Cela fait des années qu’il trimballe ses symptômes, mais la peur de la fatalité l’a amené à se chercher des excuses : stress, passage à vide, envie d’autre chose, voire même un pragmatisme culturel sans tabou, bref tout était bon pour se voiler la face. Mais à plus de 40 ans, il est temps de se reprendre en main et mettre un mot sur ses maux : perte auditive, bourdonnement, névrose, vision trouble, spasmes, perte de repère et autres déréglages sensitifs, maladie imaginaire ou cancer incurable ?
Après un check up complet, un nombre de temps passé sous les machines médicinales comme les scans et les IRM, on a eu beau lui pomper le sang, aucune cause ou maladie n’a pas eu être diagnostiquée par la médecine traditionnelle. Mais derrière le soulagement d’une mort repoussée, les symptômes perdurent et l’angoisse reste son pain quotidien. En ce 28 avril 2014, c’est vers un tout autre style de médecine qu’il se tourne. Les premiers pas dans cette salle d’accueil très loin des standards médicaux le font alterner entre doute et réconfort. Une salle grisée avec des néons clignotants à découvert, un vieux canapé, et par terre, des magazines d’un autre temps se superposent : Radikal, L’Affiche, Get Busy, The Source… Leurs pages sont plus proches de la décomposition que de la sortie d’imprimerie, sur les murs de vieilles affiches de film dont il doit encore avoir les VHS dans un coin de sa cave se succèdent : Cannibal Holocaust, Night of the Living Dead, Evil Dead et même du Stallone dans Cobra, bref cette salle ne sent pas le détergeant ni les produits antibactériens des hôpitaux et cherche indirectement à sortir des voies communes… Mais un fond sonore le titille et très vite il reconnait l’un de ses standards – « Caught Up In The Game » de Bushwackas – et dans l’entrebâillement de la porte de la salle d’opération, certaines machines lui semblent très familières, sans pour autant arriver à remettre un nom dessus, trop réel pour un présent trop virtuel.
Un homme recouvert d’une blouse médicale verte et d’un masque de protection, le regard impassible, s’approche d’un pas assuré vers lui. Sur sa poche, un nom : Azaia, même pas précédé de la mention « docteur », de quoi mettre le doute sur les réelles motivations de ce personnage aussi inquiétant qu’envoûtant. Peu causant, il lui tend un formulaire papier avec comme seul renseignement demandé « nom du corps à réanimer »… Toujours ce silence entre eux deux, et il ne sait pas pourquoi, mais il s’exécute sans rechigner et écrit en majuscule et en caractères noirs les 6 lettres de son nom : H.I.P. H.O.P.
Calme, l’homme des lieux guide d’un geste son patient vers la salle d’opération. Le nombre de machines entassées est impressionnant, et en même temps, rien ne semble correspondre à ce qu’il a pu voir à l’hôpital. Ces amas de ferrailles, de plastiques et de lumières clignotantes lui frappent l’esprit et comme un électrochoc, tout se re-matérialise sous des appellations qui lui sont familières : claviers, Akai MPC 60 et 2000XL, Emu SP1200, Akai S950… Un vrai home-studio couplé bizarrement avec des magnétoscopes qui semblent HS, ou sur le point de mourir. Fils, péritels, câbles d’alimentation et ports USB viennent s’entrecroiser dans la plus grande anarchie, des bacs de vinyles et de VHS sont entreposés un peu partout et pourtant, ce qui aurait dû le révulser et lui faire prendre ses jambes à son cou se transforme en un réconfort intérieur, d’un seul coup le poids des maux laisse place à une étrange sensation de bien-être.
La main droite tendue vers un siège, Azaia lui indique en silence de s’installer et une fois posé, il remarque que l’homme n’est pas seul, que la pièce grouille de monde dans la même tenue qu’Azaia. Il arrive à en identifier quelques noms sur les blouses : Venom, Atronote, Kyo Itachi… il ne remarque même pas le tuyau qu’on lui implante dans la gorge et qu’il lui anesthésie tout le corps, seul son esprit reste éveillé captant le moindre des sons. Un premier bruit qui lui rappelle celui d’un cutter dans un tissu, puis le second bruit lourd d’une scie, et cette odeur bizarre, comme de l’os brûlé qui lui monte au nez. L’homme ne se doute de rien, et pourtant c’est bien un cerveau à nu sur lequel se penche Azaia, un jack de sa MPC dans la main droite, une péritel dans la gauche, Re-Animations…
54 minutes et 13 étapes, le tout pour une opération de la dernière chance, car si le patient ne connait pas ses symptômes, cela fait plus d’une décennie qu’Azaia les analyse, les autopsie et tente de les envenimer dans son laboratoire clandestin. Plus qu’un challenge, un dessein, une sorte de destinée qui conduit aujourd’hui Azaia à tenter le tout pour le tout… Certaines étapes seront brutales, de vrais électrochocs afin de réanimer ce cerveau gangréné, le goutte à goutte musical injecté dans l’air de Wemicke à base de Re-Animators et Lifecheck alternent codéines, psychotropes et flow rageur des Dirt Platoons et de Skanks. D’autres étapes demandent une précision chirurgicale de pointe, du beat nocturne et affûté, pour entrer dans la noirceur du lobe frontal où seuls des outils pointus comme Fel Sweetenberg (Brain Damages), John Robinson (City’s Flesh) ou Finale (The Underdog) peuvent y arriver. Tout ne peut être sauvé, et une partie de l’aire auditive primaire a dû être extirpée pour sauver le reste, la préservation de la motricité du patient n’était pas un postulat de départ de cette intervention.
L’effet nécrophile de pilules comme Nine (Frankenine), Reks (No Cure) et Phase One (Sacrifice) pulvérise les cellules pourries pendant qu’Azaia tente un pontage auditif à coup de boom-bap de beats scalpés dont lui seul a le secret. La partie la plus délicate concerne l’aire sensorielle qui semble complétement déconnectée du reste, une matière visqueuse inerte dont 80% présente des tâches verdâtres de mauvaises augures. Localiser, isoler et panser sans faire descendre la SAT du patient, on injecte du Wildelux par le haut, et les anticorps surdosés de Street Smartz par le bas.
Sol ruisselant de sang, des morceaux de cervelle étalés au quatre coins de la salle, des moteurs de machines en surchauffe créant un vacarme vrombissant, des mains qui s’activent sur les manettes, d’autres insérant des compresses de scratches pour booster les anticoagulants. Il fait presque 38 degrés, les fronts ruissellent et les muscles sont tendus à leur limite humaine, la boite crânienne est prête à être replacée et les éléments de suture à disposition afin de laisser un mixage sans cicatrices. Les hommes se placent derrière le chirurgien Azaia, le silence s’instaure naturellement ne laissant plus que le bip des machines, le clignotement des lumières donne la cadence, il est temps de débrancher. 5,4,3,2,1, Re-Animations…
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