B4DA$$, Classicisme Classico-Classique

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A moins d’avoir passé les 3 dernières années à élever des moutons en Patagonie avec le José Bové de la variété française Florent Pagny, ou de vous être enfermé tel un ermite germanique dans un rade poisseux et aux mœurs légères dans le trou du cul de la Thaïlande, il est fort à parier que le nom de Joey Bada$$ vous soit aussi familier que celui de Charlie. Que vous soyez pro rap, ou que pour vous « le rap c’est de la merde », ou même les deux (l’un n’empêche pas l’autre), le poids plume de Brooklyn est aujourd’hui sur toutes les lèvres, dans tous les médias. A l’aube de ses 20 ans Joey Bada$$ est la définition du buzz. Son premier album est dans tous les bacs, dans toutes les discussions et crée donc un bien bizarre tremblement de terre dans la sphère rap, et plus particulièrement dans le sacro-saint auditoire des templiers de la golden era. Retour sur l’homme et son album.

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UN NOUVEAU PROPHÈTE

Alors que Jésus Christ a dû attendre l’apogée de la trentaine pour devenir vrai dans le miracle jeu, Joey Bada$$, lui, a à peine 16 ans quand il marche avec sa clique sur les eaux du rap US. En une seule mixtape, le nom de Joey Bada$$ va directement caracoler en tête des newcomers de haute volée. Plus surprenant, il ne lui faudra donc qu’une mixtape, certes de très bon calibre, pour se forger une des fanbase les plus consistantes du moment, un phénomène de mode qui dépasse très largement le bassin aquatique du rap US. En une tape lâchée, il devient en quelque sorte le héros d’une époque révolue, le fils de NasNotorious Big et Kool G Rap, le délivreur d’auditeurs oppressés par un style musical qu’ils ne reconnaissent pas, le petit fils du côté de sa mère de Russel Simmons et le 4ème membre des Fugees.

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1999, un nom de mixtape qui en dit long sur ses orientations musicales, un retour aux racines du rap US distingué par un petit jeune qui n’en a même pas connu l’ambiance. Dès lors, une ambiance vengeresse plane sur le monde du rap : « enfin de la vraie merde » crieront les plus puristes, « ça c’est de la bonne merde » renchériront les moins puristes et « c’est vraiment de la merde » jugeront les autres. Bref, le gamin aurait trouvé un billet d’Euromillions gagnant qu’il n’en aurait pas été plus heureux, car ce 1999, c’est son armure de colombe qui évite à tout crapaud de lui lâcher un gros glaire de chique à tabac dans la gueule. Lâcher un delivery tonique sur des beats estampillés des années 90 sur mixtape, était donc la recette miracle à appliquer pour retenir l’attention. La recette est toute conne, mais pas un n’y avait pensé en 15 ans, ce qui revient à cette déduction logique : faut vraiment être très con pour faire du rap… Et au diable l’analyse détaillée de sa prestation sur ce format, puisque la mixtape est avant tout un tour de force pour occuper le terrain. Même si le gamin n’a rien de très consistant à raconter, la légende est née, prière de circuler.

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C’est donc en odeur de sainteté que Joey Bada$$ et son crew Pro Era vont traverser les trois années qui le sépareront de son premier opus, engendrant au passage quelques disciples (Bishop NehruVince StaplesThe UnderachieversHD, etc.) et une mixtape sans grand intérêt, Summer Knights, qui pourtant ne lui fera même pas plier un genou auprès de son auditoire qui, pour le coup, reste une énigme sociologique encore aujourd’hui irrésolue. Le 20 juin 2015, après trois ans à avoir distribué du pain gratos, Joey Bada$$ s’offre pour ses 20 ans un retour sur investissement façon Monsanto avec la sortie de son tant attendu et déjà classique album B4.DA.$$, un moment épique dans les grandes dates du mouvement rap puisque depuis cette date, le Joey est devenu indétrônable dans le quotidien médiatique parcourant le monde en vrai gagnant, et faisant chavirer aussi bien les jeunes filles en fleurs que les puristes du rap underground. Mais sur le fond, Joey Bada$$ et son B4.DA.SS ont-ils vraiment mérité cet engouement général ?

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AMI POÈTE, BONJOUR !

