1 Artiste…10 Morceaux propose aux rédacteurs de ReapHit.com de revenir sur la carrière d’un rappeur à travers dix de ses titres. Le but ? Nous faire découvrir en toute subjectivité son parcours musical, ses découvertes, ses dix titres emblématiques.
Commençons par un aveu. Il est presque impossible d’établir une sélection objective des meilleurs titres de Fuzati, tant ils semblent indissociables les uns des autres, formant un récit biographique, décrivant au fil des titres et projets, l’évolution et les moments de vie du personnage créé par le rappeur. Comme dans chaque histoire, la sensibilité et le vécu de l’auditeur seront seuls juges de l’ensemble de l’œuvre. Fuzati fait partie de ces artistes sans compromis, qu’on idolâtre ou que l’on déteste, qui nous touchent ou nous indiffèrent. Mais concrètement est-ce qu’il parle de toi ?
S’inscrivant dans l’imaginaire de la sainte trinité, dogme chrétien du Dieu unique en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, égaux, participant d’une même essence et pourtant fondamentalement distincts, Fuzati a trois facettes. C’est d’abord l’homme, l’anonyme versaillais, puis le Beatmaker, à travers Spring Tales ou Last days, et ses Broadcast Sessions, albums instrumentaux sortis en solo, sous le nom Klub des Loosers. Et c’est enfin et surtout, Fuzati le personnage masqué, décrivant sa vie de Looser avec cynisme et amertume.
Le rappeur, le beatmaker et le personnage, logique donc que l’histoire s’écrive sous forme de trilogie entamée avec Vive la vie en 2004 et La fin de l’Espèce en 2012. Lundi 17 février s’affichait sur la page facebook du Klub des Loosers, un message aussi laconique que prometteur :
« Nouvel album terminé. Plus d’infos très bientôt »
Et même si l’on sait depuis 2012, que cet album n’annonce pas la fin de la trilogie décrite, ReapHit saute sur l’occasion pour raconter l’histoire de cet enfant seul (je sais qu’c’est toi !) devenu trentenaire amer. Récit biographique d’une parfaite cohérence, véritable comédie humaine, le rappeur évolue et mûrit en même temps que son personnage. Voici notre version de l’histoire à travers dix bribes de vie où le récit ne semble pas si éloigné de la vérité…
« Ma vie est dispersée en morceaux, telle les pièces d’un puzzle
que j’n’ai pas envie de réunir, de peur de me rendre compte
qu’ils représentent une nature morte… »
1 // SANS FIN – BUFFET DES ANCIENS ÉLÈVES – L’ATELIER // 2003
Pouponnières du rap parisien des années 2000, L’Atelier est un collectif aux allures de super-groupe. Composé de Fuzati, Cyanure (ATK), James Delleck (Gravité Zéro), Teki Latex (TTC) et de deux DJs qui assurent la production Para One et Tacteel (TTC). Le collectif a sorti en 2003 son premier et unique album, Buffet des anciens élèves. Ce sera pour certains l’occasion de poser leurs premiers méfaits rapologiques et d’étayer leurs univers sur un projet complet et cohérent. Fuzati, James Delleck et Cyanure se retrouveront quelques années plus tard au sein du collectif Le Klub des 7.
Sorte de quatrième de couverture de son récit, Fuzati pose ici le cadre de sa biographie. Un résumé de la vie du personnage qu’il décidera de développer sur 3 albums par la suite. L’histoire, qui débute dans une ambiance de conte trash, commence tout naturellement par la naissance de notre anti-héro, entouré de fées héroïnomanes et malfaisantes.
« Avec ça, franchement, j’étais vraiment trop bien parti ! »
« A ma Naissance »…En détournant de la sorte le symbolisme classique des fées marraines, le rappeur explore ici la thématique du destin et de son poids. Fuzati est mal né. Les marraines incapables ne lui ont offert ni esprit, ni grâce, elles ne lui ont légué aucune beauté ni promis aucune protection contre un univers cruel ou une marâtre tyrannique. Dès sa naissance, la vie du petit Fuzati se retrouve donc toute tracée, conditionnée par son environnement et sa lignée. Cette thématique sera régulièrement traitée par le rappeur, notamment sur « Sous le signe du V« .
« Quand tu as faim mange ta main, mais garde l’autre pour demain »
« J’ai 8 ans »…Pour mieux nous prouver l’inéluctabilité du destin, Fuzati continue son récit par des bribes de souvenir d’enfance. Une mère absente, une nourrice omniprésente qui le maltraite et l’affame, les relations sociales décrites sont toutes subies et traumatisantes. Fuzati accumule les frustrations, impuissant face à sa situation. « Quand je serais grand je me vengerais ». Cicatrices impossibles à panser, ce sont ici les raisons du sentiment de mal être social et du rejet de l’autre – qui caractériseront l’adulte quelques années plus tard – qui nous sont exposées.
« Les phalanges de ma main droite se resserrent
autour d’une petite excroissance de chair »
« J’ai 14 ans »…nouvel arrangement temporel, et nous arrivons en pleine adolescence. Pour la symboliser, le MC prend en toute logique, l’exemple de la masturbation et la découverte de la sexualité. Bien que Fuzati fasse appel à un imaginaire collectif – les pages lingeries du catalogue la redoute rappelleront des souvenirs à plus d’un – l’univers n’en reste pas moins malsain, et l’esprit dérangé du personnage transpire du flow du rappeur, fortement accentué par l’instru oppressante et répétitive.
