Milano Constantine, Harlem créature

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Dans leur forteresse, enfermés dans leur labo obscur, loin de la faiblesse et des limites des rappeurs actuels, Victor Skizz Frankenstein et Marco Igor Polo s’adonnent à un macabre travail. Découper, dépecer, racler, désosser et dénerver les cadavres des MC’s, gloires anciennes d’un art voué à mourir. Prenant sur chaque ancien immortel du mic la pièce maîtresse, ils assemblent les morceaux de ce qui sera le mc ultime à la vie éternelle, mais dans leur délire mégalomane, donnent naissance à la bête Milano Constantine.

Incapables de contenir le monstre, les deux laborantins doivent leur salut à leur création musicale que la bête prend avec lui avant de détruire un des murs de la forteresse et de s’enfoncer dans l’obscurité bitumée de la grande ville. Impuissants face à leur création, Victor et Igor ne peuvent que suivre ce monstre et admirer avec effroi le carnage microphonique à venir.

C’est sur un beat lourd et qui n’annonce rien de bon que le carnage commence. Porté par une vibe conquérante, Milano Constantine rappelle que derrière son enveloppe humaine ne se cache aucun cœur, aucune pitié. « Barbaric » vient s’écraser comme une masse sur une bande de quarantenaires en Karl Kani squattant le corner d’un deli, le sang mélangé des victimes vient éclabousser Victor Skizz Frankenstein, auteur de cette première salve.

Alertés par les cris des spectateurs de la scène, des jeunes du coin courant péniblement à cause de leur slim porté au genou arrivent sur place et comprennent aux premières notes de British Walkers que leur oraison funèbre est en cours. Facilement identifiables par leur treillis militaire rose flashy, Milano leur broie les os en deux verses tout en se faisant un collier avec les cartilages de leurs oreilles qu’il jette aux pieds de Marco Igor Polo. Montant les marches amenant aux quais du métro aérien alors que le métro entame son entrée dans la station, Victor Skizz Frankenstein imagine déjà le massacre dans cet espace confiné.

L’imaginaire du savant rejoint la réalité de la bête, Milano passe de rame en rame concassant de ses mains tout passager à la playlist douteuse sur le très paranoïaque « The Way we Were ». Instinctivement, le monstre sans âme sort du métro pour se rendre dans une crack house au coin d’Atlantic Ave et Bedford Ave maquillée en refuge pour sans-abris. Armé de son delivery, il abat sans sommation les guetteurs postés dehors avant de s’engouffrer dans le paradis des drogues chimiques pour en faire un enfer des âmes damnées, son créateur n’a plus qu’à déplorer le nombre de corps étendus dans chaque pièce au son de « Cocaina ».

S’échappant par une bouche d’égout, les deux scientifiques pensent l’avoir définitivement semé mais perçoivent une complainte, comme un appel à l’aide, c’est une bête meurtrie qu’ils découvrent en plein name dropping des rappeurs disparus et constituant toutes les parties de son corps. « Commencerait-il à comprendre l’essence même du mceeing ? » s’interroge son créateur, Victor Skizz Frankenstein. La créature reprend son périple, animé par une flamme moins sanguinaire mais toujours conquérante. Attiré par les basses, il s’enfonce dans le basement d’un immeuble de briques donnant sur une scène open mic. Balayant la concurrence de son flow, la créature plaide pour son territoire, attirant l’engouement du public et l’espoir pour Marco Igor Polo d’avoir peut-être atteint leur but, « That Feeling ». Imbibé de la fumée des blunts tournant dans le public, l’atmosphère se veut west indies sur scène. Victor Skizz Frankenstein profite de l’embellie pour le mettre en difficulté face à Conway et Big Twins sur « Rascatt » mais sa créature morte ne transpire d’aucun défaut humain.

Battue mais pas abattue, la concurrence se remet en retrait. La leçon de mceeing a-t-elle été bien comprise ? 10-4, répond Lil Fame au côté de Marco Igor Polo. Pour la créature, cet appel du pied lui donne espoir qu’il existe encore un monde où sa laideur sera effacée par ses skillz.

« Waited For So Long », Milano Constantine n’est plus la créature de ses créateurs, leurs chemins se séparent ici. L’atmosphère musicale se veut apaisée malgré le parcours ensanglanté, mais la voix ouverte par Lil Fame est trop tentante pour rester dans le monde de Victor Skizz Frankenstein et Marco Igor Polo, dans lequel il sera toujours considéré comme une créature cruelle et misérable alors que pour d’autres, il est le nouveau messie d’un art perdu.

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Thadrill
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