Le rap est une musique qui évolue particulièrement rapidement. De fait, certains rappeurs qui ont connu le succès voient leur genre musical de prédilection muter à plusieurs reprises, alors même que leur carrière ne paraît parfois pas si prolongée que cela : raison pour laquelle certains d’entre eux tentent de s’adapter en se faufilant dans les nouveaux sous-genres à la mode.
Depuis l’hégémonie d’Atlanta et de Chicago sur le rap, certains rappeurs français s’étant fait connaître dans les années 90, ou au début des années 2000, ont tenté de se mettre à la page en suivant les tendances trap ou drill. Sans vouloir faire dans le jeunisme primaire, cela fut, la plupart du temps, profondément gênant. Leurs tentatives d’adaptation ont raté dans une grande majorité des cas, et ne leur ont pas fait gagner un nouveau public ; les jeunes auditeurs de rap préfèrent écouter les rappeurs de leur génération, maîtrisant souvent mieux le genre, tout en étant plus proche d’eux ; tandis que leur public initial, parfois quelque peu conservateur, n’attend absolument pas cela d’eux. Ce choix fut donc très souvent contre-productif, pour des raisons que nous allons tenter d’élucider ci-dessous.
Les choix de prod’ :
Les rappeurs s’inscrivant dans cette démarche ont la fâcheuse tendance de choisir des productions ultra-clichées. Rythmiques vues et revues, synthétiseurs criards, et sub bass foireux, en agissant comme si ils avaient compris de quoi était faite cette musique. Ils semblent vouloir poser sur des instrumentales lourdes, tapageuses, brutales … mais en dernière instance, rappent sur des production en plastique, obsolètes avant même leur sortie. Là où ça devient dérangeant, c’est que par ces choix de production, ils démontrent leur vision caricaturale de cette musique et prouvent qu’ils ne comprennent pas ce qui fait une bonne production trap. Une sub-bass ça se travaille… Il ne suffit pas d’empiler les éléments pour que la sauce prenne, encore faut-il trouver la recette qui va avec ! Et non, ce n’est pas parce que les gros producteurs trap travaillent souvent avec les mêmes logiciels et VST qu’ils font tous la même chose…
Ce que font les rappeurs mis en avant ici est équivalent à ce que font les jeunes dreadeux blancs qui tapent sur des seaux dans des parcs en pensant rendre hommage aux tambours du Bronx.
Le rap :
Autre partie profondément dérangeante : la manière d’appréhender les instrus. Il semble que les rappeurs qui tentent de s’adapter ont une incompréhension profonde de ce que sont les placements trap. Ils se contentent généralement de bêtement copier des placements de jeunes rappeurs français à la mode, qui ont eux même copié ces placements sur des grosses têtes US. Ça commence donc à faire beaucoup de photocopie pour des gens qui ont bien souvent marqué l’histoire du rap français, et c’est fort dommageable… Les rythmiques trap laissent justement beaucoup de liberté pour inventer des patterns originaux, autant en profiter.
Tout cela démontre finalement leur incapacité à structurer un morceau en profondeur, d’autant plus qu’on les sent bien souvent incapables de bosser leurs placements d’adlibs pour bien contrebalancer leur rap, ce qui est pourtant une part importante de ce qui fait l’équilibre de cette musique.
Les lyrics :
Les rappeurs français sont en général persuadés que s’ils choisissent de rapper sur une production trap pour la première fois, ils seront obligés de hurler qu’ils sont eux aussi capables d’appréhender le genre. Qu’ils sont dans l’air du temps, et qu’ils peuvent battre la nouvelle génération sur son propre terrain. Alors que tout le monde se rend bien compte que non, ce n’est pas le cas. On a presque l’impression de voir un vieux séducteur sortir de la maison de retraite avec ces techniques old-school pour tenter de charmer les jeunes filles… C’est gênant pour tout le monde.
Cela va souvent de pair avec une autre facette : soit le vieux rappeur décide d’adopter un discours hardcore surjoué et qu’on ne lui a jamais connu, pour tenter d’apporter une couche de violence supplémentaire et s’adapter au haut taux d’agressivité qui règne parfois dans le genre ; soit il tente de prendre le contre-pied avec un discours dit conscient, mais qui vire régulièrement à la démagogie.
Deux cas originaux : Médine et Gab’1
En dehors de cet archétype d’adaptation ratée développé ci-dessus, on relève tout de même deux cas plutôt intéressants : ceux de Médine et de Gab’1.
Le premier n’a pas une maîtrise incroyable du genre, mais en faisant évoluer sa musique dans cette direction, il a finalement fait un choix assez malin. En reprenant une forme qui attire les jeunes, tant dans la vidéo, que dans la production et le flow, il a pu s’attirer un nouveau public, sans non plus renier ce qui fait son identité. Cela lui a donc permis d’attirer de nouvelles générations d’auditeurs vers lui, et de les amener à son message et à sa volonté de conscientisation. Quoi qu’on pense des vertus de ce type de rap, la démarche est, sur le principe, assez salutaire.
L’autre cas, plus amusant, est donc celui de MC Jean Gab’1. On connaît son amour de la provocation qu’il n’a cessé de développer au cours de toutes ces années par ses moqueries sur le rap game français. L’adaptation à la trap fut finalement une nouvelle raison de ricaner pour lui, puisque dans son dernier projet, Gab’1 décide de tourner cette tendance en ridicule jusqu’à chantonner en yaourt en imitant Young Thug. Bête et méchant, mais au final assez jubilatoire.
En bref :
Si l’on excepte ces rares cas d’évolution intelligente, incarnés par Médine ou Gab’1 qui ont décidé de rentrer dans la trap tout en conservant pleinement leur identité, ces tentatives d’adaptation à l’époque dénotent une incompréhension profonde de cette dernière. Des rappeurs qui semblent peu s’intéresser au genre qu’ils abordent – ou alors qu’ils ne l’ont compris que de manière superficielle – et à qui le public n’a finalement jamais demandé de se travestir. Par pitié, vieillissez dans la musique avec dignité, explorez de nouvelles voies qui vous sont propres, mais ne tentez surtout pas de vous adapter au public rap : il n’y a rien de pire.
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