Dream, qui a également réalisé le clip de Goldman Sachs -ci-dessus. A défaut de pouvoir visionner ce documentaire sur VHS grâce au magnétoscope poussiéreux rangé à la cave, Reaphit vous conseille vivement de vous procurer L’Heure des Loups en physique, pour vivre au moins une partie de l’expérience comme il se doit.
L’Heure des Loups est disponible sur iTunes
Et en écoute ci-dessous
Share this Post
- The Pharcyde sur scène pour la finale du Buzz Booster 2017 - 1 décembre 2016
- Hyacinthe, L.O.A.S. et Krampf à Petit Bain - 20 mai 2016
- Big Budha Cheez sonne L’Heure des Loups - 22 avril 2016