L’adolescence apparaît sous un angle relativement heureux et pour cause, il s’agit ici de plaisir solitaire, acte égoïste et personnel, non partagé : sans relations sociales. Cette période, se traduit également par l’espoir fondé dans l’âge adulte. Ce monde merveilleux que l’enfant fantasme libre et sans contrainte. L’espoir d’une évolution radicale et la possibilité de changer son destin. « Je reste persuadé que dans quelques années je n’arrêterais pas de baiser… » L’intonation volontairement caricaturale avec laquelle Fuzati prononce le dernier mot sera repris la même année sur « Baise les gens« .
« Oh je viens de faire tomber le tabouret !
Maintenant j’étouffe à cause d’une corde qui sert mon cou…j’m’en fous »
Un dernier couplet viendra clôturer ces flashbacks. C’est l’heure du bilan. Les espoirs fondés dans l’âge adulte se sont bien vite estompés, et les boulets du passé restent toujours attachés. « Le goût de l’échec habite ma bouche depuis l’école » Fuzati « réalise que toutes les relations [qu’il a] tenté d’établir avec d’autres êtres humains, ont irrémédiablement avorté. » L’histoire se conclue donc par le suicide, corde au cou du personnage (déjà !). Ce même suicide qui nous sera décrit à la fin de Vive la vie l’année suivante. Inévitable destinée.
2 // ÇA VA S’ARRANGER – MAXI BAISE LES GENS – KDL // 2003
Là où « Sans Fin » ne faisait qu’effleurer les problèmes, « Ca va s’arranger » – petite pépite présente sur le maxi Baise les gens – nous dessine les traits du personnage, et s’attarde sur des événements plus précis.
Les premières secondes sont emplies d’une mélodie dérangeante, qui semble sortir d’un orgue de barbarie désaccordé, et qui, avec l’aide de notre imaginaire, matérialise parfaitement l’univers du morceau. On se surprend à imaginer un décor de fête foraine cauchemardesque, remplie de clowns tueurs, et barbes à papa aux lames de rasoir. La basse, arythmique – comme ce battement sur la tempe sous l’effet de la peur (ou de la colère ?) – vient amplifier ce sentiment oppressant.
Fuzati nous décrit donc une enfance salie par une prise de conscience trop précoce de l’envers du décor. La moindre niaiserie infantile sera immédiatement contrebalancée par le cynisme de la maturité ; cette dualité étant exprimée par le cri du MC lors de son entrée sur le beat.
« Maman me disait toujours la vie c’est comme une boite de chocolat,
à peine à la moitié j’ai déjà envie de gerber… »
La première scènette nous ramène directement aux principaux souvenirs marquants de notre enfance. Le gâteau, les ballons, le Champomy, et les assiettes en carton, c’est la fête d’anniversaire du petit Fuzati. Moment au combien décisif dans une année scolaire, qui se transforme souvent en un véritable test de popularité. Qui sera là pour moi ? Personne, il fallait s’en douter…
Pire que le sentiment de rejet et d’abandon, c’est l’affront fait à l’égo du petit garçon qui nourrira sa volonté de vengeance et l’amènera à planifier, dans la foulée, le meurtre de ses camarades démissionnaires, les photos des victimes bien planquées sous le sommier. Les expériences forgent…
« Le pire c’est de savoir que demain il faudra se lever affronter toute
la classe, traumatisé au point de fermer les yeux chaque fois
qu’on voit son reflet dans la glace »
Fuzati ne date pas cette expérience à un âge précis, comme il a pu le faire sur « Sans Fin » , et nous fait en réalité prendre conscience de son caractère récurrent. Cette évolution du personnage, de son enfance vers l’âge adulte et son cynisme, exprimée jusque dans l’instru, ne s’est pas faite en un jour mais à force de déceptions. Ce récit d’anniversaire ne marque donc pas en soi un point de rupture dans la vie du personnage, ces bougies qui s’envolent, c’est surtout son enfance qui disparait.
« Ce jour là j’ai dû souffler trop fort sur mes bougies,
mes illusions se sont toutes envolées aussi »
« Ca va s’arranger !« . Le refrain arrive enfin étonnamment léger, avec cette phrase scandée d’une voix précipitée et pleine d’espoir, tranchée nette par la réponse acerbe et ironique de Fuzati, « Mais oui…bien sûr… »
Ne croyant nullement au banal espoir d’amélioration de son quotidien, Fuzati glisse quelques années plus tard vers la dépression et franchit les premières étapes de la pensée suicidaire. Il ancre l’éventualité de son suicide dans sa réalité, et imagine parents et petite sœur dans leurs vies après sa mort. « La nuit ta mère ne dort plus ». Malgré la dureté du sort réservé à ses proches, le suicide apparait à nouveau comme inévitable, ses demandes d’affection maternelle étant resté trop longtemps sans réponses et étant devenues malgré lui « l’enfant invisible, celui à qui personne ne fait attention »
Sa représentation du suicide infantile donne l’occasion au rappeur de prouver son sens de l’image au combien morbide, avec l’évocation de sa pendaison, attaché à un arbre au fond du jardin familial, se balançant inerte devant sa petite sœur intriguée.
