1 Artiste…10 Morceaux propose aux rédacteurs de ReapHit.com de revenir sur la carrière d’un rappeur à travers dix de ses titres. Le but ? Nous faire découvrir en toute subjectivité son parcours musical, ses découvertes, ses dix titres emblématiques.
En 2014, pour raconter l’histoire d’Orelsan, certains pourraient dire « ça commence par Casseurs Flowters et ça finit par Casseurs Flowters ». Bon… certes… Quand Orelsan débarque, en 2005, avec son acolyte Gringe, ceux qui l’entendent pour la première fois se demandent: « Mais c’est qui celui-là? ». De l’embonpoint, un nez retroussé et un accent indéfinissable, Orelsan raille déjà tout et tout le monde. Quelques années plus tard, les collégiens apprennent les paroles de « Sale pute » et « Saint-Valentin » par cœur. Pourquoi ? Parce qu’avoir 11 ans, c’est humiliant.
A 11 ans, tes parents mettent leur main devant tes yeux quand il y a une scène de cul à la télé, la boulangère t’appelle « mon petit », tes profs crachent sur toute ta génération « rivée sur les écrans » en te rappelant que t’auras pas de boulot « parce que c’est la crise ». Ton oncle altermondialiste t’explique que la planète va bientôt exploser parce qu’avant toi, toute l’Humanité a craché dessus. Alors quand un mec débarque sur ton écran d’ordinateur et te balance : « Le rap et moi, c’est un jeu d’enfant… Comme papa dans maman » (Freestyle Bombattak, 2006) , tu en redemandes !
Au moment où les JT de TF1 font des reportages sur le « danger » des jeux-vidéos et des mangas, lui, les honore. Quand la plus grande peur des adultes est que les jeunes reproduisent ce qu’ils voient sur internet, lui, sort une mixtape avec une pochette des plus dégueulasses : mi-dessin d’enfant, mi-film X. Dès le début, c’est évident, Orelsan est là pour tout bousiller. Dans l’intro de « Bounce » (Mixtape Fantasy), il prévient :
« C’est ma chanson et c’est ma chanson alors…
laisse moi chanter c’que j’veux dans ma chanson ! »
En prônant l’ubuesque, Orelsan nous délivre de nos sentiments inavouables. En transformant en rap ce qui est du domaine de l’inconscient et des passions coupables, Orelsan nous purge. Et c’est bien cela que les détracteurs d’Orelsan ne comprennent pas…
1// TOC TOC FEAT. GRINGE – ZÉRO / 2006
« Toc Toc », c’est l’un des premiers morceaux qui révèlent la singularité d’Orelsan. La Mixtape Fantasy sortie un an avant était d’avantage de l’ordre du délire de potes, qu’un projet fomenté pendant 8 ans (Orelsan a commencé à rapper en 1998, ndlr). Le fait qu’il n’y ait pas d’intro à « Toc Toc » crée un effet saisissant : le MC semble arriver sur l’instru comme sur un ring de boxe avec le désir de mettre l’auditeur K.O. Dans « Toc Toc« , Orelsan et son double Gringe frappent à la porte des endormis en espérant les tirer de leur lit de mort.
« Tu l’sais pas encore mais t’es déjà mort, tu comprends pas les métaphores que j’élabore, j’suis méga fort, ma mélodie t’assomme dès les premiers accords ».
En donnant le premier coup, Orelsan nous donne envie de lui rendre, mais face à ce petit Tyler Durden ingrat, le Edward Norton qui sommeille en nous n’est pas encore totalement sorti de son état léthargique.A
2// RAMEN – HORS ALBUM / 2006
La même année sort le premier clip d’Orel. Volontairement imparfait et kitsch, la plupart des références y sont épaisses et évidentes. Ce sont des dizaines de mangas étalés sur une table basse, les silhouettes de Van Damme, Slash et Ken qui apparaissent quand il en parle, ou encore un déguisement d’anti-héros porté nonchalamment.
D’autres références sont, elles, balayées de manière plus subtiles. Quand Orelsan explique qu’il ne faut pas compter sur lui « pour des lyrics émouvantes », il est posté devant une affiche de Kyo. Quand il fait référence à Shining, c’est installé sur un mini BMX et déboulant sur une moquette rouge.
« Ramène une douzaine de raclis, t’auras mon clip en exclu
Ou ma trique recouverte de plastique pendant qu’ta fiancée m’suce »
Avec « Ramen », Orelsan s’encre dans un personnage insolent dont les paroles – véritable défouloir – ont un côté addictif. Loin des discours de séduction dont nous assomme la télévision, Orelsan est insultant. Ici encore, on se laisse malmener, et cela a un côté plaisant.