Joey Bada$$ était-il le prophète tant attendu ? Joey Bada$$ est-il capable d’un second miracle ? A cette dernière question, nos amis théologiens et spécialistes BFM des miracles émanant de la presse généraliste et spécialisée, de la section marketing Amazon et Fnac, et de ce grand vivier de pensées indépendantes refusant de marcher comme des moutons que sont les blogs de musique nous répondent oui, puisqu’à juste 20 ans, Joey réussit le miracle de sortir un premier album d’un aura exceptionnel. De mémoire d’homme, cela ne s’était jamais vu ! On rappellera donc qu’il aura fallu attendre les 40 ans de Nas pour qu’il nous ponde Illmatic, que Ready To Diede Biggie est sorti bien après sa mort, et que le Paid In Full n’est jamais sorti en 1985 alors que Rakim avait 17 ans mais 1995, encore un coup des illuminatis… La stratégie de communication de Cinematic Music Group consistant à mettre en avant la précocité de la carrière de Joey Bada$$, histoire de palier à toute critique, semble donc avoir été digérée assez facilement et recrachée sans faire tousser (quoique, fait assez rare, des magazines comme Rolling Stone, Complex ou The Gardian semblent très dubitatifs, voire déçus de ce premier solo)

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Jeune, et en plus très mature, puisque B4.DA.$$ peut se voir comme un recueil de poèmes techniques, où chaque verse recèle une infinité de double sens, jamais égalée depuis Tupac Shakur. Il est donc fort à parier que d’ici une dizaine d’année, ses textes soient étudiés dans les plus grandes universités comme son aîné le feu regretté Gangsta Lova à moustache, au torse nu et au bandana de concierge portugaise. Plus sérieusement, et avec objectivité, il est très dur de pouvoir saluer entièrement le delivery de Joey. Qu’il soit jeune ou non, c’est un point que l’on ne peut pas atténuer. Joey Bada$$ n’a pas su franchir la frontière entre le format mixtape et le format album en terme de lyrics, on se retrouve donc ici avec un MC qui a autant de pertinence et de contenu dans sa plume que Sylvester Stallone dans les scripts de Rocky.

L’homme qui se veut en quelque sorte par ses origines caribéennes l’héritier des The Fugeesn’arrive qu’à nous livrer des lyrics dignes d’une B-Side de Wyclef. Le fait de vouloir sonner tellement années 90 l’amène à imiter plus qu’à créer, et dans l’ensemble, on est plus sur un MC qui spit en mode freestyle artisanal, plaçant ici et là quelques références intelligentes, mais pas assez percutantes pour emballer la machine. Quitte à exploiter le créneau des années 90, on s’interroge aussi sur le peu d’engagement qui transpire de Joey Bada$$. Ça manque clairement de conscience sociale. Pourtant, les événements de Ferguson auraient pu être un bon point de départ, et on a l’impression qu’hormis les nuages de beuh qui l’entourent et la couleur verte de ses billets, Joey Bada$$ n’a rien à nous raconter. En termes de symbolique, « Christ Conscious » n’a ni queue ni tête. Autre point négatif, une bonne partie de ces fameux textes, sans ligne directrice, on les retrouve depuis 2013 au travers de ses apparitions. Niveau fraîcheur cet album ne l’est pas, et ce genre de pratique peu noble est  assez dur à digérer.

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A la lumière d’une liste d’invités très restrictive et formée exclusivement de proches, on peut se demander si Joey Bada$$ n’avait pas conscience de cette grosse faiblesse, ou tout du moins l’intelligence de ne pas tomber dans le piège de l’outshinage cinglant qu’aurait pu procurer la participation à cet opus de vieux de la vieille. Pour les néophytes du style, cela permet de ne pas donner de comparatifs assez forts pour montrer sa faiblesse, et ainsi garder une fanbase tout à fait comblée par l’effort donné.

Mais Joey Bada$$ n’est pas non plus transparent sur l’ensemble, on arrive à palper par moment sur des morceaux plus introspectifs un discours assez bien assaisonné et mature, pour ne pas tout jeter. A l’instar de « Like Me » , on y entraperçoit un certain potentiel. Certes, sa vision des relations entre la police américaine et la jeunesse noire est assez barbare, mais structurée. « Curry Chicken » rend un hommage singulier mais pleine de bonne volonté à ses racines caribéennes. « Black Beetles » et « Piece Of Mind » qui par ses incertitudes et son introspection sont assez attrayantes, mais malheureusement limite mornes, par rapport à toutes ses sources d’inspiration.

Pour le reste, Joey Bada$$ reste la pile électrique que l’on a découvert sur 1999, un MC remonté à bloc et qui est capable d’enchaîner n’importe quel type de BPM. Un flow parfois monocorde, mais que son accent caribéen arrive à épicer avec justesse pour éviter de gonfler au bout de 20 minutes. Un MC taillé pour la scène, mais à qui il manque cruellement de fond pour faire l’unanimité sur wax.

