Lundi 18 mai 2015, date impériale s’il en est, Reaphit rencontre Lomepal pour discuter de Majesté, dernier EP de cette plume du XIIIème arr. et deuxième volet du diptyque amorcé avec Seigneur, dans les bacs depuis la rentrée 2014. Et tout en reconnaissant aux huit titres de Seigneur leurs qualités… nous étions comme qui dirait passés à côté. Une bonne occasion de ressortir le disque de l’étagère pour aborder simultanément les deux pièces de l’ensemble
La paire couvre deux univers : l’un lié « à la réalité triste, dure, et on va dire, consciente », l’autre « à l’inconscient, au fait de [s]’inventer une vie, rigoler ». A un assortiment de titres plutôt obscurs succède donc un bouquet plus serein et musicalement plus varié; et parce qu’il est joueur, Lomepal fait fi des codes visuels classiques en rendant la lumière perçante des néons d’hôpital bien plus sinistre que l’apparente noirceur brumeuse de Majesté. L’esthétique du clip du titre éponyme de Majesté concorde avec l’idée de sagesse (ou de fureur ?) divine véhiculée par la jaquette.
Une fois les bases posées, il ajoute « on peut bien sûr retrouver des phases sérieuses dans Majesté et des trucs moins sérieux dans Seigneur ». On acquiesce, un « Toi Et Moi » étant bien plus difficile à prendre au sérieux qu’un « Ego ». Et pourtant, alors qu’on le lance sur les thématiques du dernier EP, voilà qu’il nous lâche, désinvolte : « Ouais… c’est de l’egotrip quoi ». Ah, le fameux. Sauf qu’on est quand même loin des textes sans fond auxquels il n’est pas utile de prêter ses deux oreilles. Lomepal se creuse un tout petit plus la tête que ce qu’il veut bien nous indiquer, et chez lui, l’égotrip, comme toute forme de flatterie, ne vit qu’aux dépens de celui qui l’écoute.
On aurait pu y croire à ce détachement presque effronté de surface, lorsqu’il fredonne entre ses injonctions à l’appeler Majesté ; d’ailleurs, en passant de Seigneur à Majesté, le rappeur passe une étape supplémentaire dans l’éloge de soi. Car si l’on respecte le premier pour ce qu’il possède, le second mérite le respect simplement pour ce qu’il est. Morceaux choisis : « J’essaie de m’calmer mais le jeune prince n’arrête pas de crier » ou encore « J’vais pas faire comme si ce n’était agréable / J’ai toujours su que j’étais l’élu / Mais j’ai quand même traité les autres d’égal à égal ».
« C’est vrai que ça, c’est mon défaut. J’ai tendance, sans le faire exprès, à parfois me sentir supérieur aux gens… mais je sais que c’est un défaut. C’est juste que, trop facilement, mon cerveau va se dire que ces gens-là sont moins bien ou quelque chose comme ça. Mais c’est pas bien, hein, je le sais. Parfois je vois des gens, et je m’énerve à me dire que leurs réactions ou leurs points de vue, je les trouve un peu primitifs… je l’impression qu’ils ne réfléchissent pas et ça m’énerve [rires] »
Mais quelle est cette essence dont jouit Lomepal, qui justifierait son sentiment d’être à part, spécial, « tellement différent » (« Solo », prod. VM The Don). Nous verrions bien un élément de réponse dans sa volonté de chercher toujours plus loin, d’essayer de comprendre ce qui n’est pas nécessairement accessible à l’œil non-entrainé. La reconnaissance que le rappeur demande lui est due en raison de toutes ces aptitudes qu’il fait l’effort de travailler. A travers son rapport aux autres, c’est plutôt un rapport global au monde que Lomepal semble invariablement décrire. Le monde ne lui correspond pas, le réel est incompréhensible. Tout ce qu’il peut nous offrir de certain, c’est la malhonnêteté et l’animalité des humains, prêts à tout pour leur survie (1/12, Auto-Justice). « Les Troubles du Seigneur« (prod. Vidji) indique d’ailleurs que rien n’est digne de confiance, ni les autres, ni soi-même, et qu’essayer de comprendre est donc vain :
« Seigneur était beaucoup plus personnel […]. Sur Les Troubles du Seigneur je traite d’une thématique à laquelle j’ai longtemps réfléchi quand j’étais plus jeune, le fait de se dire qu’au final, on ne sait rien… j’avais ce truc-là de me dire que la seule preuve qu’on a de tout, c’est ton point de vue, parce que tout ce qui t’entoure et tout ce que tu peux voir à l’extérieur, c’est ton cerveau qui le lit, donc ça passe par le périphérique de tes sens, alors si ça se trouve, tout peut être faussé, et je trouve ça un peu angoissant. C’est bien parce que ce morceau a bien été compris par beaucoup de gens, j’ai reçu des messages, ça m’a fait plaisir »
.