Le mur de vulgarité qu’il construit au long de ses morceaux commence à barrer le chemin aux biens-pensants avides de rap conscient. Les autres, s’ils ne sont pas forcément fervents supporters du rappeur, lui reconnaîtront un certain talent
« Si tu kiffes les tournantes, ramène ton boule on va chafouiner,
J’suis le Père Noël de l’amour, j’viens pénétrer ta cheminée »
Pourquoi ? Parce qu’Orelsan manie des mots, certes immondes, mais avec dextérité. S’il était un magicien, ce serait le genre qui déambule près des terrasses de café, un peu crade, capable de faire disparaître votre portable en un clin d’œil tout en vous souriant effrontément avec les dents jaunies.
3// GROS POISSON DANS UNE PETITE MARE – PERDU D’AVANCE / 2009
Le morceau « Gros poisson dans une petite mare » marque un certain tournant dans la carrière du MC, non pas parce qu’il est celui qui a fait son succès, mais parce que c’est sur ce morceau, précisément, qu’Orelsan décide de ne plus maltraiter son auditeur, mais de lui faire honneur.
« Business Mythoman dans la musique et les vêtements,
Manager de jeunes plein d’espoir qu’il emmènera nulle part »
Orelsan se réinvente pour l’occasion en maître de la perspective et décide de moquer tous les travers du schéma « dominant/dominé » servi à toutes les sauces par ceux qui, à l’image de Richard Hoover dans Little miss sunshine, pensent faire partie des gagnants.
Il dresse ainsi le portrait de personnages imbus d’eux-mêmes, avant de les abattre comme un château de cartes sur lequel on pose le doigt. Du boss prétentieux qui pense être investi d’une mission extraordinaire, à la petite pétasse du village persuadée de son irrésistibilité, tous y passent. En creux de cette description, le mec discret et modeste est à l’honneur.
« Si tu pèses à petite échelle, et qu’tu te la racontes,
T’iras nulle part et ça sera trop tard quand tu t’en rendra compte »
Ecrit la nuit, alors qu’Orelsan était concierge d’hôtel (comme la plupart des morceaux de Perdu d’avance), « Gros poisson dans une petite mare » est une comptine acerbe dans laquelle le MC emprunte le ton de celui qui s’adresse à un enfant, comme il le fait dans « 50 pourcents » et « C’est beau de rêver ». Le message du morceau en est d’autant plus désolant.
4// JIMMY PUNCHLINE – PERDU D’AVANCE / 2009
4 minutes 06 de punchlines ahurissantes, le morceau est l’un des plus emblématiques de Perdu d’avance. Endossant à nouveau son costume de branleur arrogant, Orelsan nous mitraille ici d’interjections salaces sans rien s’interdire, pas même, à nouveau, un lexique enfantin.
« Cherche pas d’messages dans mes textes, dans mes métaphores,
J’fais ça pour le plaisir, parce que j’trouve que j’déchire ! »
Le risque que « Jimmy Punchline » apparaisse comme un morceau fourre-tout était réel – on y retrouve par exemple des schémas de rimes déjà présents sur la Mixtape Zero – mais le morceau s’avère particulièrement efficace, et lorsque Orelsan fait référence à une célèbre « tête de roumain » au « zguegue de poulain », il s’ancre pour la première fois dans la lignée d’un courant rap quasi punk, dans lequel la langue de bois et l’enjolivement sont bannis.
« J’crache dans tes règles, ça fait ketchup-mayo
J’te baise sur un tas de bois, t’attrapes une syphilis de derrière les fagots »
La prod de Skread, elle, est mystique et mérite qu’on en touche deux mots : exit les délicieux – mais habituels – synthés. On a là une instru binaire marquée tantôt par des sonorités boom-bap, tantôt par des claviers carillonnants.
5 // NO LIFE – PERDU D’AVANCE / 2009
Le personnage qu’Orelsan développe dans son rap est paradoxal. Si l’égotrip semble être un de ses exercices favoris, cela ne l’empêche pas de s’autoproclamer messie des mecs sans histoire, en galère de meufs, qui souhaiteraient pisser sur toute forme d’autorité illégitime.
« Une planche de skate, une paire de rollers,
une génération pleine de chômeurs en quête de bonheur »
Dans « No life », il ne fait plus l’apologie du mec lambda en creux, comme c’était le cas dans « Gros poisson dans une petite mare » mais de manière positive. Son constat est simple : soit tu es parfaitement dans la norme, soit tu n’existes pas.
