Un sombre jour le poète qui, tel Atlas, supportait en suffoquant le poids du monde sur ses épaules vit son dos rompre sous un tel fardeau. C’est ainsi que Lucio Bukowski qui fut homme vivant devint homme alité. Celui qui eut le punch d’un Marvin Hagler compose désormais aveuglé par la douleur d’un Moondog. Tortue privée de sa carapace qu’il piétine, il noircit des pages emplies de ratures. Écrivant couché pendant sa rémission d’une opération du dos, oscillant entre guérison et rechute, le rappeur use jusqu’à la moelle de la pointe de sa plume devenue épine dorsale. L’Homme Alité apparaît tel un exutoire salvateur aux relents spirituels et spiritueux. L’abîme le guette, le ton est donné « Il [lui] faudra une nouvelle prod pour éviter la cuite »…
Ludo est poète lettré aussi bien qu’homme à références. L’EP s’ouvre pareil à un hommage auLouis Ferdinand Celine dans ses heures les plus sombres, entre collaboration et folie hallucinatoire. Le rappeur à défaut de château passe d’un « Blues l’autre » sur une prod des plus mélancoliques d’ un Oster Lapwass produisant l’intégralité du projet.
La caisse claire vient appuyer le souffle du vers brisé que rehaussent à merveille les notes de guitare de Baptiste Chambrion. Instaurant une ambiance grisâtre elle permet à Lucio de dresser un portrait lithographique des villes qu’il dépeint depuis son lit de convalescence « désertes comme la glace du Nord ».
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Celui qui se revendiquait homme libre et non esclave sans chaînes se voit acculé par le temps passant. Revendiquant « l’amour et l’écriture [comme ses] trop rares moments libres » il signe la mort de la première en se réfugiant dans ses textes pour mieux faire son deuil, ainsi « le coeur se tait puisque l’amour a ravalé sa langue ». Amalgame spirituellement sexuel il y eut « Dieu et des cuisses de femmes [et si il y avait] mieux mais des risques de flammes » aujourd’hui sa réalité est toute autre et pendant que « Les démons écrasent les saints, l’époque fait sa mammographie ». Abandonné par sa carapace, rattrapé par le temps qui passe il construit douloureusement son isba aux allures de Mea Culpa. Écrivain maudit « Parti à la recherche de c’que l’existence donne, de retour sans or et moitié mort comme Jack London » il se meure, rongé par un sablier cancéreux, bercé par des illusions de spiritualité.
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Pour éviter l’abîme Lucio entame une thérapie par électro-convulsion faisant de sa musique une « Synesthète » réveillant ses sens par leur association mélodieuse. Images musicalisées tour à tour tristes, glauques et drôles il voit sa musique comme un paradoxe aux allures de « slow dans un bal d’usine ». Paralysant le quotidien elle se fait le « curare de la symétrie des villes » tandis que le temps revient, lancinant, voguant sur une caravelle aux desseins de génocides. Vomissant un système où la modernité et son inaliénable course détruit, pervertit et corrompt tout il dresse le sombre portrait de la génération future qui « n’a plus d’racines, née sous X [elle] finira bouffie et pleine d’acide façon Jimmy Hendrix ». Perdu au milieu d’une époque qui n’est plus sienne et qui soulève en lui des interrogations sans fins martelées dans le refrain il revêt les attributs du philosophe antique Diogène de Sinope en déclarant « Ma poésie : le fruit des cris d’un mugissant soûlard ».
Suivent d’énièmes références à la religion qui si elle fut tournée en dérision devient aujourd’hui un symbole fort, un point d’ancrage auquel se raccrocher malgré le fait que « Le Fil d’Ariane s’échappe du pull de Dieu et puis s’emmêle ». Entre éloge du spirituel et du spiritueux Ludo est en marge d’un système qui s’autodétruit alors « En attendant l’ivresse ultime vient se décanter l’rosé » qui emplit ses vers à la fois accusateurs et salvateurs pour qui sait « allonger sons âme dans le ginseng » et « observer les chrysanthèmes [qui] fânent si tôt qu’sa poigne écrit sans thème ». Mystérieuse et énigmatique cette opération de synesthésie est un présent à celui qui sait rester lucide et qui voit au delà des oeillères du système.
L’habitué des ego trips ravageurs, qui d’une rime assassine envoyait tous les Mcs en réanimation se retrouve lui même alité incapable de remplir sa mission… C’était sans compter sur son comparse Missak qui au cri d’un « Bon sang d’putain » réveille sa haine de l’industrie et permet de rétablir la vérité selon Bukowski : « L’ego-trip c’est comme les larmes : on y revient toujours ». Sur une prod électrique ponctuée de cris et de rires les deux rappeurs dynamitent un rap jeu auquel ils se refusent de participer avec une subtilité emplie de violence dont seuls les lyons ont le secret. Exacerbation d’une origine non parisienne et de la force d’un crew le duo ferme des gueules puisque « les vrais savent que ‘les vrais’ ne savent rien du tout ». Pleine de références et de piques alliant subtilité et art de la rime la collaboration démontre une fois de plus que l’Animalerie est au delà d’un groupe, une entité qui fonctionne en commun et dont l’osmose n’est plus à discuter, qu’on se le dise, « Ils ont les millions sur Youtube et [eux] l’talent ». Alors si « Les petites averses frétillent quand l’orage dort » que les avertis le sachent : le retour de Bukowski sera une ouragan sans rémission possible.
