Une semaine avec Jul

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©Margaux Birch

« Alors là c’est là que j’ai eu l’idée … Alors là l’idée que j’conseille à tout le monde hein ! »  (Jean-Louis Costes, LSD et compagnie)

Samedi 6 février, je me réveille avec une drôle d’idée : et si j’écoutais uniquement Jul pendant une semaine ? Il se trouve que je fais confiance aux trucs absurdes qui me traversent l’esprit au réveil, et que j’ai décidé de soumettre ma connerie aux patrons, qui l’ont approuvée. C’est décidé, je commencerais un marathon Jul dès demain. Je sens le grand changement arriver comme Sam Cooke : ma vie ne sera sans doute plus jamais la même après cela.

Jour 1, dimanche 7 février :

Je me lève et la première action que j’exécute est celle de lancer Lacrizeomic, avant même de démarrer la cafetière. C’est dimanche, jour du seigneur, et je passe ma matinée avec Saint Jean La Puenta. Je me sens rapidement agressé par des envolées autotunées assez sales, et notamment par le morceau « Loin ».

Je réalise que Lacrizeomic est quand même bien bien indigeste, mais pour avoir déjà écouté un certain nombre de titres de Jul, je sais qu’il a tout de même fait des progrès après cela. Je fous My World sur mon MP3 avant de sortir, et effectivement, le niveau est bien plus élevé. Jul a trouvé une identité plus marquée entre temps. Trois disques se glissent entre Lacrizeomic et My World, reste à se plonger plus en profondeur là dedans. L’après-midi, je vais voir Ran de Kurosawa au cinéma, et à chaque fois que le personnage de fou du roi s’agite, j’entends la voix de Jul répéter dans ma tête « Petit pas de daaaanse … ». Ça y est, on va pouvoir commencer à parler sérieusement.

Jour 2, lundi 8 février

Gueule de bois. J’écoute « Mon rêve », son dans lequel Jul répète « c’est qu’un rêve j’suis dans mon lit ». Je me demande si c’est la réalité ou non. Plus que d’écouter Jul, la torture en soi devient en réalité de ne pas cliquer sur tous les liens qui traînent pour écouter les nouveaux sons qui viennent de tomber. Tout cela devient une vraie expérience de lutte contre la modernité. Je me sens de retour avant Internet, à l’époque où on se contentait des quelques disques qui nous entouraient.

J’écoute beaucoup My World et je commence à connaître le disque par cœur. Il y a un paquet de sons que j’ai du mal à écouter mais je prends du plaisir sur certains morceaux, notamment « Ghostrider », « En Y », « Dans l’appart » ou « C’est réel ». En fait, mes sons préférés de Jul sont les plus émos, ceux où il demande qu’on le laisse, au choix, « dans sa bulle » ou « dans son délire ». Les morceaux introspectifs où il s’expose en craquant un peu sa coquille. Je découvre que Cabella a fait le signe Jul après son but contre l’OM, et que les joueurs du PSG ont répliqué avec le même geste dans les vestiaires, après leur victoire. Je me sens dans l’air du temps. Jul est partout.

Jour 3, mardi 9 février

J’ai un rendez-vous Pôle Emploi. Dans la salle d’attente, un conseiller demande à la fille avec qui il a rendez-vous ce qu’elle est en train d’écouter : « J’espère que c’est bien au moins ! – Oh ben ça dépend de vos goûts … – C’est quoi ? – Jul. – Ah, j’connais pas. » Les étoiles sont alignées. Jul m’a mis de bonne humeur, et on se marre bien avec Séverine, ma conseillère Pôle Emploi. Si tu nous lis, salut à toi Séverine.

Je parle de Jul avec un pote qui me dit que c’est chiant parce que toujours joyeux. Hé gros, j’ai été à la fac à Paris 3, j’ai fait de la manutention dans des entrepôts, et j’ai discuté avec des militants du parti socialiste, c’est dire si j’en ai entendu des conneries dans ma vie, mais des comme ça, jamais ! Non, Jul c’est justement tout l’inverse, il baigne dans la mélancolie la plus profonde. Tellement profonde que même les morceaux supposés apporter une dose de joie sur les albums finissent par être teintés d’amertume, ancrés au milieu d’album bien sombres.

Bref, la journée avance, je rentre chez moi et je découvre que Jul est en train de faire un live Périscope dans lequel il écrit et enregistre un morceau. Les étoiles je vous dis. Le rappeur marseillais donne son avis sur les meilleures variétés d’Oasis, demande de l’aide pour ses rimes « Hé les gars j’ai besoin d’un truc qui rime avec mocassin là ! » « Hé c’est qui Joe Dassin au fait ? », … Il finit finalement par rapper des bouts de textes, et par faire du yaourt pour compléter les trous, cherchant encore quelques rimes. Une fois le texte complété, il se met à rapper le tout derrière le micro avant de se mettre à chantonner une mélodie à l’arrache, à la recherche d’un refrain. La mélodie avant les mots donc. Obladi-Oblada…
Des potes viennent chez moi le soir. Je leur dit qu’ils ont le choix entre le silence et Jul, et ils choisissent le silence.

Jour 4, mercredi 10 février

Je commence à être bien lassé par My World qui est finalement loin d’être son meilleur album. Je trouve pas le sommeil finit par plus trouver grâce à mes oreilles. Le mauvais goût pur y est un peu moins présent, et l’album est dans la teinte qui me plaît le plus chez Jul. Ce qu’il y a d’assez étrange chez Jul, c’est que son écriture fait dans la simplicité la plus totale. Pas de figures de style, pas de multi (en même temps on s’en fout des multis), rien. Mais en même temps, c’est aussi ce qui fait toute l’émotion et la touchante naïveté de sa musique.

