Parfois, le talent ne suffit pas à lui-même, vous pouvez être le plus raw des mc’s avec le delivery le plus complet, ça ne vous garantira jamais la réussite. Sur le champ de bataille, le talent est une chose, mais la direction stratégique des combats (surtout musicale) en est une autre. Sans l’un ou l’autre, la défaite est courue d’avance. De ce fait, peu de soldats peuvent combiner ses deux dons, et les meilleurs albums reposent toujours sur un ou plusieurs généraux (executive producers) capables de rendre la force de frappe victorieuse. Des plus grands succès de guerres connus, Illmatic n’aurait surement pas eu le même statut sans l’apport de stratèges comme Faith Newman et Mc Serch et, de fait, NaS n’aurait peut-être pas eu ses états de service actuels.
Actuellement, si la structure de la musique permet indépendance et autoproduction, elle a aussi amené la perte du rôle extrêmement important de l’executive producer. Le rap de 2015 n’est pas plus mauvais que celui de 1995, le talent est là, voire meilleur, il est juste mal fait, et mal réfléchi en partie. Tragedy Khadafi, producer, MC, mais aussi executive producer, et derrière cette dernière casquette, il fut l’homme de l’ombre de la réussite du The War Report de Capone-N-Noreaga. Le général, comme il se nomme lui-même en intro de Lessons, 5ème album du duo de Queensbridge. Peaufiner le diamant brut de la rue pour le rendre collector en musique, voilà en somme ce que Khadafi a permis à Capone-N-Noreaga, les mettre sur le champ de bataille avec la bonne tactique et le bon armement. Le retour de Tragedy Khadafi auprès du duo sur Lessonsannonçait donc un retour à une formule gagnante…
2009, 9 ans après The Reunion, Channel 10 annonçait le grand retour du duo, mais sans les moyens de l’époque. Fini le label capable de financer comme un Tommy Boy, fini aussi le staff de production, et bien sûr fini les executive producers. Le duo est donc obligé de s’appuyer sur lui-même, comptant uniquement leurs expériences en solo. Malheureusement, si l’alchimie artistique est là, ce n’est pas du tout une réussite au niveau direction artistique (à l’image de leur solo), on se noie à travers 17 pistes sans vraiment de cohérence. Ce retour se traduit par un échec mettant directement la suspicion sur ce qui sera le successeur de The War Report : The War Report 2. Jouant sur la vague des numéros 2, le duo avait décidé de recruter des stratèges de guerre, mais la crise pointant son nez, les deux acolytes s’étaient contenté du fond de cuve : Busta Rhymes et Raekwon (le premier venait quand même de nous sortir Back On My B.S.). Nouvelle défaite, et un album qui n’atteint même pas la rotule du premier du nom.
Lessons arrive donc dans un climat où attendre encore quelque chose de Capone-N-Noreagarelève d’un mal être social qui ne guérira que par le suicide. Autant se pendre que d’attendre quoique ce soit de leur part. Pourtant, avant de serrer complètement la corde autour du cou, le retour de Tragedy Khadafi pourrait créer un miracle. Et miracle il y a lieu, enfin CNN donnant un héritier digne à The War Report ! Non je déconne, Lessons est aussi chiant qu’un expert-comptable… Capone-N-Noreaga ayant voulu conserver les rênes de leur album, Tragedy Khadafyvient juste poser en tant qu’invité privilégié (si on peut parler de privilège). On se retrouve donc dans la grande continuité de Channel 10 et de The War Report 2, mais avec quelques morceaux plutôt bons, permettant ainsi à Lessons d’être un cran au-dessus. La plume est au rendez-vous, le duo a mis la barre haute, on passe d’un niveau d’écriture CE1 à CM1. A la rigueur on s’en fout complètement, CNN ne sont bons que pour nous lâcher des lyrics primaires qui puent la rue, et à ce jeu ils arrivent encore à faire leur effet : 3 on 3, Future ou Not Strick You. Mais on reste comme d’habitude sur sa faim, Noreaga peut de nouveau remercier Large Pro de mettre les formes pour les sauver du désastre avec cette petite bombe qu’est Pizza (faut mieux tout de même rien entraver à l’anglais pour éviter le ridicule des paroles). Ayatollah fait la charité en leur balançant le beat de Future pour un retour du meilleur effet de Capone (drug, pimp, etc.) et même Statik Selektah parait bon sur le très smooth et californien Now.
A part rester coincé à vie dans un bunker avec comme seule musique cet album, il y a peu de chance que le disque aie un replay value assez important pour qu’on se remémore de cet album avant de crever. Tant que Capone-N-Noreaga n’auront pas compris qu’ils sont de bons soldats, des mc’s de rue, mais qu’ils n’ont aucune intelligence pour être généraux, ou executive producers, on se retrouvera constamment avec ce type d’album qui pue la défaite de leur part. Bref, si vous attendiez encore quelque choses de CNN, vous pouvez serrer la corde pour vous pendre. Cela fait 6 ans qu’ils rendent nos casques chiants avec leur musique à un point que l’on regrette les critiques formulées sur The Reunion en 2000.
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