« Il y a un truc…je vois la corde ! »
Visiblement cette idée n’aura pas été mise en œuvre, et le rappeur nous offre encore quelques belle lignes dans un dernier couplet. « Du whisky des petites pilules tu espères finir dans un trou noir, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir… »
Fuzati définit l’adolescence comme la période de la recherche de la relation avec son prochain et de l’affirmation de soi, mais aussi par le mal être que ce manque de relations amène. L’inadapté social, devient inadapté amoureux. Il évoque d’ailleurs déjà son refus d’être père, thème principal de La fin de l’Espèce qui sortira 9 ans plus tard.
3 // POUSSIÈRE D’ENFANTS – MAXI BAISE LES GENS – KDL // 2003
Présent sur le maxi Baise les Gens et repris sur Vive La vie l’année suivante, « Poussière d’enfants » dépeint un tableau à l’ambiance macabre, où souvenirs d’enfance se mélangent aux visions morbides. L’instru, signée Fuzati et Orgasmic, débute par un beatbox crade, suivi de prêt par une mélodie dissonante et précipitée. A peine le temps de nous imprégner du kick classique et rassurant, que la prod se métamorphose totalement avec l’arrivée du MC. Devenant omniprésente, stridente et répétitive, comme pour coller à la folie du personnage et à ses pensées malsaines, la production nous évoque aussi une image : celle d’un Fuzati masqué, penché sur son synthé en plein cœur des abîmes de l’Opéra de Paris, et improvisant au fil de la dégénérescence de ses pensées.
« Je ne sais pas pourquoi ils disent que les enfants sont innocents… »
« Je me souviens quand j’avais 6 ans… ». Les idées s’enchainent et l’on passe de l’image d’un hérisson écrasé à l’odeur de la grand mère putréfiée, sans réelle cohérence. Le texte semble être les pensées spontanées d’un préadolescent dérangé. « J’ai pris des photos de ce hérisson écrasé sur la route »
Le premier souvenir d’enfance que nous expose Fuzati est (comme toujours) loin d’être anodin. Décrivant les comportements de cruauté animale et de fascination morbide de son enfance, le personnage s’inscrit dans un trouble de la personnalité antisociale, dont le zoosadisme est une caractéristique.
« Pourquoi ne réponds tu pas lorsque l’on t’appelle ?
Parce que tu es mort ? D’accord ! »
Un break dans l’instru semble nous transporter dans un autre lieu, une autre époque, et Fuzati développe alors à nouveau le thème du suicide et de la morbidité infantile, reprenant comme il l’a fait dans « ça va s’arranger« , le théâtre du cocon familial. « Petit garçon ce soir ta maman a mis ton assiette sur la table ». La vie de famille continue et la poussière s’accumule sur les souvenirs d’enfance démontrant combien l’existence du protagoniste était dérisoire, et son suicide justifié.
« C’est vrai la vie est injuste (…) Tu peux toujours chercher un sens,
tu peux aussi t’asperger d’essence, cramer une allumette et
ainsi permettre à un SDF de se réchauffer autrement
qu’en avalant de l’alcool. Rends toi utile ! »
Le refrain arrive enfin, chantonné par une chorale d’enfants fantomatique dont la joie simulée contraste fortement avec l’univers du morceau. Leurs voix s’éteignent peu à peu pour laisser place à un break improbable.
Continuité directe du précédent couplet, Fuzati nous décrit toujours ici sa vision du quotidien d’une famille endeuillée, nous baladant entre parcs désertiques, urnes et crématorium. « Même abondantes les larmes que versèrent vos mères hier n’ont pu éteindre les flammes qui rongèrent vos cercueils. »
Obsédé par son enfance, persuadé d’être métaphoriquement mort – mais la vie grouille en lui – depuis cette époque, Fuzati nous conte sa fascination morbide, avec respect, considérant que les vies écourtées – tranchées nettes – de ces enfants, leurs ont permis de ne plus subir leur quotidien ni leur carcan social. « Vos âmes sont préservées… »
« Le petit garçon que j’étais n’aime pas du tout ce qu’il est devenu ! «
Comme pour ces enfants, le suicide infantile que Fuzati a seulement eu le courage d’imaginer dans « Ca va s’arranger » lui aurait évité de subir les nombreuses souffrances de l’adolescence et le désespoir d’une vaine espérance : celle d’une hypothétique amélioration de son quotidien.
Dans le dernier tableau qu’il dépeint, Fuzati juge tout aussi durement l’adulte qu’il est devenu que le petit garçon qu’il était. Analysant rétrospectivement ses échecs amoureux, le personnage s’adresse avec mépris à son double enfantin. « Et si tu retournais plutôt dans ta chambre écrire à ton amoureuse ! »
Ne supportant pas ce qu’il était enfant, n’aimant pas ce qu’il est devenu, Fuzati oscille entre rancœur et nostalgie en tentant faire taire toute sa rage enfantine. C’est ici le jeune adulte qui tue définitivement son enfance, la laissant s’envoler comme de la poussière d’enfants…
4 // L’HYMNE – MAXI LA FEMME DE FER – KDL // 2003
A découvrir : L’Hymne version alternative.
