Dans le milieu de la trap actuelle, la méthode Jeezy ferait presque figure d’exception. Plus le temps passe, plus les trappeurs inondent le marché, cherchant désespérément à se rappeler au bon souvenir d’auditeurs croulant sous les sorties. Jeezy, lui, prend son temps, et chaque sortie frappe de manière méthodique mais violente, comme le coup de marteau d’un Héphaïstos en pleine construction. Chaque projet est ainsi une pierre supplémentaire apportée à un édifice de plus en plus gigantesque, entraînant plusieurs types de sonorités dans son tourbillon créatif, prenant l’aspiration des nouvelles tendances sonores pour mieux les dépasser.
Seen It All, c’est un peu l’heure du bilan. Le Snowman, armé de sa meilleure prose argotique, revient sur son parcours, de son ascension dans la vente de dope au succès, des heures passées à cuisiner et à vendre ( « ¼ block » ) jusqu’à la jubilation face aux profits matériels que ce travail a engendré ( « Beautiful » ). Et c’est justement le travail qui est sanctifié tout au long de Seen It All : Jeezy a toujours fait dans la motivation music, et sur ce point là, les choses n’ont pas changé. Il coache l’auditeur comme il coachait ses vendeurs de rue il y a quelques années de cela, démontrant que tout est possible, et que, en progressant par étape par étape, il est possible de monter au sommet, à l’image du dernier couplet de « Hard Enough« . Chaque morceau semble offrir une avancée supplémentaire dans la construction d’un univers se développant fragment par fragment ; chaque ligne nous en apprenant un peu plus sur le personnage et son passé.
Mais malgré cet optimisme, une véritable hantise du passé semble parcourir cet album. Jeezyrevient sur bon nombre de ses problèmes, qui semblent ne plus pouvoir quitter son esprit, et se console avec les possessions matérielles que lui auront apporté tous les sacrifices faits pour arriver au sommet. C’est l’histoire d’un ex-dope-dealer qui a perdu des proches, aujourd’hui en taule ou dans la boîte à sapin, et qui repense à eux en parcourant la ville de nuit, dans sa Rolls flambant neuve. C’est l’histoire d’un gamin qui rêvait de cette même bagnole en la voyant passer dans la rue, mais qui n’avait pas calculé ce que tout cela lui coûterait. Trop tard, l’engrenage était déclenché.
Jeezy n’hésite pas à orner son édifice de fort belle manière. Pas de production trap générique, mais un véritable amour pour l’ampleur et les samples aériens, comme en témoignent les plages instrumentales de « Holy Ghost » , de « Seen It All » ou de « Beautiful » . Le Snowman parcoure ainsi différentes tendances musicales et parvient même à surpasser ses influences, bien aidé qu’il est par le talent de Childish Major, Black Metaphorz, Mike Will ou encore Cardo. En bon chef de troupe, Jeezy parvient à tirer le meilleur de chacun de ses hommes, qu’ils produisent ou qu’ils viennent prêter main forte à la construction du monument au détour d’un couplet ou d’un refrain.
Au cours de Seen It All : The autobiography, on retrouve ainsi Akon et August Alsina, qui signent deux refrains réussis, Game et Rick Ross dans leur plus grande forme sur « Beautiful » qui conclue l’album, et un Jay-Z comme on ne l’avait pas entendu depuis longtemps, signant un couplet digne de « Reasonable Doubt » .
« That bitch beautiful … ». C’est sur ces paroles que se termine l’album, comme si tous les sacrifices humains, matériels et moraux en avaient valu la peine. Comme si la construction finale était maintenant terminée, et que Jeezy savait qu’elle passerait la postérité, à l’image d’un bâtiment bâti sur des générations.
Pour finir, le maestro nous offre trois titres bonus, comme trois vitraux supplémentaires venant orner sa cathédrale et nous permettant de saisir encore un peu mieux le personnage et son passé. « Beez Like » et son refrain entêtant convoquent d’ailleurs un fantôme du passé, en la personne de Lil Boosie, dont Jeezy aura encore une fois réussi à tirer le meilleur. « No Tears » et « How I did It » concluent cette période de contemplation, et enterrent définitivement une période de sa vie.
De loin, Jeezy peut avoir l’air de frapper bêtement, et sans vision d’ensemble, à l’instar de ses adlibs grandiloquents et braillards, mais l’homme a beaucoup plus de finesse qu’il n’y paraît. Seen It All : The autobiography vient ainsi conclure une œuvre globale et inspirée qu’il avait débutée en 2005, par l’intermédiaire de Let’s get It : Thug Motivation 101. Reste à savoir ce qui adviendra par la suite : Jeezy reviendra-t-il en arrière, ou entamera-t-il une nouvelle période de sa carrière ? Il nous paraît étrange de l’imaginer traiter d’autres sujets, mais il faut bien admettre que Seen It All a bel et bien bouclé la boucle.
En attendant, Jeezy continue à faire son chemin seul, comme un personnage de péplum, la réussite et la victoire en ligne de mire, abandonné de tous, mais tirant sa force de chacune de ses souffrances.
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