Le « coup resplendissant » que Paco préparait dans « Question de choix » a enfin vu le jour. Après dix ans d’absence, l’explorateur montreuillois nous revient enfin avec un premier vrai album intitulé Paco-errant : récit de ses aventures passées qu’il est prêt à nous faire partager. De l’eau a coulé sous les ponts depuis A base de vers durs en 2004, mais le rappeur que nous connaissons n’a pas pris une ride, il a conservé son énergie et son talent pour nous délivrer un projet plus complet, plus intime. Paco semble avoir vagabondé longtemps dans une jungle hostile qu’il ne comprend plus, Paco-Errant en est le souvenir musical.
Quand « J’vais te faire un album dark » répond à « Darkness … », on comprend vite que le fil conducteur du disque ne sera pas gai. Mais malgré les ténèbres qui l’entourent, toute la force de Paco dans cet album est de ne jamais s’y laisser entraîner, quitte à être sur la limite, quitte à leur sourire. « L’ouvrier sous-estimé » raconte ses difficultés quotidiennes et un malaise qui grandit. Cette souffrance est présente sur de nombreux titres comme « La France d’en bas » où il rend un hommage sans misérabilisme aux « bosseurs de l’ombre sans cesse débiteurs » trop souvent mis à l’écart dans notre société où les inégalités sociales deviennent criantes ; ou encore dans « Dialogue de sourds » qui est un discours à sens unique entre l’État et les petites gens, ceux que l’on écoute jamais.
Le monde dans lequel Paco évolue est sombre « Sous mon ciel noir, la malchance gravite / J’cours après l’espoir mais son absence m’attriste » et conduit à la déprime et l’autodestruction « Classique, on est combien dans c’trafic ? / À s’répéter que nos chemins n’ont rien de fantastique / Statique comme la plupart on s’agrippe / La défonce est l’unique exutoire qu’on s’fabrique ». Le dernier sursaut du malade Paco face à cette triste époque apparaît sur « Allô docteur », le virus pourrait être incontrôlable et conduire au dérapage. Il essaye en vain et de toute ses forces de de cicatriser la plaie.
Mais à l’épidémie, Paco, répond non pas avec un revolver mais avec de la joie. Il veut sortir de la torpeur crée par les médias, l’État, la crise. Plus qu’une aspiration il revendique le fait d’être heureux, contre tous les malheurs du monde. Ainsi malgré le boulet qui l’entraîne dans les profondeurs, Paco est celui qui lutte pour sortir la tête de l’eau après un rude combat contre l’océan. On connaissait le talent de nageur de l’aventurier et son coté tête-brûlée : « J’savais à peine nager, tu m’voyais sur l’plongeoir ».
Paco n’est peut-être pas optimiste mais serait à ranger du coté du carpe diem « La vie est un présent, t’as raison de l’apprécier ». Dans l’album, l’opposition entre joie et tristesse – ou rage et amour – est constante elle résulte d’une volonté d’aller de l’avant « On survit, on s’endurcit machinalement / Mais la mort en sursis c’est pas si mal finalement ».
Depuis « Tu crois quoi ? », les enfants ont grandi et Paco aussi. Chaque morceau contient des bribes de pensées d’un père de famille qui créent une puissance émotive forte. Sur le personnel morceau « le temps passe », il évoque les inquiétude d’un père pour le futur de ses enfants et espère être encore là malgré les années qui filent « Chaudard, ça m’rend malade j’te l’affirme / J’espère être encore là pour l’mariage de ma fille / Voir mon fils grandir, devenir un homme droit /Bâtir son avenir et choisir la bonne voie ».
Il construit un cadre intime dans lequel il est facile de se reconnaître, il se rapproche ainsi de l’auditeur. La paternité ne rend pas complètement sage, Paco dorénavant « le vieux con » est resté un brailleur hors pair qui aime toujours les plaisirs simples, c’est à dire écrire.
Paco où l’homme qui écrit plus vite que son ombre, aime gratter des 16 pour le plaisir. Loin d’un gagne-pain comme pour beaucoup d’artistes indépendants, la musique est un amusement. Le rap est une activité extra-scolaire ou un loisir, c’est ce qu’il relève dans « Treizième mois ». Il a gardé la dent dure contre le « faux-rap » et ouvre toujours sa « grande gueule » comme une menace « P.A.C.O. les phrases, les mots, ces paquets d’flow terrassent les faux».
Le flow de Paco a gardé son aisance et sa technicité, il s’autorise à varier sur de nombreux morceaux. Il s’oblige à un refrain par morceau et s’impose un story-telling (« Putain de joint ») et un exercice de style comme dans « La bonne blague » où chaque rime se termine par une allitération en « a ». Le R.A.P est un jeu faisant office de remède, on purge ses soucis par l’écriture.
Paco nous a raconté l’histoire de son périple, mais il n’était pas seul. Qui a dit que les cowboys solitaires n’aimaient pas la compagnie ? Les compagnons de voyages furent au nombre de quatre et pas n’importe lesquels. Le vieux loup de mer sait encore choisir ses acolytes. Les messieurs avec un grand « M » sont : Anton Serra avec qui il délire sur le fait qu’ils n’ont pas perdu la jambe pour des trentenaires ; l’Indis, dans un très beau morceau où ils évoquent ensemble l’angoisse des parents pour leur fils parti à la recherche de l’étendue du monde, il y transparaît toute la rage et l’impuissance d’un papa qui veut protéger son fils de la complexité de la vie ; le jeune gourmand Geule Blansh ; et Swift Guad avec qui il se remémore les années 90 empreintes de nostalgie.
Les beatmakers sont à féliciter aussi, ils ont su unifier les incohérences du récit : il y’a binôme Mani Deïz auteur de la moitié des productions de l’album plus ses compères des Kids of crakling : Metronom et Nizi ainsi que le gouffrier Char, Shaolin, Juliano, DJ Low Cut, Stab, Al’tarba et Itam.
Slob-design a su associer un univers visuel collant parfaitement à la peau de Paco : l’homme au chapeau gris devient Indiana Jones. Le MC n’oublie jamais de garder son « sourire disgracieux » même cerné par les hélicoptères. On espère le revoir pour d’autres péripéties, la rumeur dit qu’un PACMAN 2 est en route.
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