Le titre est à lui seul révélateur de l’importance de « L’hymne » dans notre sélection. Dans la lignée de « La femme de fer » avec laquelle il partage un maxi, Fuzati nous délecte d’un texte décalé, à l’humour acerbe, se donnant la possibilité d’exploiter toute l’étendue de son cynisme et de son autodérision dans un registre plus drôle et insolent qu’à l’accoutumée.
L’instru tout d’abord tranche radicalement avec l’ambiance qu’affectionne habituellement le MC pour nous réciter ses histoires cauchemardesques, et le groove Jazzy de la prod – entre le piano bar et le téléfilm érotique – nous transporte dans la sensualité d’une autre époque.
« Au Klub des Loosers, la vie est comme dans un musée,
On passe notre temps à regarder, sans jamais pouvoir toucher »
En guise d’introduction, le texte commence par une présentation du Klub et des caractéristiques nécessaires pour en devenir membre. On apprendra donc qu’un looser est un spectateur de sa propre vie, et ce depuis l’enfance, se contentant de « regarder sans jamais pouvoir toucher, ses rêves, le bonheur, les femmes et toutes ces choses importantes. »
Réunion d’anonymes, partageant tous les mêmes déceptions, Fuzati encre ce qui sera désormais son Klub privé, un exutoire. « C’est juste le Klub des loosers… »
« Je m’appelle Fuzati, je porte des couronnes
de galette des rois et des shorts »
C’est la première réunion officielle du Klub et Fuzati se présente aux autres membres d’une voix enfantine et mal assurée. Se définissant en une phrase décalée, comme pour mieux introduire le personnage qu’il jouera par la suite, le rappeur qui ouvre la séance nous apparait dans un registre bien plus enjoué.
Avec cette phrase, Fuzati crée la représentation visuelle de son personnage de looser, gambettes à l’air et coiffé d’une couronne en carton. Les raisons de ce choix et de cet attachement si particulier à ces culottes légères, seront révélées l’année suivante sur le titre « Toute la vérité » : “Je porte des couronnes de galette des rois et des shorts parce que j’ai eu la fève, et que les shorts sont le meilleur compromis que j’ai trouvé à la question de savoir si oui ou non je dois sortir dans la rue avec un pantalon”
« Je lui ai dit : « j’veux du sexe ! »
Elle m’a fait : « Attends, je m’sens pas prête maintenant »
D’accord j’veux bien être patient, mais t’as trente ans ! »
Fuzati décrit les histoires presque ordinaires d’un adolescent frustré et réaliste sur sa situation. Une situation souvent juxtaposée aux pensées du bonhomme sur ses autres textes, mais, à côté de ces derniers, « L’hymne » prend presque l’allure d’une bouffée d’air frais, tant l’angle d’attaque semble léger et l’autodérision poussée à son paroxysme. C’est simple, on siffloterait presque en se disant que nos problèmes sont dérisoires !
Pourtant les thèmes de la solitude et de l’exclusion sociale sont toujours présents, mais abordés avec un humour foutrement efficace, comme lorsque Fuzati tentant désespérément de tirer son coup, propose un grand Fuzati-thon (sur le principe du téléthon) pour lui venir en aide.
C’est la quintessence de la pensée adolescente, un jeune sans avenir et sans projet dont la seule préoccupation, le seul objectif, est de faire l’amour à des pom-poms girls lesbiennes, peut importe qu’elles soient stripteaseuses, perverses, métis ou afro-indonésiennes.
« La vie est plate comme mon ex, courte comme mon sexe,
triste comme mes textes… »
Mais derrière ces préoccupations frivoles, c’est en réalité la tentative d’une affirmation de soi, de la part du personnage comme du rappeur. Avec dérision, Fuzati s’approprie et détourne les codes de l’égotrip dans un exercice de style remarquablement bien mené.
Quand la conception classique de l’égotrip voudrait qu’il se mette en scène, insolent, chevauchant la compagne de son concurrent, Fuzati lui, demande gentiment de la lui prêter. Et encore, il ne réclame pas la première qualité ! Pas de nymphomanes enragées tout de poom poom shorts vêtues mais une trentenaire vierge et frigide comme unique compagnie. Et bien sur quand les autres menacent de tuer leurs détracteurs, Fuzati, lui, les pousse naturellement au suicide. « Si t’en a marre de ce que je dis, plies ton index, presse la détente, de ce gun que tu braques sur ta tempe »
Un break chantonné, laissant un peu plus de place à l’instru, qui, en guise de refrain, finira de nous convaincre d’enfin nous trémousser.
« T’façon je sais que je vais couler dès ma sortie comme le Titanic
J’ai pas de meufs et j’ai pas de potes, qu’est c’que tu veux qu’j’ai un public »
La fluidité du texte de Fuzati et l’aisance inhabituelle avec laquelle le MC glisse sur l’instru, transforme, à son niveau, l’exercice de style en démonstration de flow, toute proportions gardées bien entendu, ce point n’étant pas la spécialité du MC.