Dans « No life », le MC s’adresse à tous les anonymes comme à des compagnons de galère, et une empathie fraternelle transpire de son texte. L’impression d’être aux portes de la vie, celle d’être enserrée dans les griffes de l’obligation, celle de ne jamais voir ses désirs assouvis, sont autant de douleurs muettes que le rappeur décrit de manière percutante.
« Qu’est ce qu’on s’en branle du futur quand on comprend pas l’présent…. »
Sur « l’Hiver » de Vivaldi, Orelsan se fait encore une fois le porte-parole d’une jeunesse désabusée. Seulement, elle n’a plus 11 ans. Désormais elle « sort pour sortir », finit bourrée puis s’effondre de sommeil sous les étoiles.
6 // SOUS INFLUENCE – HORS ALBUM / 2007
Comme souvent, le premier couplet du morceau est le plus mémorable. En 2007, Orelsan se perçoit comme un MC en galère. Conscient que ce qu’il vit est l’antithèse de ce à quoi il aspire, il décide d’en faire l’objet principal de ce texte.
« J’remplis des tafs de merde en rêvant d’remplir des salles (…)
Ma shneck me prend tout le temps la tête pour des p’tits détails,
j’fais semblant que j’l’aime en attendant la femme idéale »
A contretemps et à contre-courant, le MC fait preuve d’autodérision et promène sa voix sur un beat rapide, qui donne l’impression d’une fuite vers l’avant. Métaphore d’une soirée de beuverie effrénée, le morceau nous fait redouter une déprime post-gueule de bois. « Ce soir on fait la fête parce que j’arrête d’arrêter d’boire, Demain j’serai sur le bord d’la fenêtre au bord du désespoir »
7 // ELLE VIENDRA QUAND MÊME – LE CHANT DES SIRÈNES / 2011
Après s’être illustré dans l’égotrip autant que dans le rap de looser, Orelsan nous plonge cette fois dans une introspection glaçante. La peur de la mort, si elle était déjà palpable dans les morceaux précédents, est une névrose que le rappeur finit enfin par assumer. Sorti de son adulescence chérie, la réalité a fini par s’imposer à lui et après un « suicide social » raté, il confesse une angoisse mutante et mutilante:
« Angoissé, en pleine nuit le sang glacé
Le plus dur c’est pas l’cauchemar, c’est l’instant d’après
C’est l’instant de clarté, Où j’suis persuadé qu’il n’y a plus rien
qu’un grand vide quand elle vient t’embarquer »
Cet instant de clarté, certes terrifiant, n’en reste pas moins décevant. Tout étant amené à disparaître, il paraît insensé de construire quoi que ce soit ! Peu convaincu par la théorie créationniste, Orelsan révèle également qu’il ne voit rien auquel il puisse se rattacher. Après cette confession troublante, un silence plane. La dernière minute du morceau est nue de toute parole. Seule l’instru retentit. Pareille à un silence mortuaire et marquée par un clavier funèbre, elle révèle une procession timide mais solennelle.
8 // 1990 – LE CHANT DES SIRÈNES / 2011
Florilège de références et véritable exercice de style, « 1990 » est une déclaration d’amour à l’âge d’or du hip-hop. Le morceau a ainsi été construit comme si les pages du calendrier ne s’étaient pas tournées – d’où l’apparition d’Olivier Cachin, un pin’s sur le revers de la veste, pour un revival de RapLine.
Après de courts extraits de morceaux d’anthologie (« Je lance les dés » des Sléo, « Qui sème le vent récolte le tempo » de MC Solaar), l’instru démarre. Samplant « Here we go » de Run DMC, elle respecte le sacro-saint beat de 90 BPM.
« Tchikidi check le mic, quand j’arrive dans la session,
Comme mon survet’ Adidas, j’augmente la pression »
La mode vestimentaire de l’époque, Orelsan la brandit avec honneur, portant un survêt’ Adidasà boutons pression, un sweat Champion, une veste LC Waikiki et des « Pump » aux pieds.
La volonté d’Orelsan de faire un « morceau années 90 » se ressent jusque dans le flow, calqué sur celui qui prévalait durant ces années-là. Le texte lui-même est écrit comme si le temps s’était arrêté. Ainsi il est fait référence, à la manière de Bret Easton-Ellis, mais dans un autre genre, à des marques phares comme Walkman, Tatoo, Bi-Bop, Ovomaltine et Tang.
En 2011, le temps d’un morceau, Orelsan nous rappelle qu’à un certaine période on ne parlait pas de Clara Morgane mais de Dolly Golden, on ne crachait pas sur l’UMP mais sur le RPR, on ne mangeait pas des Twix mais des Raider et on ne traînait pas sur ReapHit : on regardait les Tortues Ninja, affalé sur le canap’.
