Despo Rutti & Jamais 203

In Interviews by Florian ReapHitLeave a Comment

Il y a pile un mois, le vendredi 18 octobre 2013, nous nous rendions dans le VDS (le Val-de-Sambre, pour les néophytes) et plus exactement dans la petite ville de Maubeuge  pour l’affiche principale du cinquième Sweet & Street Festival, organisé par les potes de Secteur 7. Au programme, pour cette soirée : le street Niro, les sweet tontons de Raggasonic, et un trio qui nous intrigue, Jamais 203, composé de MoklessGuizmo et Despo Rutti. Rencontre en coulisses avec le collectif dans un premier temps, puis entretien plus personnel avec Despo Root’s. Éclairs de lune, à Maubeuge.

On connait tous vos différences de parcours mais on saisit plus difficilement les points communs. Comment s’est faite la rencontre ? C’est Y&W l’élément déclencheur ?

Despo Rutti : Yonea & Willy ont été l’élément déclencheur, c’est sûr, mais à la base, c’est ma collaboration avec Guizmo pour le titre « Bitume » sur son album C’est Tout qui a lancé l’idée. La rencontre s’est très bien passée, on a bien déliré, il y a eu un feeling humain qui s’est installé, on a même fini par partir en vacances ensemble.
Suite à ça, Y&W ont monté leur studio, et je passais de temps en temps leur rendre visite, c’est par ce biais que j’ai rencontré Mokless, là encore un feeling humain. On me dit que j’ai fait pas mal de featurings, mais non, je les ai tous choisi.
Et quand on voit où ils en sont maintenant, que ce soit FababyKaaris, etc, c’était certes une relation humaine, mais aussi parce que j’y croyais. Je fais les choses avant tout pour ça.
Si je suis dans ce projet Jamais 203, c’est parce que j’estime que Guizmo et Mokless ont de grands talents. Guizmo est un fin kickeur, bousillé aussi par la multisyllabique, la rime, les images. Mokless est un gros punchliner, on se comprend lui et moi les yeux fermés. Rajoute à cela le fait que ce soit une grosse tête du rap français, et que c’est un plaisir de travailler avec lui. Et tu comprends que l’association s’est faite naturellement.

C’est une association de gros noms du rap, on pourrait penser que c’est une bonne occasion de faire un peu de bif, un peu de scène et de vous retrouver tous ensemble…

Despo : Ben si ça fait du bif, tant mieux ! Mais on s’est avant tout associés pour faire de la bonne musique.

Mokless : Tout le monde sait qu’on ne se ressemble pas exactement dans nos carrières solo. On fait du rap, certes, mais pas sur le même créneau. Despo c’est des gros sons, moi j’ai mon délire « Jamais dans la tendance toujours dans la même direction » avec mon groupe, et Guizmo c’est la jeunesse, la fraicheur, et il nous ramène toute la nouvelle génération. Mais le projet s’est fait naturellement, on n’a pas fait de calculs. Y&W ne sont pas venus nous voir en nous disant : « les mecs faut faire un album commun, il s’appellera Jamais 203″. C’est pas une commande.

Despo : Quand on a fini le projet, on ne savait même pas qu’on avait 17 morceaux ! On ne s’est même pas dit qu’il nous fallait tel ou tel style, tel ou tel thème. On se voyait de temps en temps, on discutait, je ramenais ma clé USB avec des sons, «  tiens y’a une bonne instru, vas-y on la kicke ». Ça s’est fait dans une bonne ambiance et sans s’en rendre compte, on a accumulé ces 17 morceaux.

C’est aussi l’occasion de réunir 3 publics différents.

Guizmo : Mais ça, ce n’est qu’une conséquence de l’association. C’est un rap intergénérationnel mais y’a pas d’ancien dans Jamais 203. Mokless en vrai, il est pas plus vieux que pas mal de gros MC’s du moment. J’ai 22 piges, Despo 30, Mokless un peu plus, c’est un échange, comme un passage de relais. J’ai appris des trucs sur les punchlines en rappant avec Mokless et je pense que niveau kickage, Despo à pu apprendre certaines choses de moi.

Mokless : Ben oui, pareil, moi dans les placements ! Poser sur des beats lents ou saccadés, par exemple. Tu as vu comment les BPM ont ralenti en 10 ans ? Donc moi c’était pas forcément mon terrain, et le challenge il était aussi là. S’adapter tous les 3 sur une même prod. Et puis un artiste doit être là où on l’attend le moins.