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THE SCORE 2.0

Au fond, ce qui avait vraiment marqué sur 1999, c’était l’intelligence musicale des choix de Joey Bada$$. Derrière le jeune MC, 1999 était une mixtape assez stratégique pour combler les attentes des vieux briscards, et montrer au public plus jeune du rap une autre recette musicale que l’actuelle. Replonger dans une ambiance passée d’une vingtaine d’années, c’est donc un créneau qui semble fructueux, bienvenue chez la nouvelle génération des boroughs de NY. Pourtant, aux dernières nouvelles, cette recette n’avait jamais disparu des radars, même si elle restait l’exclusivité des old-timers de la profession.

B4.DA.$$ se veut donc une continuité de ce que 1999 avait offert, chacun cherchera bien sûr à y voir l’influence de son regretté chouchou, 9th wonderesque pour les hipsters, dillesque pour les bobos parisiens en manque d’un père spirituel ou buckshotesque pour ceux qui sont restés coincés en 1999, chacun des trois producteurs étant morts, soit au sens figuré, soit au sens propre.

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Mais B4.DA.$$ est assez sérieusement produit, et avec des participants aux manettes loin d’être ridicules, assez bons pour ne pas à y voir l’influence d’anciennes gloires. On peut en effet sonner 90’s sans pour autant n’être qu’une pâle copie des maîtres du genre, excepté bien sûr Statik Selektah, qui est une très belle copie de la théorie du vide. Plus qu’un album allant puiser dans l’héritage de tel ou tel producer, B4.DA.$$ fait étrangement penser à The Score de The Fugees. Un album cross-over qui se veut aussi bien grand public qu’underground, avec ce petit côté caribéen qui ressort ici et là. Une équipe de producteurs triée sur le volet qui amène chacun une pierre à l’édifice B4.DA.$$, afin d’en faire un tout très cohérent. Un album taillé pour rentrer le succès auprès du plus large auditoire, Puff Daddy doit criser qu’un petit con lui ai piqué l’idée de faire passer un album mainstream en un album unda, histoire de toucher le plus d’auditeurs possibles. Et les chiffres actuels ne démentent absolument pas ce but : 1er des charts rap, 1er des charts indé, 1er des charts R&B/rap, 3ème des ventes digitales et 5ème au top 200 des charts US. On pourra pinailler très longtemps sur l’aspect qualitatif de l’album, en termes de vente, c’est une putain de réussite.

Si B4.DA.$$ mérite la comparaison avec les points argués plus hauts, cette comparaison s’arrête là car au niveau pratique, l’album de Joey BADA$$ n’a pas l’apport de hits que pouvait contenir The ScoreIl n’en a même aucun, excepté l’immondice de bonus track qu’est « Teach Me », ce qui est assez étonnant, au vu des ventes. Ne pas avoir de hits n’amène pas forcément la conclusion que l’album est mauvais, et peut signifier que l’album revêt de véritables pépites auditives.

Si vous avez été un auditeur assidu répondant présent à chaque extrait que Bada$$ à lâché avant la sortie de son album, on tient à compatir pour la perte de temps que l’écoute du reste a pu vous faire ressentir. Comme le trailer meilleur que le film, l’ensemble des extraits lâchés avant la commercialisation de l’album font passer le reste pour anecdotique. « Big Dusty », « Christ Conscious »… vous auriez pu vous arrêter car, excepté « O.C.B. » , le reste des productions restent bonnes mais loin d’être transcendantes. Forcément, l’évocation de titres produits par DJ Premier et J Dilla finit par pousser la curiosité et le résultat dans la lignée habituelle des deux hommes, mais sur l’ensemble, des gars comme BasquiatThe Soul Rebels, Kirk Knight et Freddie Joachim livrent des productions tout aussi propres.

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CLASSICISME CLASSICO-CLASSIQUE

Au final de cette aventure dans laquelle nous traîne Joey Bada$$ à travers son album B4.DA.$$ fait rejaillir un seul mot : classique. Classique face à l’engouement débordant autour d’un album plutôt sympa et bien produit, mais qui ne fait bouger aucune ligne et manque cruellement d’un titre porteur. Classique face à la crédulité de certains, et ils sont nombreux, à vouloir porter le gamin comme le sauveur du rap US et même de son histoire, alors qu’au fond, il n’a pas les épaules et encore le contenu pour le faire. Classique cette facilité à utiliser constamment le mot classique dès qu’un album de rap sort, encore une fois on crie avant d’analyser, et encore une fois on se projette sans savoir.

Au fond, cet album reste un premier essai qui montre encore beaucoup de failles et beaucoup d’axes de progression. B4.DA.$$ doit être vu comme un premier pavé à un édifice, la suite en toute logique devrait confirmer ce que l’on a pu entrapercevoir, et on l’espère facilement dépasser ce premier essai.

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