Beaucoup espèrent que Jul finira par poser sur d’autres productions que les siennes. J’ai aussi longtemps pensé la même chose, tellement je trouvais ça faiblard sur tous les plans. J’ai finalement fini par me rendre compte que Jul ne serait rien sans cela. Les productions sont simples comme les émotions développées, mais ça finit par toucher une certaine pureté. Finalement, c’est honnête jusque dans la forme. Il y a quelque chose d’assez similaire à un certain cinéma américain qui fonctionne sur des schémas très basiques, des émotions simples mais universelles, à l’image de la saga Rocky. Pour moi, Jul se situe un peu dans ce carcan-là.

Jour 5, jeudi 11 février

J’ai un peu triché cette nuit. J’ai rêvé que j’interprétais un morceau de Earth Wind & Fire avec Juicy J, après avoir kidnappé ce dernier à l’aide de ma famille (c’était un cas de légitime défense, tranquille). Ensuite, j’ai parlé des préférences de Jul en terme d’Oasis à un pote qui m’a répliqué : « C’est marrant parce que c’est exactement le goût qu’a sa musique. C’est synthétique, sucré, et assez dégueulasse dans le fond, mais c’est étrangement addictif. » Une bonne définition.

Une certaine forme de lassitude commence tout de même à s’installer. J’ai bien parcouru tous les disques, et je n’ai plus de découvertes à faire. Le problème avec le son de Jul, c’est aussi que ce n’est absolument pas une musique à creuser. Il y a là quelque chose de très instantané et sans mystères. Je me rend compte que j’aime particulièrement écouter ce qu’on appelle des growers. Des albums qui peuvent parfois paraître décevants à la première écoute, mais dont on sent la force interne. Des albums où l’on sent le taff structurel, où l’on sent les messages cachés, et où sur lesquels on finit par revenir de plus en plus. Et ça grandit peu à peu jusqu’à ce que le disque devienne indispensable. Mes albums préférés rentrent souvent dans cette catégorie-là.

Jour 6, vendredi 12 février

Je commence à faire le signe Jul devant mon miroir. J’en peux plus sa mère, aidez moi. J’ai l’impression d’avoir avalé trop de sucre. Je me sens rongé de l’intérieur et j’ai du mal à me concentrer sur les tâches que je dois gérer. Je demande à un ami d’écouter Hotel Paranoïa de Jazz Cartier et de me donner son avis dessus, pour voir si j’y trouve un plaisir par procuration.

Je me concocte un best-of qui mélange avant tout des sons de Dans ma Paranoïa, Je trouve pas le sommeil et Je tourne en rond, qui sont selon moi les trois disques où il y a le plus de choses à sauver. J’esquive avec habileté les featurings improbables, pardon Khalif Hardcore, pardon Julie Gonzalez. Le problème c’est qu’il s’agit avant tout de plaisirs instantanés qui vieillissent assez mal … Ça me fait penser à cette séquence de Deep Red où le personnage principal gratte le mur et voit apparaître un grand dessin derrière. J’ai moi aussi gratté le mur, mais je n’ai rien trouvé de plus.

Jour 7, samedi 13 février

Je ne sais honnêtement plus quoi dire. J’ai ingéré. Je comprends ce qui plaît, je respecte totalement le personnage, et je comprends aussi en quoi ça peut dégoûter. J’ai oscillé entre les deux états. Maintenant, j’attends la fin. J’ai voulu enfiler mon plus beau short à fleurs pour célébrer ce final, mais il fait trop froid. Du coup, je me demande comment font les types qui se baladent dans ma rue en tatanes au milieu du mois de janvier.

Après la bataille

C’était plus compliqué que ce que je pensais. Il y a eu des jours difficiles, des instants de jubilation. J’ai souri bêtement tout seul en remontant des boulevards avec mon lecteur MP3 sur les oreilles, et par moment j’ai même cru que Jul me portait chance. Un mélange d’instants de grâce et de souffrance.

Selon mes calculs, j’aurais écouté environ 300 sons de Jul en 7 jours. Et oui, je veux bien cette médaille dont vous me parlez depuis les années 90. J’en ressortirai tout de même avec une légère interrogation : les fanatiques de Jul – et je sais qu’il en existe, y compris parmi ceux qui gribouillent comme moi sur la musique rap – comment pouvez-vous tenir sur la durée, et laisser ces albums vieillir en vous ?

A l’inverse, petit message pour ceux qui ont tendance à cracher facilement sur Jul en ayant écouté un ou deux singles : même si ça vous fait mal, essayez quand même un album. Vous trouverez probablement ça pénible musicalement, mais vous comprendrez sans doute que vous avez fausse route sur ses intentions et sur les tonalités émotionnelles qui composent sa musique. Non, Jul n’incitera à priori pas votre petit frère à la violence ou à la consommation de drogues. L’esprit Hip-Hop est sauvé.

Au final, cette semaine m’aura fait développer deux ou trois réflexions sur mon propre rapport à la musique, et c’est principalement ça que je retiendrais. Le lecteur aura lui appris qu’écrire sur le rap, c’est quand même une activité d’enculé de chômeur.

ReapHit Jul

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