Despo : C’est enrichissant ! Et en dehors du fait qu’une partie du public de chacun tire la gueule, ça leur a permis de tendre l’oreille sur deux autres artistes. Ceux qui écoutent Guizmo m’ont peut-être découvert, et inversement. Et on est assez satisfait de ça, on a des morceaux qui marchent bien, qui sont très commentés sur le net, on a fait de la bonne musique.

Avec « Le poids des mots » qui a 3 ans, Despo qui prévoit un nouvel album et la fin de la tournée de Guizmo. C’était un bon moyen de continuer à tourner ?

Mokless : J’vais pas te mentir, j’ai pas besoin de Jamais 203 pour tourner avec Le Poids des Mots ou avec la Scred Connexion. Le projet n’est pas né pour démarcher des scènes. Je l’ai fait parce que je le vois comme une continuité dans ma carrière. Ça m’intéressait pas de faire Despo – Guizmo – Klessmo de la Scred Connexion, je voulais me surpasser, et montrer que j’avais plusieurs cordes à mon arc. Et après tout, un artiste, il faut qu’il soit là où tu l’attends le moins. Tu m’attends à gauche, j’suis à droite cousin. Pense pas que je vais faire ce que tu crois que je dois faire. Les gens qui nous soutiennent le savent très bien. Après, les deux ou trois charlatans qui restent, on ne s’arrête pas dessus.

Ecrire tous ensemble ça vous a créé beaucoup de contraintes ?

Despo : Non pas des contraintes, mais plutôt un challenge.

Guizmo : Mais c’est un vrai plus. Quand tu sais ce que tu sais faire, y’a pas de challenge. Pour « Quel français tu parles », par exemple, je savais que Mokless et moi pouvions le faire, mais ça n’est pas vraiment notre domaine de prédilection, c’est plus dans l’univers de Despo. Et c’est kiffant de se dire qu’il faut faire aussi bien voir mieux que lui, même si ça n’est pas ce que je fais d’habitude. C’est chanmé.

Mokless : Là ce qui est intéressant, c’est l’alchimie des 3 personnalités. 3 univers différents, 3 publics différents. C’était un risque osé, et pas tout le monde ne l’aurait tenté. Nous, on a pris le risque sans se soucier des gens, des retours ou des ventes. Tu sais, on est des habitués, on vend pas de disques, t’inquiète pas… Moi, je vois juste cet album comme une continuité de nos carrières.

Et ça fait longtemps qu’on avait pas vu ce genre de regroupement dans le rap.

Despo : Depuis 10 ans et Ol’Kainry & Dany Dan, il y a de moins en moins de groupes du genre. On a perdu cet esprit là. A l’époque, tu avais les Time Bomb, les Saian Supa Crew, les 113

L’album Jamais 203 est disponible sur ItunesDeezer et Youtube.

Interview Despo Rutti

On t’attendait avec Les funérailles des tabous dans le style de « Apocalypto », tu reviens avec Jamais 203. La volonté du contre-pied ?

Despo Rutti : J’ai beaucoup travaillé ces dernières années – depuis la sortie de Convictions Suicidaires – sur un autre type de forme. Pas mal de personnes disent « Despo a du fond mais pas de forme », mais c’est faux ! C’est ma forme à moi, mes séquences de rimes qui sont parfois en 6 ou en 5 mesures, et non pas une forme en « 2-2-2″ comme ce qui se fait actuellement dans le rap français, et donc que beaucoup de gens ont du mal à encaisser.

C’est moi qui ai voulu que ce soit comme ça, avec cet espèce d’accent, ces roulements de R, ces prods super lentes, il faut avoir un univers. J’ai toujours vu le rap comme ça, ou la musique en général, ou même dans la vie, tu dois te démarquer. Je me rappelle des paroles de ma mère qui me disait toujours : « Ne fais pas comme tes amis, ne les copie pas. Ce n’est pas parce qu’ils vont se jeter du haut de la falaise que tu dois faire la même chose ». Je pense que c’est comme cela qu’on dure, en ayant une vraie identité, une personnalité, du caractère dans ce que tu pratiques. Avec Jamais 203, j’ai travaillé sur un autre type de forme et j’y ai pris du plaisir.

