A court de Stamina, Freez comble Les Minutes Vides

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Date de sortie : 17 novembre 2017

Addictive Music

Production : Chilea’s

Interlude : Chilea’s & Astronote

Featurings : Neha, Hifi et JP Manova

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Si les Minutes sont Vides, c’est que la feuille est pleine. L’endurance venait à manquer à Stamina. Freez a alors décidé de se saisir du temps, pas celui qui passe mais celui qui dépasse. Une demi-heure pour compter la plénitude d’un vécu. Neuf titres pour redonner leur temporalité aux instants perdus.

En 2006, le duo Stamina secouait l’underground parisien, sortait du 18ème et de ses souterrains pour tourner son premier maxi, Paname History X. Cinq ans plus tard le groupe revenait expliciter Les Règles De L’art avant de bâtir en 2013 des Prison(s) De Verre dont ne reviendra pas Emoaine. Quatre longues années se sont écoulées, sûrement le temps de retrouver l’assurance de se lancer en solo, s’insuffler une nouvelle endurance. Freez sort Les Minutes Vides chez Addictive Music, ce 17 novembre. Un EP de 9 titres intégralement produit par Chilea’s. Les pieds toujours ancrés dans le 18ème, le regard tourné vers le ciel.

Entre spleen et chill, les mélodies de Chilea’s

Peut-être pour prendre de la distance avec la capitale, à coup sûr pour en revenir à ce qui faisait la force originale, Freez est retourné sur ses terres orléanaises. L’EP est intégralement produit par son compère Chilea’s et enregistré en grande partie dans la cabine de ce dernier. C’est d’ailleurs là-bas, dans son studio, que la moitié de Stamina est sortie de sa Zone De Confort. Il a transgressé à sa règle d’or, n’écrire qu’entre les 4 murs de son appartement pour gratter dans l’émulsion enfumée qui y régnait. Le rappeur confie lui-même que le nom de Chilea’s aurait pu apparaître sur la pochette à ses côtés. La volonté de livrer un opus en solo, de s’affranchir de l’étiquette Stamina a pris le dessus, mais la conception s’est faite à deux. Chilea’s a réussi à offrir à Freez un terrain de rime éclectique mais homogène. Les ambiances électroniques tranchent avec des boom-baps plus classiques. La caisse claire est, elle, omniprésente et vient rappeler que le temps passe, rythme Les Minutes Vides que Freez remplit. Hifi sort de ses chaînes et harangue que si « Le beat est tribal, le style est trivial ».

La temporalité d’un rappeur à 360 degrés

Le philosophe Francis Métivier décelait dans Rap’N’Philo que le temps qui file est l’obsession du rappeur. Interrogé à ce sujet, Freez répondait que cette temporalité est propre à l’artiste en général, que « tout le monde depuis Cromagnon est obsédé par l’idée de laisser une trace ». Celui qui nous dit se voir comme un grand flemmard rend hommage au temps passé à en perdre et comble Les Minutes Vides. C’est évidemment sur le morceau éponyme que ce titre prend tout son sens. Neha énumère fatalement la succession de l’échéancier chronologique « les secondes, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois, les années, la nuit. » Un flow aussi rapide que le cours des minutes vides qui court tout au long de ces nuits où le temps se perd à moins qu’on ne le perde… Freez élude : « le temps c’est précieux, le factice m’emmerde. Ma life se résume à combler les minutes qui défilent, affronter le vide, la fatalité décide de nos vies. »

L’ex-membre de Stamina se revendique comme un homme à 360 degrés, capable d’écouter et d’apprécier tous styles de rap confondus en fonction de son humeur, de l’instant présent. Chose qui se retrouve, au sein de l’EP, dans le panel d’ambiances et d’atmosphères déployées. N’en déplaise aux aficionados de Stamina ou aux puristes restés accrochés à leur archaïsme, Freez se joue des codes actuels et s’en approprient les outils. Pas « d’hostilité de principe », le rappeur n’est ni pour ni contre. Si autotune il y a, ce n’est qu’un « instrument » de plus à mettre à son arc. Une corde qu’il utilise comme bon lui semble mais qu’il tire « maintenant en 2017 », ajoutant en riant qu’il n’aurait sûrement pas dit la même chose lors d’une précédente entrevue. Son endurance dans le paysage rap l’oblige et l’incite à livrer une nouvelle « recette » sans renier ce qu’il a pu faire, sans poser de barrières.

