Il fut un temps où rap rimait avec des artistes comme Eminem, 50 Cent et son G-Unit, The Game ayant comme point commun le label Aftermath Entertainment et l’inoxydable Dr Dre. C’était l’époque des gros hits bangerz avec une touche gangsta sur du beat bien performant, l’époque où tout le monde voulait jouer son Stan, l’époque où le plus rigide fils de Duchesse se trémoussait en boite sur In Da Club. On a l’impression que c’était hier, et puis un matin tu apprends que The Game va te sortir un The Documentary 2 pour fêter les 10 ans du premier.
Il y a 10 ans donc, The Game, nouvelle tête du rap west coast, profitait de l’ébullition autour des artistes d’Aftermath pour sortir The Documentary, album produit pour être un réservoir à hits, mis en musique par les plus grands noms du moment (Scott Storch, Cool & Dre, Kanye West, Just Blaze, Hi-Tek et bien sûr Dr Dre) et accompagné des artistes du label (50 Cent, Eminem, etc.). Un album fort sympa au final, et surtout un cadeau inespéré pour un MC très loin d’être charismatique et lyricalement intéressant. A l’arrivée, plus de 5 millions d’exemplaires vendus, puis enchaînement un an plus tard avec le très bon Doctor’s Advocate – et entre-temps un vieux diss avec 50 Cent et son G-Unit, seul coup d’éclat pour instaurer une once de personnalité.
Il nous aura fallu cette annonce de la sortie en 2015 d’un The Documentary 2 pour se rendre compte que The Game est dans le jeu depuis 10 ans, et pour les plus sceptiques de se demander ce qu’il fout encore là. Sauf que 10 ans après, ce n’est plus avec les mêmes moyens et les mêmes équipes que The Game va devoir composer. Pendant plus d’un an, nous avions eu le droit à de fausses tracklists plus impressionnantes les unes que les autres en se demandant comment l’homme allait pouvoir financer cette folie. Mais rien arrête The Game, et alors que la tracklist finale nous assurait des featurings plus ou moins prestigieux, on apprenait que c’était vache maigre du côté de la production avec un certain Bongo The Drum GAHD aux manettes de 80% de l’album, un inconnu du rap qui doit sa reconnaissance pour son travail dans le r&b avec des artistes tels que Musiq Soulchild, très loin de l’univers de The Game mais bon pourquoi pas. On pensait s’en tenir là, mais The Game aime la démesure, et annonce quelques jours avant la sortie de The Documentary 2 que son album sera en fait un double album, mais que le deuxième album sortira quelques jours plus tard… Une stratégie marketing WTF qui revenait à dire que les leftovers du 1er CD seraient mis sur le second, appelé The Documentary 2.5. L’effet de surprise à la Jay-Z/Kanye West en mode cheap.
Le 9 octobre, l’insupportable attente se termine, tout ça pour constater que The Documentary 2 est un album banal et sans intérêt. On savait The Game plutôt mauvais, mais capable de bien choisir ses instrus. Là, on a affaire un album guimauve avec des moments de honte tels que « Standing on Ferraris » avec Diddy, Hastag et El Chapo (mais pourquoi cette partie en espagnol ?). Quelques titres sont écoutables, mais The Game n’arrive toujours pas au bout de 10 ans à se renouveler, ou tout du moins à exister par lui-même.
Par réflexe logique, on se dit que la tracklist de ce second chapitre a été faite pour rendre le meilleur de ce que The Game avait à proposer, et que donc le 2.5 n’a que peu d’intérêt malgré une liste clairement incroyable de featurings (NaS, Will.i.am, Lil Wayne, Scarface, YG, Busta Rhymes, E-40, payes ton crédit Cofidis). Et bien c’est tout le contraire que nous offre The Game à travers ce 2.5, un album qui musicalement supplante les productions fades de Bongo sur le 1er CD.
Alors bien sûr, cette espèce de compilation n’a rien à voir avec un The Documentary, là on est hors-sujet et plus proche de la compile fourre-tout. Mais la partie production donne tout son intérêt à ce second disque, avec une présence bien moindre de Bongo, mais aussi ses meilleures compositions. Une rythmique bien plus musclée qui replonge plus dans les racines du 1er Documentary. Cool & Dre, DJ Quik, Will.i.am, Kahlil ou encore The Alchemist, des producteurs à la hauteur de ce que l’on peut attendre de The Game. Sauf que nous sommes en 2015 et non en 2005, et que le paysage musical de la westcoast a radicalement changé. Il n’est pas sûr que la nouvelle génération alimentée à Kendrick Lamar, Vince Staples ou YG se retrouve dans ce type d’album. Incapable de pouvoir prendre le virage des nouvelles sonorités, les deux CDs se complaisent maladroitement dans le passé, espérant faire revivre une flamme morte. Le 2.5 doit sa supériorité à des morceaux mieux taillés comme The Ghetto ou Magnus Carlsen et à des featurings qui haussent le niveau global.
En parlant de featuring, à chaque morceau où l’on croise un invité, on se demande qui est l’invité de qui. En clair, le manque de personnalité de The Game et sa faiblesse d’écriture font qu’il est à chaque fois supplanté par ses featurings. 10 ans que The Game essaie tant bien que mal à prouver qu’il a une culture hip-hop très complète, 10 ans de namedroppin en tout genre, de clins d’œil aux anciens, une recherche de légitimité qui amène une vraie overdose. Last Time You Seen transpire cette attitude où en tant qu’auditeur, t’as envie de lui dire de fermer sa gueule et de vivre sa propre vie sans chercher à exister à travers d’autres MC’s, en l’occurrence 2pac dans le track. On retrouve cette même attitude ridicule sur Made in America “I used to want to be Eazy / Then I realized it wasn’t that easy”, il n’y a plus qu’à renommer l’album Hip-Hop Legacy by The Game. Certains sons essaient de sortir de cette spirale infernale mais n’y arrivent jamais, entre name droppin’ et référence aux Bloods, on remerciera Diddy de venir amener une touche supplémentaire de ridicule en outro de Standing on Ferraris où le mec explique sans explication rationnelle pourquoi un jour The Game lui a acheté une Ferrari (Ferrari is red blah blah blah money is green blah blah nigger).
The Documentary 2 et The Documentary 2.5 avaient pour vocation de fêter les dix ans de carrière de The Game dans le rap jeu. The Game avait donc prévu le grand jeu, une liste d’invités prestigieux, des sons en quantité et des effets d’annonce en tout genre. L’événement se devait d’être festif et grandiose, mais il n’en est rien. Tournant à la cérémonie d’enterrement, ce double CD, au final plutôt potable, fait principalement ressortir tous les défauts de The Game. Un homme sans charisme arrivant sur le tard dans le rap, et cherchant constamment à justifier son manque de culture par des clins d’œil en forme de namedroppin’. Jamais capable d’être lui-même, The Game montre une fois de plus qu’il n’est que le Arturo Brachetti du rap. Il serait temps donc d’exister soit par lui-même, soit de mettre fin à sa carrière de MC.
Share this Post
- Half&Half, braquage à Atlanta - 11 février 2018
- Jupiter AKA : la nouvelle guerre des mondes - 22 juin 2017
- Hommage : Prodigy, le mythe en 10 titres - 21 juin 2017