En l’an 1 du nouveau siècle, le paysage urbain défiguré par des années de lutte de pouvoir n’est plus qu’un champ de ruine, les clans et leurs bataillons de samouraïs nous alimentent d’une multitude de combats épiques, laissant derrière eux un nombre sans fin de cadavres de samouraïs renommés comme anonymes. Aucun répit, aucune trêve à l’horizon et si certains combats semblent plus anecdotiques que d’autres, la bataille de NYC symbolisée par la chute des deux tours reste une des batailles épiques dans le contrôle de l’Empire par les gouverneurs. Lancée sous les étendards des plus prestigieux : du Wu-Tang et leur Iron Flag, suivi de près par les mercenaires Jay-Z et NaS, c’est au final l’école Def Jux menée par le gouverneur El-P qui réalisera la meilleure avancée grâce à des techniques de combat alternatives et une équipe de samouraïs déjà rompue à l’art du microphone.
Aesop Rock, Mr. Lif, Murs, RJD2 et Cannibal Ox. Autant de noms qui marqueront à jamais cette nouvelle année de combat. L’attaque de The Cold Vein, à ce titre, reste une des plus meurtrières. Menée par le stratège El-P, elle met en lumière les deux samouraïs Vast Aire et Vordul Mega sous le nom de code des Cannibal Ox montant d’un cran le niveau lyrics criminel, 15 phases de combats millimétrés et sans possibilité d’en réchapper. Une bataille importante de gagnée pour le clan Def Jux mais la guerre reste de mise. Devant assurer ses arrières et mener l’avant-garde, El-P ne voit pas que le succès de The Cold Vein monte à la tête des deux samouraïs. Conscients de leurs potentiels, et loin des querelles politiciennes qui se trament en-dessous du motif de guerre totale, Vast Aire et Vordul Mega s’éloignent très vite du gouverneur pour reprendre leur liberté et devenir des Rônins offrant leur service à ceux prêts à payer leurs services. Ce soudain retournement égratigne l’image des deux guerriers, faisant apparaître des tensions entre le binôme qui se concluront très vite par un éloignement respectif. 3 ans après, chacun réapparaît de son côté. Devenus mercenaires, leur participation à différents affrontements n’auront jamais le même impact que leurs débuts. Acculés et considérés comme des fantômes d’un autre temps, Vast Aire et Vordul Mega décident d’enterrer la hache de guerre, et de créer leur propre clan 15 ans après.
Plus question d’être de simples soldats, il faut taper un grand coup afin d’asseoir une certaine domination et redorer leur blason. Sachant qu’ils ne pourront compter sur le clan Def Jux et leur gouverneur El-P qui les a mis sur la liste des traîtres à éliminer, les deux samouraïs MC’s ont besoin d’un nouveau stratège de guerre. Un visionnaire capable de sortir des stratégies maintes fois répétées et amener un regard neuf pour que la prochaine bataille soit aussi indélébile que la première. Leur quête de ce nouveau génie les mènera en 2014 à la bataille de Paragon remportée par The Quantum, un binôme de rônins constitué de Bill Cosmiq et Salvador.
Si cette bataille n’a pas fait de vagues de par son impact minime, les Cannibal Ox prennent très vite conscience que le stratège Bill Cosmiq possède les connaissances et la fougue nécessaires pour mener à bien leur prochaine attaque. Début 2015, le vent souffle et émet avec lui la rumeur de la prochaine attaque des Cannibal Ox sous leur propre étendard, une rumeur qui alterne entre réelle crainte de leur maîtrise du combat, et le peu de fondement de celle-ci sans la présence de El-P.
Le 3 mars 2015, Harlem ressemble à une ville morte, pas d’âme qui vive n’ose s’aventurer sur l’asphalte, au loin le bruit des différents clans occupant le Borough convergent vers la station de la 125 Street, lieu où attendent sans bruit les Cannibal Ox accompagnés de Bill Cosmiq et de quelques renforts de marque pour l’occasion. Vaincre ou périr, aucun plan de fuite n’est envisageable au fur et à mesure que le bruit assourdissant des armées de samouraïs s’approche de leur position. The Blade Of The Ronin comme un doigt d’honneur à leur destinée, une bataille pour la postérité.