Le rappeur le sait et s’en amuse. S’excluant naturellement du Game – « J’suis pas un Player » – Fuzati assume son flow quelque peu simpliste en reprenant l’intonation de Grand Master Flashet son Message qu’il nous déverse en justification : « Me saoule pas parce que j’suis qu’un looser, j’essaie juste d’être un peu meilleur ».
« Je traîne avec des types bizarres du soir au matin
Ma vie, c’est un fantasme de môme et pourtant je n’en suis pas un »
Force est de constater que ce titre, voulu comme l’hymne du groupe, réussi à être terriblement efficace. Drôle, cynique, acerbe, vrai. C’est une halte obligatoire dans la discographie de Fuzati.Point d’orgue de l’autodérision du MC, ce texte est révélateur de l’omniprésence de l’humour caché dans l’ensemble de l’œuvre du Versaillais.
Quand au flow particulier adopté sur ce titre, nous évoquant tout un pan de la nouvelle génération de rappeurs internet, il n’a jamais paru si actuel.
5 // UN PEU SEUL – VIVE LA VIE – KDL // 2004
En 2004 sort le premier album du Klub au titre évocateur : Vive la vie. Après nous avoir conté son enfance, puis évoqué ses jeunes années sur ses précédents titres, Fuzati choisit ici, en toute logique la fin de l’adolescence, marquant son entrée dans l’âge adulte pour construire son premier album. Le rappeur évolue en même temps que son personnage, nous l’avons dit.
Vive la vie est un album dense, aux multiples facettes parfois difficiles d’accès, ou humour noir côtoie cynisme et dépression. Construit autour des pitoyables tentatives de drague d’Anne Charlotte (salope !), Fuzati, jeune étudiant nous offre durant tout l’album sa vision de ses plus belles années.
« Cela va faire longtemps déjà étant enfant,
dans la cour mon meilleur pote était un banc »
Les espoirs fondés dans l’âge adulte, qui ponctuait « l’hymne » avec humour, seront tous détruits un à un au fil des 18 titres – et interludes – de l’album. Fuzati change, certes, d’entourage et d’univers en découvrant la fac, mais ne constate aucun changement quand à sa situation sociale. Il est toujours ce petit garçon perdu, individualité invisible dans l’immensité de l’amphi. « Allo, Anne-Charlotte ? J’sais pas si tu vois qui j’suis, j’suis Fuzati… »
Le MC nous fait une nouvelle fois l’historique de ses frustrations, et bien que ce soit la solitude du gosse seul à son anniversaire qui serve de toile de fond, Fuzati exploite au mieux l’adolescence en la ponctuant des poncifs de cet âge. La déception amoureuse avec « De l’amour à la haine » , le rejet des parents et de ses origines sociales dans « Sous le signe du V » , et la dépression acceptée « Avec les larmes » .
Véritable cheminement, œuvre globale et difficilement dissociable, Vive la vie nous mène étapes par étapes, à la manière du deuil, vers une certaine acceptation.
« Pour mon anniversaire mamie m’a donné dix euros
Sensass, ça m’fera un pack de bières et un porno »
L’instru d’ « Un peu seul » peine à se lancer, comme Fuzati dans la vie, le boulet de sa personnalité toujours accroché au pied. Loin d’être un quelconque exutoire, entre colère et dépression, comme sur certains des titres précédents, « Un peu seul » amorce la morbide conclusion de l’album par un cri d’alerte : « Je me sens seul ! »
Brute et dérangeante, la peur de la solitude décrite par Fuzati, semble livrée sans artifice ni calcul. L’asociabilité qui paraissait jusqu’alors provoquée voir surjouée devient vibrante et subite. Prenant sa ligne rédactionnelle à contre pied, le MC est ici à la recherche des relations sociales qu’il n’a jamais connu.
Profondément triste, ce texte marque le fond de l’abime dépressif de Fuzati – « Alpiniste de la tristesse, ne cessant jamais de grimper ». Le vocabulaire employé est à lui seul représentatif de la détresse du personnage « ils ont coupé le cordon depuis je n’ai jamais été rattaché à personne ».
« Je n’veux pas mourir maintenant
J’ai trop peur que ma tombe ne soit jamais fleurie »
Mais au delà de la simple envie de relations sociales, c’est l’amour qui obsède le MC. Relation ultime, agréât de confiance et d’intimité, c’est l’impossible conquête d’Anne-Charlotte qui structure Vive la vie. « Je n’sais pas si être à deux c’est mieux pour être heureux, mais c’est certain qu’être un c’est forcément moins bien ».
Fuzati espère. Espère qu’il se trompe, que le célibat ne lui colle pas à la peau et qu’il n’est pas trop tard. Idéalisant complètement la chose, à la manière d’une fille mal née du siècle dernier, Fuzati voit en l’amour un échappatoire, la seule chose pouvant encore le sortir de son existence et de son triste quotidien. « La femme de ma vie j’aimerais tant la croiser demain (…) Je serais l’homme le plus heureux que la Terre n’ait jamais eu ».
