Un homme sans attache est censé être un homme libre, mais plus la vie avance, plus on se rattache à des choses, afin de figer désespérément le temps qui court. Ces choses, on a beau y tenir comme à la prunelle de nos yeux, les astiquer et les préserver, elles finissent toujours par se désagréger, comme atteintes par le même virus de vieillissement que nos vies. La musique ne fait pas exception à cette règle, l’artiste s’attache souvent aux bases de ce qu’il fait de mieux, en espérant les faire perdurer. Nombre de MC’s pensent leur style intemporel, et malheureusement s’enferment dans un cercle de créativité qui ne fait que s’élimer les années passant. C’est un confort, et en même temps une sécurité (un changement de style reste un risque).
Cormega ne fait pas exception. En gardant sa ligne de conduite intacte année après année, l’homme n’a plus les armes pour conserver la fraîcheur de ses premiers albums. Mega Philosophy est le sixième album du MC du Queens, un album dans la continuité de ce qu’il nous a toujours proposé. Dur de lui en vouloir, mais force est de constater que le temps n’aide pas…
Vous pourrez demander à n’importe quel fan de Mega, l’homme ne déçoit jamais (ou rarement) et cette qualité perpétuelle se base sur un modèle musical qui ne change jamais. Une stratégie simple, qui permet ainsi de contenter sa fanbase sans pour autant être assez armé pour conquérir les nouvelles générations. Born and Raised sorti en 2009, était un album de très bonne facture qui avait permis de remettre le MC en selle après une longue période de silence. Déjà, on pouvait ressentir à l’époque ce côté un peu réchauffé, mais la longue attente avait eu pour effet d’éclipser les critiques à ce sujet. 4 ans après, Mega philosophy prend le relais, et s’il ne souffre pas de la comparaison avec son prédécesseur, on reste tout de même dubitatif sur la valeur ajoutée de ce nouvel opus.
Objectivement l’album coule tout seul, un eenchaînementde tracks très bien produites et où Cormega remplit aisément son rôle de MC. Mais une impression négative persiste à son écoute, comme un putain de polo RL délavé à force d’avoir trop tourné dans le lave-linge. Les couleurs semblent ternies, et le coton plus aussi souple qu’au premier chillage. Ça reste un polo RL mais ça n’en n’a plus la saveur. Et bien Mega Philosophy, c’est en clair The Realness au bout de 13 ans de lavage intensif.
Pourtant, l’homme avait pris la précaution de laisser l’ensemble de la production à Large Professor, un gage de qualité fort car le producteur reste une valeur sûre dans le milieu, capable de sauver un album d’une mort rapide (le dernier Noreaga). Et pour le coup, Large Professor a rempli sa part du contrat sans non plus sortir des ogives de mortier à haute capacité de destruction. Le travail de Large Pro est assez comparable à celui de son album en commun avec Neek The Exotic, Still On The Hustle sorti en 2011. Des productions efficaces et ancrées dans une certaine vision du rap, faites pour satisfaire, mais pas forcément pour rester gravé en mémoire. On notera tout de même un angle de production plus léger, ou plutôt une envie de faire un produit fini bien propre, et en conclusion trop lisse. Une volonté peut être partagée par un Cormega dans la quarantaine, et qui souhaite kicker sur des choses moins crades qu’à son habitude. Toujours est-il que le format de production répond à ce qu’a toujours fait Mega.
Du point de vue mceeing, Mega cumule les années, et on sent que quelques lacunes techniques apparaissent. Souvent critiqué pour son off beat limite par le passé, l’homme en a tiré profit pour en faire une arme. Sur cet opus, on a parfois l’impression que l’arme se retourne contre lui. Un flow moins ajusté, qu’il essaye de palier par une qualité d’écriture toujours aussi irréprochable. D’ailleurs, la conclusion de « Rap Basquiat » revient sur cette particularité : au lieu de faire l’éloge de l’ensemble des skillz de Cormega, on préfère pointer sa plume.
Dans l’ensemble, Mega Philosophy est un album de bonne facture qui ravira aisément les fans de la première heure et les old-timers. L’album offre quelques moments sympathiques, à commencer par « MARS » où l’on retrouve en invités AZ, Redman et Styles P, une combinaison qui fonctionne très bien, mais qui souffre de deux maux : un bon beat, mais trop lisse, et un Cormega qui n’arrive pas au niveau de ses 3 guests. Le très planant « Industry » reste surement le morceau le plus symbolique de l’album, avec une vraie symbiose entre le texte, le flow et le beat. On retrouve également cette sensation sur « Rap Basquiat » où Mega démontre qu’avec l’âge, on peut encore varier la vitesse de son flow comme aux premiers jours (on sent tout de même qu’il se force sur les accélérations).
La combinaison avec Raekwon est plutôt agréable, comme l’ensemble ça passe tout seul, sans pour autant espérer une heavy rotation. On aurait pu attendre une approche plus agressive pour son morceau avec Black Rob, mais l’homme se veut plus posé, donnant un rendu plutôt agréable à l’écoute. Par contre, quelques choix douteux sur cet album, et plus particulièrement sur les hooks des morceaux « More » , « Rise » et « Valuable Lesson » . On peut opter pour une approche soul/RnB sur les refrains, mais pour le coup, les chœurs sont à la limite du caricatural tellement c’est niaiseux.
Cormega traverse les époques en gardant son style intact, mais malgré cette volonté, le vernis commence à s’éclater et son style semble ne plus briller comme avant. On comprendra aisément que les habitués du genre se régalent sur cet album comme sur ses précédents car, au fond, c’est le but avoué de Mega : satisfaire sa clientèle avec sa propre dope. Néanmoins et objectivement, Mega Philosophy fait figure de relique qui nous renvoie à la figure nos propres contradictions : rechercher un son boom-bap des années 90, mais qui ne sonne pas années 90, et ce Mega Philosophy ne peut y répondre.
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