Après, sans vouloir manquer de respect à mes collègues qui viennent de partir, je n’ai pas appris à rapper différemment parce qu’ils étaient là. Ça m’a juste donné l’occasion de mettre réellement en pratique certaines idées, devant un micro plutôt qu’en solo chez moi quand je réfléchis à un placement de rimes. Une vraie mise en pratique avec des MC’s compétents, un exercice concret.

Jamais 203 m’a permis de tester pas mal de choses qui, au lieu d’être des essais techniques ratés, des expériences bizarres, ont donné de gros morceaux. La collaboration n’a fait que me tirer vers le haut.

Tu t’imposes rarement des barrières dans l’écriture – les refrains ne sont pas ton truc par exemple. Ecrire avec Guizmo et Mokless t’as créé des contraintes, tu as du t’imposer certaines limites.

D : DJ Boudj, mon ancien DJ, trouvait que je ne faisais pas assez de refrains gimmick, qui restent en tête, que le public peut reprendre en concert, etc. Et c’est une remarque pertinente, c’est vrai que les gens ont souvent besoin de ça pour retenir un morceau. Mais le rap français, c’est une musique qui s’écoute plus qu’elle ne se danse, à la base, et pour en faire, il faut avoir des choses à dire. Je me suis toujours concentré là-dessus, plutôt que sur la musicalité ou le coté dancefloor du morceau. Mais le projet qu’on a fait tous ensemble m’a envoyé dans cette direction.

Ça, effectivement, j’ai du le travailler. Je ne pouvais pas faire du Despo brut de pomme comme je fais d’habitude. Ça aurait pu donner des problèmes dans la structure des morceaux. Moi, quand je commence à écrire, ça donne des 36, des 42 (mesures nrdl) : « Ouais mais Despo, on est trois ! » – Bon, comment faire ? Ça s’est passé dans une bonne ambiance, du coup je demandais l’avis de Guizmo et Mokless, quelle punchline garder, sur quel passage se concentrer. Ça s’est fait de façon très conviviale. C’est la même chose pour la technique. La question des refrains, c’est une mise en pratique concrète de quelque chose que je travaillais déjà au moment où j’ai enquillé Les Funérailles des Tabous, et que je suis encore en train de travailler pour mon album qui arrive.

R : On retient souvent de tes morceaux, l’ambiance sombre et tes lignes polémiques, c’est peut être oublier un peu vite le coté social et narrateur ?

D : Je ne sais pas si je le fais exprès, si c’est un vrai calcul. C’est dans ma personnalité, c’est mon vécu, c’est ce que j’ai naturellement envie de dire ou de défendre, de descendre ou de glorifier. Pour le côté sombre, oui, je suis comme ça, même quand je rigole j’ai un humour bizarre. Il est pas forcément méchant ou cynique, mais avec un vécu, avec une lourdeur. C’est pas voulu, c’est malheureusement naturel.

Justement tu te décrirais plutôt comme un utopiste ou comme un idéaliste ?

D : Si je dois choisir entre les deux ? Idéaliste ! Je ne suis pas du tout un utopiste, je suis à l’opposé, je serais bien plus fataliste. Mais comme je le dis : « Ni fataliste, ni moraliste, j’suis agressivement réaliste ».

Et la trentaine, ça t’a fait changer de regard ?

D : Ouais, j’ai plus de cheveux, j’suis papa, j’ai une conception plus grave des choses. C’est une évolution. Et bien sûr que c’est une bonne chose ! Merci au créateur de m’avoir permis de la passer, la trentaine, y’en a qui malheureusement n’arrivent même pas à la vingtaine. Je suis content d’être trentenaire, et d’avoir réussi à garder une âme d’adolescent qui reste très présente.

Il y a pour nous un morceau qui décrit assez bien ton univers, c ’est « 360 Degrés – Angle Mort ». Cette approche fait de toi un des rares représentant du rap hardcore. Tu vois des gens sur le même terrain que toi ?