Donner les clefs de l’orchestration de leur combat à un newcomer comme Bill Cosmiq était un pari audacieux mais aussi très risqué dans leur position. Peu connu des champs de bataille, Bill Cosmiq avait donc la délicate mission de faire disparaître l’ombre d’un El-P (qui depuis son alliance avec Killer Mike a retrouvé tous ses sens au combat) et de créer un plan d’attaque sonore à la hauteur des deux MC’s. Pari quasi irréalisable, et pourtant, il y a dans l’air de cet album un ballet de figures qui joue avec les anciens standards guerriers, et une mise en scène moderne et quasi orchestrale des combats. On ne retrouve pas la même force de frappe des chorégraphies issues du Cold Vein mais il est clair que cette bataille du Blade Of The Ronin a une identité propre qui en fait une pièce à part. Entre clins d’œil à l’héritage Wu-Tang (Psalm 82, The Power Cosmiq, Carnivorous ou Iron Rose) et boucles aériennes rappelant que les Cannibal Ox sont bien issus de la mouvance alternative (Opposite Of Desolate, Thunder In July, Water ou Harlem Knights), Bill Cosmiq déploie un vrai génie militaire dans ses arrangements. Il ne manquait qu’une petite touche criminelle à tout cet attirail, un Black Milk tapi dans l’ombre prêt à prendre à contre-pied les hordes déferlantes, c’est chose faite avec Blade : Art Of Ox, ce genre de lame à double tranchant qui coupe des nuques plus qu’elle ne les brise.
Les armées adverses pensaient, à tort, déjouer toute tactique musicale en l’absence d’El-P, le résultat ne les amène qu’à plier un genou avant de sentir leur tête tomber de leurs épaules. Surtout que sur le terrain c’est deux Blade Of The Ronin qui font corps unique, le retour des Can Ox n’est pas juste un partenariat de deux mercenaires, mais bien une combinaison meurtrière au mic. Vast Aire reste bien sûr cette fine lame qui à chaque ligne de son débit peut embrocher une dizaine d’ennemis, la quintessence du MC de guerre, un delivery reconnaissable entre mille ponctué par des lyrics psychotiques (Psalm 82, Opposite Of Desolate). Vordul remplit plus le rôle de finisseur, une fois l’ennemi touché par Vast Aire, il porte le coup fatal. Il est aussi celui qui oriente le mieux la transition du groupe vers un rap plus sérieux et conscient, laissant de côté l’axe comics teenager que pouvait faire ressentir The Cold Vein. Jamais trop esseulés dans la bataille, les Cannibal Ox peuvent compter sur des supports de taille, on notera la présence d’Elzhi sur Pressure Of Survival dans le délire cannibal survivor (un bon moyen pour rendre compte de la force d’un Vast Aire face à une concurrence sérieuse), des Artifacts et de U-God sur le transcendant Blade : The Art Of Ox et de MF Doom sur le Iron Rose. Si Bill Cosmiq reste avant tout le stratège musical de ce carnage, la maîtrise du sabre microphonique ne lui est pas inconnue, puisqu’on le retrouve sur Sabertooth, Carnivorous ou dans sa formation d’origine The Quatum (Vision).
62 minutes et 12 secondes après la charge des étendards ennemis, et la station de la 125th Street retrouve son silence de début, les corps mutilés des samouraïs et les torrents de sang en plus. Quelque râles d’ennemis n’acceptant pas leur trépas continuent à raisonner étouffés dans leur propre sang. Des blessures superficielles recouvrent le corps des Cannibal Ox et de Bill Cosmiq, dans leur regard la fierté du travail réalisé. The Blade Of The Ronin est un moment d’histoire qui marquera par sa réalisation l’année 2015. Le repos du guerrier mérité, les Cannibal Ox peuvent enfin se détacher de leur unique victoire The Cold Vein. En ce 3 mars 2015, les rônins viennent de marquer en lettres de sang leur propre étendard, plus besoin d’appartenir à une maison prestigieuse pour inspirer crainte et respect, le seul nom des Cannibal Ox suffit à les provoquer.
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