« Il y a une fille qui me plait dans le rayon raviolis
J’essaye de pousser mon caddie avec un air sexy… »
Malgré tout l’espoir et les efforts fournis, Fuzati reste seul chez lui, à manger des plats pour deux qu’il ne finira pas. Face à cet échec et à l’impossibilité d’améliorer son existence, le personnage se réfugie à nouveau dans la noirceur rassurante du cynisme, tuant dans l’œuf son idylle fantasmée. « Jusqu’à ce matin en se réveillant à côté de moi, elle s’apercevra que malheureusement elle ne m’aime plus ». L’album se poursuivra très logiquement par « Baise les gens« .
6 // PERSPECTIVES – VIVE LA VIE – KDL // 2004
Sur une instru des plus Doomesque, ponctuée par les multiples frappes de la caisse claire, « Perspectives » sonne le glas, et amorce la morbide conclusion de Vive la Vie. Sorte de bilan, Fuzati y réaffirme son personnage de looser solitaire, aidé par un clip rappelant le titre « All Caps » de son illustre ainé. Et l’on se surprend à établir de nombreux parallèles entre les deux génies masqués, jusqu’à reconnaitre le petit déjeuner de « I hear voices » dans la séquence.
« Je marche souvent de nuit, encapuché même sans pluie
Dos voûté, yeux baissés pour mieux regarder mon moral »
L’espoir de trouver l’amour, entretenu tout au long de l’album – de sa vie ? – est définitivement derrière lui. Le jeune adulte triste et plein d’espoir découvert sur « Un peu seul » a laissé la place au dépressif, froid et cynique. L’heure n’est plus au fantasme d’une parfaite idylle, mais à la contemplation de « ces filles qui font toutes du sexe anal ». Le revirement est radical.
Lui qui ne voulait pas mourir de peur « que sa tombe ne soit jamais fleurie » , aujourd’hui conscient de sa triste réalité scande : « Ne compte pas sur moi pour reconnaitre ton corps à la morgue ». Fuzati redevient ce frustré aux penchants misogynes, en faisant allusion, tout au long de son premier couplet, à la masturbation, seules relations intimes qui lui sont accordées. « Je dois parler à ma main droite prestement, j’aimerais qu’elle devienne la mère de mes futurs non enfants ».
« C’est vrai qu’en fait je n’suis vraiment pas bien gros
J’ai donc besoin d’une corde supportant soixante kilos »
Lucide sur sa situation, et sur l’échec inévitable de sa vie sentimentale, Fuzati envisage ses perspectives, et se projette dans sa vie future pour tenter d’y déceler un espoir d’amélioration, une raison de rester. Malheureusement, il n’en trouvera aucune, car du système individualiste et capitaliste, au fonctionnement crapuleux des maisons de disque, en passant par le monde du travail et la désillusion face à des études supérieures inutiles, aucun aspect de sa vie actuelle ou future, n’arrive à le réjouir.
Nouvelle preuve de la cohérence du personnage et de son histoire, la projection que Fuzati se fait de son futur, de son statut d’adulte, sera repris presque traits pour traits dans La fin de l’espèce, l’album suivant, qui sortira huit ans plus tard.
« Et ils pensaient que ce que je disais n’était qu’un concept, super !
Mais je risque d’en user jusqu’à la corde… »
Ces déplaisantes perspectives achèveront de convaincre Fuzati que son existence est vaine, ne pouvant la partager, et ne souhaitant pas la transmettre. Devant un tel constat, il réalise ce qu’il savait déjà, et trouve l’unique solution à ses problèmes dans le suicide. « Allez c’est décidé, demain je trouve un arbre isolé et je le fais ! »
Dénouement logique à l’intégralité de l’oeuvre, le Mc nous surprend cependant en brisant les frontières entre Fuzati, et l’homme derrière le masque, entre le récit et la réalité, nous prouvant que ce concept album a tout d’une véritable lettre de suicide. Un concept, la dépression ? Visiblement non.
« Bizarrement le Klub des looser semble plaire à quelques personnes,
ils ont fortement apprécié mon sens de l’autodérision,
Je me demande ce qu’ils diront en apprenant que mon corps pourri
lentement à une corde, ça c’est mon sens de l’autopendaison… »
Cette théorie, le versaillais nous la confirmera dans « Il faut qu’on parle » , track cachée, indissociable de « Perspectives » , clôturant l’album. (à 3min07 sur le lecteur ci dessous)
7 // L’ÉPONGE – LE KLUB DES 7 // 2006
Entre deux albums, Fuzati donne signe de vie et s’offre un solo magistral sur le premier projet du Klub des 7.
« J’aurais dû y passer mais j’attendrai encore un peu »
Placée en électron libre dans ce top 10, « l’éponge » ne semble pas être intégrée à l’histoire de Fuzati à proprement parlé, accentuant la démarcation déjà bien mince entre la biographie cinématographique du MC et la réalité de l’homme.
Laissant son personnage, corde au cou, balloté par le vent, le versaillais s’offre une bouffée d’oxygène. Gratifié d’un clip simple mais efficace, il nous apparait, décomposé, en morceaux. Superposition de 3 plans – tiens donc ! – ayant chacun leur vie propre, le clip nous montre la multiplicité du personnage de Fuzati, tout autant que leur indissociabilité. Le personnage nous apparaitra presque unifié, magnifié par un halo de lumière dans un plan unique, effaçant le mince écart encore perceptible entre le rappeur et Fuzati.