A 360 degrés dans son époque musicale, mais aussi sociétale. Après avoir mis le rap en PLS, Freez enterre la société, lui souhaite de reposer en paix, RIP. Il assure que « s’inscrire en faux est capital » dans ce qu’il qualifie de l’hypocrisie du « Je Suis Charlie ». Préfère s’insurger d’un « RIP salope de flic, j’en place une pour le ministère « Je Suis Adama, Je Suis Théo », RIP le dialogue j’te nique. » Un propos aussi violent que son époque qu’il étaye dans une interview à paraître chez les copains d’iHH « ça ne devrait pas être subversif de dire que la justice doit être la même pour tous. » Le morceau prend tout son sens mis en image par Tarmack Film, le Freez adulte, oppressé par le système laisse petit à petit place à l’ado puis à l’enfant qu’il a pu être. Le temps file, cristallise les souvenirs et le renouveau se dessine sous la peau d’un ventre rond, si « hier est mort » c’est que « demain reste à faire. »

L’endurance de l’ancien Stamina

Stamina ne l’avait pas fait, Freez vient s’en acquitter. Il en va de cette tradition dans le rap de représenter ses codes postaux. Le rappeur n’avait toujours pas offert de ballade à sa ville, il choisit de conter le spleen de son quartier, Le Blues Du Nord. Il revendique une description de ce qu’il voit de sa fenêtre, une vue du 18ème depuis ses toits. Mais assure non sans un sourire que « dans la forme ce n’est pas du tout école du 18 ». Freez, à la manière de ses comparses, ne fait que représenter ceux qui vivent « tellement tous éloignés de leurs foutus normes », les prisonniers de cette tour d’hiver car « ces temps-ci l’ambiance y est beaucoup plus morne ».
Hifi et JP Manova rejoignent Freez pour croiser le micro entre anciens. Voir plus loin que le ter-ter, « mener la guerre des nerfs, La Der Des Der ». Les percussions de Chilea’s donnent une couleur tribale au morceau. Vindicatifs, les MC’s rentrent en guerre du bout du stylo. Hifi y réaffirme ses origines noires, dénonce le blanc qui fait des « dollars sur le dos des dos argentés ». JP lui emboîte le pas, parfois cynique, toujours technique. Survivant qui ne s’est pas laissé « décimer dans l’épidémie » celui qui a pris des coups en a mis. Un flow rapide qui vient frapper à bâtons rompus sur les vendeurs d’idées reçues. Freez vient fermer le morceau avec une hargne jusqu’alors non explorée sur le projet. De la justice il ne voit que la gueule de Cerbère, si les autres c’est l’enfer, il faut mener cette Der Des Der. A Hifi de rétablir l’ordre, « c’est le son des grands ensembles, laisse les grands ensemble. »

Pour résumer ce projet il faut se le procurer, tenir entre ses mains la pochette, suivre le regard de Freez voyant passer une comète : « Dans tout ce merdier, j’ai les yeux levés vers le ciel, par espoir. J’ai horreur des trucs complètement bre-som, de la posture de l’artiste torturé. Regarde en l’air, tu verras que t’es pas si mal ». Une demi-heure fracturée par une interlude qui invite à revêtir le costume de l’Astronote. Une demi-heure à voir les minutes vides se remplir de tout ce qui fait de Freez un artiste complet. La haine et l’amour, la peine et la joie, ses frustrations et ses rêves, son environnement et finalement au loin, l’inconnu, le salut. Sur ses pas le chemin est pavé de noir, il vide les minutes, parachève sa lutte : face à lui se révèle une Trajectoire Aléatoire.

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Théo

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