Le 6 septembre dernier paraissait chez Actes Sud la pièce de théâtre de Kery James. La première de couverture, minimaliste et va-t-en guerre, annonce une pièce à son image, lui qui se définit comme un « rappeur et poète humaniste ». A l’assaut d’une société A Vif, Alix Mathurin part en croisade et à la croisée des genres, entre théâtre et politique. Écrite par ce dernier, mise en scène par Jean-Pierre Baro, la pièce est jouée en France depuis plus d’un an ; retour sur sa représentation grenobloise.
Devant un public des plus hétéroclite, composé de quarantenaires cultivés, de retraités rentabilisant leur carte d’abonnement et de passionnés de rap, Kery James rejoue pour la énième fois son entrée fracassante dans l’arène du théâtre français. Pour ce public impatient, il rejoue son irruption dans la cour des grands, après des années d’aspiration à la reconnaissance « légitime » de son oeuvre poético-rapistique. Ténor du rap français, incontournable depuis presque deux décennies, il se définit comme un rappeur à « contre-courant » et c’est bien ce qu’il s’efforcera de prouver au cours des quelques 90 minutes de représentation.
Une fois les lumières éteintes, ce sont deux hommes qui s’offrent au public du théâtre. Un homme noir d’abord ; c’est Kery James, dans le rôle de Souleymann Traoré. Et puis un homme blanc, l’acteur Yannick Landrein, interprétant celui de Yann Jaraudière. Tous deux avocats, il vont s’affronter dans un concours d’éloquence sur le thème suivant : « L’Etat est-il le seul responsable de la situation dans les banlieues ? » C’est évidemment maître Souleymann qui défendra la négative, alors que son interlocuteur soutiendra que l’Etat est à l’origine des problèmes auxquels font face les banlieues françaises.
La mise en scène se veut moderne, épurée et absolument binaire : deux hommes, deux pupitres, deux chaises se faisant face aux extrémités d’une longue table, un « fils de banquier » face à un représentant des « petites gens ». Avant même que les personnages s’affirment, on comprend que leurs points de vue seront irréconciliables. Cette pièce est un débat sans compromis, un spectacle d’opposition entre eux, et nous.
« Responsabiliser », « assistés », « travailler dur » ; c’est par des formules chocs que Kery James défendra sa position, collant parfaitement à l’exercice du concours d’éloquence. Semblable à lui-même et au rap qu’on lui connait, il lâche au goutte à goutte cette même émotion immuable et intransigeante, ne s’emballe jamais. Désabusé et volontariste, le personnage de Kery James défendra coûte que coûte cet adage résolument populaire ; quand on veut, on peut. En somme, il défend la trajectoire qui est la sienne, celle de l’extra-ordinaire, et laissera à son adversaire, dont il a lui même écrire le texte, le soin de les mettre, lui et son argumentation, face aux contradictions.
Entre auto-critique et auto-promotion, la pièce se révèle être, au fil des joutes verbales, une pièce sur mesure, par Kery James et sur Kery James.
Cette pièce a le mérite d’affirmer des idées concrètes et construites, portées de bout en bout par une argumentation partant du personnage de Kery James… pour en arriver à la personne d’Alix Mathurin, et à son destin. Une belle pièce sur lui-même avant tout ; la banlieue, l’intégration, les jeunes, étant traités, depuis le prisme d’une histoire de vie, celle d’un rappeur « à contre-courant », fidèle à lui-même et à ses allitérations. Fidèle à lui-même, puisqu’il dévoilait dans un entretien pour L’Humanité il y a dix ans déjà, la trame de cette pièce somme toute assez manichéenne : « Le courant majoritaire consiste à n’accuser que l’État uniquement, sans jamais se remettre en question. Moi, je vais à contre-courant. ». Dans les théâtres de France, Alix Maturin ambitionne de « dire tout haut ce que les autres pensent tout bas », mais déclame surtout à qui veut l’entendre, ce qu’il rappe depuis des années. Lui qui se réclame d’un « l’humanisme » politique, révèle surtout sa fierté pour un parcours qui a fait de lui un exemple pour beaucoup. Mais ce parcours se trouve entaché par les la répétition d’idées teintées d’idéalisme républicain sans véritable remise en question.
« A vif » propose donc un théâtre de rhétorique et d’éloquence, assurément sans nuances mais répondant aux exigences du genre. Si le pari était de démocratiser sa parole auprès d’un public plus étendu, alors il est réussi pour Kery James qui signe une oeuvre intense, comme un concert en costard. Mais pour échapper au dualisme structurant cette pièce très didactique, laissons le mot de la fin à un autre des prophètes du rap français : « Beaucoup trop d’banlieusards au shtar, le responsable c’est leur bigot »
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