« Pour savoir c’que j’ai dans le bide, attendez l’autopsie
Un peu d’alcool, du THC, une vie sous anesthésie »
Sorte de teaser au « Je suis vivant ! » scandé par Fuzati à l’ouverture de La fin de l’Espèce, le rappeur nous annonce « sa renaissance » avant celle de son personnage.
Là où Fuzati n’avait trouvé aucune raison de rester, lui, semble ici nous faire l’inventaire des palliatifs trouvés pour agrémenter une existence trop fade. « Passe moi une aiguille à bonheur, toutes mes pensées sont vaines » . Ce texte est aussi l’occasion d’évoquer pour la première fois, l’alcoolisme que l’on retrouvera en filigrane dans le développement de La fin de l’Espèce. « Si mon foie en était une (éponge), elle serait tellement imbibée »
« L’amour est un succès donc il ne dure jamais longtemps,
Si je vendais du shit, mes quelques potes m’appelleraient plus souvent »
Digger devant l’éternel, le MC nous évoquera aussi en vrac sa passion pour les vinyles, sa vision de l’industrie du disque, sa déception face à l’amour et l’amitié. Egotrip du fond du trou, le Mc raconte son besoin vital d’écrire, en marge d’une industrie du spectacle, et de la recherche d’un succès éphémère. « L’Eponge » symbolise donc l’exutoire qu’est Fuzati pour l’homme derrière le masque, emmagasinant sa vie pour la recracher exacerbée à travers son personnage.
8 // VIEILLE BRANCHE – LA FIN DE L’ESPÈCE – KDL // 2012
Avant même la sortie de l’album et du single « Voluptes« , Fuzati, 8 ans après Vive la Vie, renait de ses cendres avec une photo et un cri déchirant : « Je suis vivant ! » , lancé aux auditeurs qui le pensaient six pieds sous terre.
Continuité directe de la trilogie, cohérence parfaite du récit, nous retrouvons notre anti héros quelques secondes à peine après Vive la Vie. Laissé debout sur une chaise, corde au cou,« ayant trouvé un moyen de mettre un terme définit à tous sentiments d’ennui », Fuzati nous réapparait le « cul par terre » et l’air stupide. Looser magnifique, non content d’avoir raté sa vie, se permet de rater son suicide. « J’aurais mieux fait de me défenestrer ! »
« C’est une seconde naissance, j’ai buté mon adolescence
Ça se fête, j’allume une clope, comme un condamné à vivre »
Après celle du rappeur dans « L’Eponge » , nous assistons à la renaissance de Fuzati. Assimilée à un cordon ombilicale, la corde du pendu devient symbole de renouveau. L’adolescent de Vive la Vie est mort et enterré, libéré du poids de son passé, Fuzati appréhende l’âge adulte d’un nouvel oeil. Devenu trentenaire nihiliste, et profondément misanthrope, fort de sa victoire contre la mort – « Elle a peur, se cache » – et du sursis accordé, il abandonne ses vieilles frustrations au pied de l’arbre, se mutilant presque, « jette des pierres aux corbeaux pour qu’ils évitent de le suivre » et se surprend à sourire. Le versaillais se résigne à vivre.
Cette évolution, se refera ressentir dans la forme tout autant que dans le fond, travail sur la voix, samples mix et arrangement, La fin de l’Espèce est un chef d’oeuvre de conception.
« On croit d’abord au Père Noël puis aux orgasmes dans les pornos
Le jour où on ne croit plus en rien, c’est qu’on a fini d’être ado »
Fuzati mue, évolue, mais ne se débarrasse pas complètement de ses vieux démons ni de sa personnalité dépressive. « Dans les bois j’ai laissé mes fantômes, y reviendrai pour un jogging ». Cette humeur, avec l’âge, prend l’allure d’une nostalgie profonde, et le MC évoquera enfance et photos de classe et jeune année avec un regard désabusé.
« Rien ne reste, tout passe… » Cynique et blasé, relativisant ses soucis adolescents, Fuzatisemble désormais obsédé par l’angoisse du temps qui passe.
« Qu’es-tu devenue toi qui nous faisait tous bander dans l’amphi ? »
Anne-Charlotte terminera d’achever la transition. Celle qui les faisait tous bander dans l’amphi, a perdue de sa splendeur et de son intérêt. Devenue mère de famille bourrée de vergetures, Fuzati utilise son ancien amour à ses dépends pour renier le cheminement de vie classique et socialement accepté : amour-travail-enfants. Il introduit grâce à elle, les thèmes qui seront développés tout au long de La fin de l’espèce. « Dans la poussette cette chose affreuse c’est tout l’espace qui nous sépare, pour être honnête à l’époque, il était déjà trop tard… »
9 // DESTIN D’HYMEN – LA FIN DE L’ESPÈCE – KDL // 2012
Point d’orgue de l’album avec « Non-Père » et « La fin de l’Espèce » , « Destin d’hymen » est un parfait exemple de l’évolution du personnage amorcée avec « Vieille Branche » .