« Pervers, j’ai le cerveau près des couilles comme Krang,
Mais j’ai de la bonne poudre comme Tang… »
Bien sûr, en faisant apparaître Oxmo ou le logo de la zulu nation dans son clip, Orelsan caresse le puriste qu’il y a en nous dans le sens du poil. Cette révérence, en ce qu’elle vient de celui qui avait tout fait jusqu’alors pour se détacher des monuments du rap français, est à saluer.
« 1990 » c’est peut-être une réponse aux détracteurs d’Orelsan, qui leur apporte la preuve qu’il est capable d’assurer dans un style plus légitimé par la communauté hip-hop que celui qu’il cultive aujourd’hui.
9 // C’EST BEAU DE RÊVER FEAT ORELSAN & GRINGE –COURT CIRCUIT – TAÏPAN / 2012
Malgré un refrain à désirer, le morceau de Taipan sur lequel Orelsan et Gringe posent chacun un couplet est l’un de ceux où la facette acerbe d’Orelsan est la plus brillante. Ce personnage que le rappeur cultivait déjà dans « Sous influence » ou « No life » réussit, à travers un couplet démentiel, à nous faire douter de l’intérêt d’avoir confiance en un quelconque futur.
Et si, dans Fight Club, Tyler Durden s’écrie : « Vous n’êtes pas exceptionnels, vous n’êtes pas un flocon de neige merveilleux et unique, vous êtes faits de la même substance organique pourrissante que tout le reste »
Orelsan, scande, lui:
« T’es pas l’élu, t’es pas l’meilleur, t’es pas l’centre du monde,
Petit: t’es qu’le fruit d’une capote éclaté dans l’ventre d’une blonde »
En s’adressant à un « petit » au doudou « plein de bactéries » et en lui montrant le côté obscur des choses, il tue, en quelque sorte, l’enfant qui est en nous après nous avoir fait réaliser que
« même attraper ses rêves, c’est les détruire »
Au niveau technique, il prouve comme il l’avait fait dans ses « adieux avant l’apocalypse » qu’il est capable de changer de rythme très rapidement sans manquer de clarté pour autant. L’instru dubstep renforce, elle, le ton fataliste du couplet.
10 // 6H16 : DES HISTOIRES À RACONTER – ORELSAN & GRINGE SONT LES CASSEURS FLOWTERS / 2013
.
Dans le dernier mouvement de sa carrière, Orel se retrouve aux côtés de Gringe pour reformer les Casseurs Flowters, reposant toujours sur les mêmes piliers: Gringe, Skread et Ablaye. « Gringe et Skread, c’est Baudelaire et Mozart, Ablaye va t’refaire le portrait et il a jamais fait les beaux arts » (Jimmy Punchline, ndlr)
En 2013, Orelsan et Gringe sortent un album quasi potache, dans un esprit plus libéré pour certains, moins consciencieux pour d’autres.
Mais il faut bien comprendre que si Orelsan avait écrit la plupart des textes de Perdu d’avancederrière un comptoir de réceptionniste d’hôtel, sans réel espoir qu’ils soient largement diffusés, la notoriété qui a frappé le MC entre temps a forcé les Casseurs à tailler leurs textes pour la scène, et leur public.
Point d’orgue de l’album avec « Les putes et moi » , « 06h16″ dépeint l’ambiance qui s’installe au bout de la nuit blanche qu’Orel et Gringe ont passé. Le jour s’est levé, l’euphorie nocturne s’est évaporée et avec elle : leur insouciance.
« Prise de conscience froide et flippante,
Des fois j’aimerais m’endormir et m’réveiller l’année suivante »
Le temps qui passe, les remords, le double-tranchant de la célébrité, voilà ce qui vient glacer le sang de Gringe et Orel. Semblant lessivés, hébétés et sans réelle conviction, le duo confesse un sentiment d’impuissance avec une certaine indifférence : « Affligé, choqué, j’manque de certitude pour être un artiste révolté »
Seul le dernier couplet du morceau apporte une touche positive à l’impression générale qu’il laisse:
« Si tu regardes en arrière : Ne vois pas qu’le vide, te casse pas trop vite,
Attends, parce qu’il nous reste encore des bornes à faire »
Parallèlement, le fait que Gringe soit légèrement backé par Orelsan dans le premier couplet permet d’y ajouter une puissance plaisante, s’inscrivant parfaitement dans la tradition du couplet-coup-de-poing propre au duo. Skread, lui, laisse les synthés de côté pour favoriser des instruments plus « traditionnels ». L’instru paraît ainsi plus sensible et permet de mettre en avant le côté introspectif du morceau.
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