D : Avec ce je-m’en-foutisme du qu’en dira-t-on ? Non, personne. Chacun a sa provoc’, mais similaire à la mienne, je ne vois pas. Mes prises de positions sont parfois risquées, casse-cou. Quand tu débarques dans le rap français, que tu as moyen de marcher et d’avoir une visibilité, tu ne t’attaques pas à la religion, tu ne l’effleures même pas, tu n’y penses même pas en vrai !
Et moi il y a des choses que j’ai dites qui étaient vraiment de l’ordre de la sincérité, plus que de l’ordre du calcul ou du carriérisme. Et pour moi, ça fait la différence. J’ai parlé de sujets très controversés que beaucoup de rappeurs évitent. Mais comme je te le disais, ça se fait naturellement. Ce qu’on retrouve dans mes écrits, c’est 70% de ce que je peux dire dans une conversation avec des potes, ou même avec ma grand-mère. J’ai des conversations avec elle, elles sont graves. Elle est caillera dans sa manière d’amener les choses, elle te balance des trucs, tu hallucines. Je pense que ça fait partie de mon éducation, ce côté « on s’en tape ».

Après, oui, il y a eu des gens qui n’étaient pas contents, mais ce n’est pas parce que les gens n’apprécient pas d’entendre certaines choses que je n’ai pas le droit de les dire. Aujourd’hui, tout le monde a Twitter, et raconte tout et n’importe quoi. Si y’a un mec qui s’exprime sur Despo salement, je vais pas le traquer, lui mettre une équipe sur le dos ou quoi… C’est leur liberté d’expression. On a une liberté d’expression totale dans nos textes et en studio, c’est un juste retour des choses que les auditeurs aient une liberté d’expression totale dans leurs critiques.

Dans les freestyles promo de Jamais 203, pas mal de tes apparitions étaient des réutilisations de tes précédents textes. C’était un moyen de les faire découvrir à un autre public ?

D : Encore une fois je ne sais pas si c’est voulu, mais je suis un fainéant (rires). Je n’écris pas tout le temps, j’écris vraiment pour le charbon, quand il y a une séance studio, un morceau à faire. Le reste du temps, je préfère m’enrichir humainement avant de penser à écrire un 16 ou un 20 tous les jours.

Tu étais en procès pour la pochette des Sirènes du Charbon. Cette histoire est enfin oubliée ?

D : Ils ont fait semblant de nous oublier, peut être (rires). Le jour où je gagnerais 50 000 euros, on ne sait pas si le compte en banque ne risque pas d’être allégé !

A la base, Les Sirènes du Charbon comportait 2 disques. Le deuxième possède pas mal de gros morceaux, et est somme toute très peu connu. Tu penses le rééditer un jour dans sa forme d’origine ?

D : J’ai un problème avec les rééditions, j’ai l’impression de perdre l’âme du moment. On l’a déjà ressorti en un seul CD, avec une autre pochette, et on l’a fait parce qu’il fallait que les gens puissent le trouver. Mais rééditer avec une autre pochette, au vu des thèmes de l’album, c’était déjà un compromis. Pour Les Sirènes du Charbon quand je suis tombé sur cette photo du gamin entouré de flics, j’ai trouvé qu’elle représentait tout ce que je racontais dans l’album. Et le fait de l’avoir ressorti avec une autre pochette, je trouve que ça a tué un peu l’âme du projet. J’ai pas ce côté très entertainment, et c’est sûrement contre-productif ce que je dis, mais en tout cas, les rééditions ne correspondent pas à l’idée que je me fais d’un projet.

On parlait tout à l’heure du titre « Apocalypto », et des Funérailles des Tabous, puis de ton nouvel album. Toutes ces choses-là sont distinctes ?

D : « Apocalypto » et les Funérailles des tabous, considérons-les comme des projets avortés. J’ai arrêté l’écriture des Tabous pour des raisons que je n’évoquerais pas. Mais j’avais mon ancien producteur, on devait faire le disque ensemble, on ne s’est pas entendus sur certains termes, donc aujourd’hui je prépare un nouvel album, dans un autre état d’esprit. Comme je te l’ai dit pour Les Sirènes du Charbon, je préfère laisser l’âme que j’avais pour les Funérailles des Tabous derrière moi, et le projet là où il est. Cet album devait se faire dans un état d’esprit, avec une équipe, avec des gens. Et à partir du moment où tu t’en vas, tu ne vas pas dire « je garde l’album comme ça, je vire certains morceaux, je garde telle ou telle punch ». Non, tu repars sur autre chose, et cette fois je pense que des gens vont être surpris. Dans le hardcore, il y a des choses qui n’ont pas encore été faites en France, qui n’ont pas encore été exploitées. Et je suis pressé de faire découvrir ça aux gens.

C’est pour cette année ?

D : Techniquement je mets 4 ans par projet, donc il devrait être là pour 2014.

Florian ReapHit

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