Être un incendiaire du rap c’est s’exposer aux retours de flammes, tel Moondog Ludo voit son bâton de dynamite lui exploser en plein visage. Aveugle le temps d’un track il conte sa vie, ses espérances et habitudes préférant « l’métro aux Berlines noires Et Saint-François à Kanye West, connard ». Un couplet unique pour dire tout sans concession aucunes et avec la sincérité de l’homme qui n’a plus rien à perdre déjà privé de la vue. La religion se fait de nouveau spirituelle pour celui qui revendique « Construire ses jours avec des matières simples Chaque centimètre carré sera sa terre sainte ». Contrepoids ou antithèse de cette facette nouvellement apparue chez le rappeur poète, la boisson est omniprésente dans ce texte avouant ainsi avoir « Bu quelques verres en écrivant ce truc,lisant l’étiquette, Ardbeg, en en tétant le suc ».
Si le texte se finit avec modestie et humblement il faut noter l’omniprésence d’une dimension quasi religieuse tel le discours du prêcheur. Chose inhabituelle chez un Ludo qui usait d’images religieuses avec dérision ici il se les accapare pour mieux cristalliser sa pensée alors « Voici son coup d’éclat : n’être rien au milieu d’eux ».
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Au plus bas on le sait il y a les jours avec et Les jours sans… C’est indéniable, pour le Lucio Bukowski qui alité nous parle, ces derniers sont légions alors il « met du silence dans ses cris ». Éloge de la noirceur qui l’habite mais aussi de ses repères qui forment désormais un triptyque écriture/spiritualité/boisson il l’avoue, « Des mois que je n’rêve plus sauf une plume entre les doigts, mes nuits sont des journées, mes journées boivent des brunes entre des voies »
Trouvant dans la douleur et la tristesse un regain de vitalité, il se complaît dans un spleen lancinant. Son refrain est un avertissement à ne pas sombrer dans les méandres qui l’ont engloutit mais qui au moins lui tiennent compagnie. Poète maudit il est acculé alors il n’a plus qu’à « Punaiser un poème sur le mur de [ses] amours perdus [pour] Atomiser le thème afin qu’le rêve dans un haïku perdure ». Dialoguant avec son auditeur il reconnaît la noirceur de sa prose tout en espérant « que la suivante dissimulera une émouvante clarté Le coeur battant quand une aube nouvelle [lui] parle en aparté ». Le message bien que parfois alambiqué est évident, les jours sans, malgré le spleen il faut se rappeler qu’au fond de la boite de Pandor substite l’espoir et que lui seul est salvateur.
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Plonger dans le Gange c’est se laver de ses pêchées, en sortir homme nouveau alors Ludo y saute sans hésitation et les yeux fermés. Sa plume déversant un torrent d’encre scinde ce morceau fleuve en deux cours d’eau. Le premier est lent, il se doit de laisser couler une histoire d’amour passionnelle qui se termine en déchirant son auteur. Il nous « Compose une belle chanson d’amour mais commence par la fin » ainsi plutôt que de nous emmener dans ses souffrances il fait le choix de l’antéchronologie et nous mène vers l’évocation du plaisir suprême. Peignant avec un romantisme imagé cette relation il ne peut la cristalliser tant elle fut forte et se questionne donc, « Comment rendre l’empyrée dans la fadeur des textes ? [puisque] Le temps s’est égaré dans la chaleur des sexes »… Le second couplet équivaut à la renaissance, au renouveau de l’homme. Celui ci sort des eaux tumultueuses lavé et guéri. Son corps n’est plus qu’une escale, son âme elle a atteint le nirvana qu’il recherchait.
Clôturant le projet sur une référence hindouiste claire, « Et je crève et renais dans un cycle de chair[…]En perds une partie mais la vie est un tout, Achève une ère à la manière hindoue » l’homme alité n’est plus. Celui qui fut détruit physiquement et amoureusement s’est noyé dans les eaux du Gange mais de l’autre côté de la berge, l’Homme renaît paré du triptyque écriture/spiritualité/alcool. Lucio Bukowski est parvenu jusqu’à son Septentrion. Passant de l’autre côté des pôles du monde, harnaché de ses nouveaux attributs il rend hommage à Louis Calaferte et redevient après expiation Homme Vivant.
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