« Mais j’suis loin d’être un jeune malotru, trop curieux / Je cherche plus le problème que sa solution / Alors j’avance, le regard focus et j’commence à devenir furieux / J’ai juste besoin d’une preuve absolue, attends, attends ». Alors que faire face à l’absence de « preuve absolue » ? La manière dont le rappeur traite cette problématique est très appliquée à l’environnement du vingtenaire : « Cherchant le paradis, l’alcool en guise de pied de biche on force le seul accès » scande-t-il sur « Enter the Void » (prod. Nat Powers), avec assez de recul pour reconnaître le caractère inapproprié de la solution face à l’ampleur du problème, mais sans s’exclure de la foule qui se jette dans cette échappatoire.
Fuir est effectivement l’une des possibilités : la lenteur vaporeuse de »Dans les étoiles » (prod. Meyso) connote positivement le voyage, quand les notes mélancoliques d’ « Avion Malaisien » (prod. Stwo) le présente comme une tentation à laquelle il ne faudrait pas céder. Une autre possibilité est d’accepter et de trouver la beauté et la poésie dans des détails du quotidien (« Passe au Dessus », prod. Meyso, « Chienne de Vie », prod. Meyso), un quotidien à renouveler sans cesse. C’est peut-être là que se trouve la quête de Lomepal. « J’emmerde les cadres en costards fiers de leurs apparences / Non, j’attends plus rien des passants qui veulent savoir ce que font mes parents » ou « J’ai pas attendu mon premier salaire pour être sûr que j’ai de la valeur » (Chute Libre, prod. Stwo) sont autant de phases révélatrices.
« Moi j’ai ce truc-là, à fond ; il est hors de question que je passe ma vie à faire quelque chose de banal. Ca me fait très peur. Là je fais du rap parce que je suis encore jeune mais si j’avais trente-cinq ans je ne sais pas si je ferais encore du rap, j’ai tellement de choses à faire dans la vie. Il faut que je la rende rentable d’un point de vue personnel. Du coup, c’est sûr que je ne peux pas me satisfaire d’une vie banale, une vie normale quoi où tu es comme tout le monde […].
J’ai besoin de plus que les autres; c’est un peu con à dire mais je ne veux pas me satisfaire de la vie que pourrait aussi avoir mon prochain, j’ai cette démangeaison de réussir plus que tout le monde, dans tout […]. Je ne peux pas profiter de quelque chose si ça devient monotone, alors je dois renouveler mes envies tous les jours. Si demain je suis milliardaire dans une piscine, si j’ai la même vie tous les jours, ça va devenir banal pour moi. Ce n’est pas une histoire d’argent mais de réussite et d’accomplissement de soi-même. J’ai besoin d’être fier de moi et ça c’est un combat de tous les jours »
Pour soigner les dissonances entre soi et son monde, il faut donc tous les jours « multiplier les expériences », artistiques ou non. Déconstruire ce que l’on sait déjà pour trouver de nouvelles choses à bâtir. Les « ovnis » que sont « La Marelle » (prod. Hologram Lo) et « Toi et Moi », qui, du propre aveu de Lomepal, relèvent du « grand n’importe quoi », viennent aussi de l’envie de se lancer le défi de jouer avec les images et l’interprétation. Un pied de nez aux commentateurs qui y verront la manifestation macabre de son apparente hostilité à l’égard des autres. Très impliqué dans la réalisation de ses clips, Lomepal (qui vient du monde de la vidéo) se voit comme un « producteur », qui « donne des idées, tout en laissant le noyau créatif aux réalisateurs ». Créer un ambiance, inventer et incarner un personnage, raconter quelque chose et convaincre sont de plus grand intérêt que d’être le « meilleur rimeur » :
« J’aime changer d’intonation, de ton, entrer à fond dans un personnage, je trouve ça super intéressant. Il y a des rappeurs que j’admire beaucoup qui ne sont pas forcément très techniques […]. Un gars comme A$AP Rocky n’a pas des textes très intéressants mais son interprétation est trop folle. Dans mon entourage, je trouve que Nekfeu arrive de plus en plus à imprimer son identité »
On le savait, le titre de l’avant dernier morceau de Majesté (« Ego », prod. JeanJass) était trop évident pour qu’on tombe dans le panneau; une voix tellement gentillette qu’inquiétante accompagne la prod envoutante pour nous convaincre de sa perfection ; certainement un nouveau rôle pour le rappeur. Mais en essayant nous charmer (avec succès), n’est ce pas lui qui tente de se convaincre ? C’est peut-être pour ça qu’on n’écoute pas l’égotrip de Lomepal comme n’importe quel autre; au lieu d’être auto-complaisant, il taraude au contraire celui-là même qui tient la plume.
« Parler de mon couronnement c’est cool, alors pourquoi chercher de nouveaux thèmes me saoule autant » (« Solo », prod. VM The Don). Bien d’autres thèmes que son couronnement s’inscrivent effectivement dans Seigneur et Majesté, ou les survolent simplement. En creux, quitte à être pompeux, on croirait même retrouver quelques questions plus abstraites comme l’absurde camusien, l’impossibilité kantienne de connaitre les choses en soi, ou encore l’expression de la négativité de l’homme. Bien sûr, on n’entend jamais que ce qu’on veut entendre. On laissera néanmoins le principal intéressé conclure quant à ses réflexions tendant parfois vers la philosophie :
« Même sans avoir pris de cours, sans avoir lu les écrits des anciens, je crois qu’on peut parler de philosophie,
dès qu’on se pose une question et qu’on y réfléchit »
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