« La vie a de belles lèvres, méfie toi de ses morsures
Mieux vaut être seul qu’avec une conne qui claque son salaire en chaussures »
Résigné à vivre, et a intégrer ce monde qu’il exècre, pour la souffrance qu’il lui a infligé, Vive la Vie à l’inverse de La fin de l’Espèce ne parle qu’assez peu du quotidien et du destin de Fuzati. Le MC décide d’accentuer la distance qui le sépare des autres, préférant observer le monde que d’en faire parti, la solitude subie devient solitude choisie, nous l’avons déjà dit.
Fuzati au fil des ans a prit conscience qu’il n’était pas fait pour le bonheur, alors forcément le cynisme est partout. « Victime que de lui même » , il nous parle d’amour, de souffrance, de l’inconvénient d’être né et d’être lui, pourtant l’essentiel de son texte s’attache à critiquer la majorité des normes sociales, vomissant son dégoût des autres. Cumuls de billets d’humeur, c’est cette fois de vrais jugements de valeurs que nous délivre Fuzati sur ce texte, dénigrant les relations humaines, qu’elles soient professionnelles, amicales ou amoureuses.
« On sait qu’on n’se reverra pas parce que nos vies sont bien trop courtes
Rappelle-toi juste qu’à une époque tu aimais avaler mon foutre »
Continuant de subir son enfance – « par la fenêtre j’entends un enfant qui pleure » – vivant dans un monde et une époque qui ne lui correspondent pas, refusant de transmettre ce qu’il est, Fuzati réussi en une phrase à renier une génération tout entière. « Vos gosses sont superflus ! »
Le discours est plus que jamais teinté de violence et de rancoeur envers les femmes avec le rejet total du couple et de sa symbolique. A l’origine objet de fascination parfois décrié par une stupidité adolescente, la femme est devenue pour Fuzati, au fil des déceptions, un simple objet à baise pour laquelle il déverse tout son mépris. « Romantique comme un acteur porno qui ne quitte pas son alliance » .
« On se raccroche à ce qu’on peut même si au fond nos vies sont vaines »
L’alcoolisme et le palliatif qu’il représente, pour notre inadapté social et amoureux, déjà évoqué dans « L’Eponge » , est ici plus largement exploité. L’espoir fait vivre, certes, mais une vie d’alcoolique pour ne pas être déçu…
10 // AU COMMENCEMENT – LA FIN DE L’ESPÈCE – KDL // 2012
Durant toute sa carrière, le Versaillais masqué a su nourrir son personnage, écrire son histoire, créer un mythe et le faire entrer peu à peu dans la légende. Loin de se caricaturer malgré la récurrence des thèmes, Fuzati a réussi, à travers ses récits, à casser complètement les frontières du rap. Non, le Klub des Loosers ce n’est pas que de la musique. La cohérence du récit et de son univers, son sens de l’image, la sur-utilisation de l’autoréférence, et son penchant littéraire, sortent les textes de leurs carcans. Fuzati écrit l’histoire, littéralement.
« Voilà, dernier adieu on se dépêche le cimetière ferme
Chaque vie a son terme comme chaque billard une tâche de sperme »
Les beats sublimes, la rareté des samples utilisés, et les nombreuses influences musicales de Fuzati, font de La fin de l’Espèce, l’un des grands albums de HipHop francophone. Fascinant et hypnotique, à la fois guide de survie de notre époque et manifeste du nihilisme : Mon album de la décennie (copyright déposé, c’est vous dire si je ne manque pas d’objectivité…)
A travers une chronique sombre mais pertinente de notre temps et de son mal être ambiant, Fuzati le cynique, tel Diogène de Sinope, dénonce les normes et valeurs dominantes. Volontairement provocateur, nous renvoyant l’hypocrisie des conventions sociales en pleine figure, ses textes aux messages humbles et désinvoltes, proposent une autre vision du monde, à l’opposé du nivellement par le bas culturel et social dans lequel il s’enferme.
« On peut changer les prénoms mais c’est toujours la même histoire
Qui se répète même si en fait on sait qu’elle ne mènera nulle part »
Achevant l’oeuvre avec brio, sur une prod à faire pleurer un mort, « Au commencement » apparait comme l’ultime conclusion de ce raisonnement. 8ans plus tôt, Vive la vie s’achevait sur la prise de conscience de la futilité de l’existence du protagoniste, inutile anonyme. Avec « Au commencement » , ce même sentiment prend une dimension universelle, renvoyant directement l’auditeur face à l’inutilité de sa propre vie. Le texte d’une beauté froide, fait mouche et il est impossible de ne pas sourire face au portrait cru qui y est dressé.
Fin provisoire, récit en suspens, tel un bon bouquin, l’histoire de Fuzati nous fait attendre frénétiquement le prochain chapitre. Comment va se terminer la trilogie ? Ce dernier album marquera la fin de l’histoire, bon nombre de fanatiques espère donc qu’il n’arrivera pas de sitôt. En attendant nous nous jetterons sur « Grand Siècle » qui signe le retour du duo Fuzati/Orgasmic.
« Et merde c’est pas l’histoire, j’ai débuté par la fin, oubliez tout
je recommence, pour que tout le monde comprenne bien… »
Merci d’être arrivé jusque ici…
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