Damso ou la sincérité nwar de l’Ipséité

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Il l’avait annoncé. Subtilement, avec une grande maitrise des réseaux sociaux et leurs codes, à force de freestyles nocturnes et de visuels mystérieux. Il avait annoncé l’Ipséité, avec la maitrise de celui qui a quitté le statut de padawan. S’il est présenté comme le protégé de Booba, personne n’a jamais tiré ses ficelles comme un vulgaire Pinocchio, et cet album, dont le nom prône l’identité propre de celui qui est différent de tout autre, le confirme. Damso, avec ce 3ème projet, revient fort, sombre, et grandi.

Ipsiété est à l’image du premier titre, « Nwar is the new black » ; Damso y crache amertume, violence, crainte et sincérité, crache les cendres de cette Vie. Cette Vie comme une prison inondée du sang des matons et du sang des détenus. Cette Vie comme une succession de lèvres repeintes d’amour et de sperme. Cette Vie, comme un ensemble de rêves et cauchemars qu’il faut oublier dans la fumée. « J’crains plus ma vie que ma mort, j’ai perdu des gens et j’en perdrais encore », Damso délivre la parole de celui qui porte la haine, la douleur et le remord, et qui a compris qu’il faut construire avec eux, pour ne plus détruire. Sa sagesse est vulgaire, sa colère chantée, son apaisement kické, et ses doutes crachés avec une lucidité unique.

Unique, différent, et inéluctablement solitaire, Damso rappe sa désillusion, son dégout d’eux et sa crainte d’elles. Elles, l’addition « cette pute pour qui sentiments j’avais », de ces teuchas dont il s’est empoisonné et surtout de celle qui l’a fait saigner. De la souffrance est née sa vie de « salopard », et du vécu nait « Macarena », où l’évocation de la trahison sonne comme une délivrance nécessaire. Damso, fort et fier, peut « séparer la mer mais pas rassembler (leurs) coeurs », animé par le désir mais si difficilement par l’amour qu’il le rend « incontinent ».

Damso dit n’avoir « qu’un seul amour c’est la chanson », et n’être fidèle qu’à Agnes Obel, mais la mise à nu le pousse à se poser la question ; « Kietu » ? L’introspection est magnifique de sincérité envers sa Douce, à qui il voudrait pouvoir promettre, répondre ; rassurer. « Tant de questions qu’elle me pose, sur mon présent, sur mes névroses, dis moi c’que tu fais la nuit, dis moi c’qu tu fais dans la vie, dis moi si c’était vrai pour Amnésie »…

Et, à défaut de pouvoir tout dire et tout donner, Damso a mis « la vie dans son ventre, la première fois que pour bonne raison, elle mouilla ». La paternité, le rapprochant de ce paradis où il ne voyait pas sa place, pour l’éloigner de l’enfer et des vices ? Torturé, Damso a peur. « Peur d’être père » comme il avait « Peur d’être sobre ». Peur de ne pas être à la hauteur, peur qu’elle ne l’aime pas pour ce qu’il est, peur de ses vices, peur de ses addictions et peur de cette sobriété. La déclaration d’amour est rendue presque inaccessible, tant la promesse est sincère, et l’intention entière ; « Ça a pris tant de mois pour être c’que je suis et faire ce que tu seras dans six mois ».

« J’parle tout seul parce que personne sait répondre » ; dans son ipséité, Damso a créé, écarté les barreaux du monde pour se libérer, perdu la raison à cause de ses tords, tué le game et donné la vie, toujours seul, et jamais en paix. C’est sous la contrainte qu’il a baisé cette pute qu’est la destinée, et, avec elle, le monde qui est son proxénète. Inaccessible, il ne fait confiance qu’à lui même, ne « Respecte R » et ne trouve réconfort qu’ « en la personne de Luc », le padawan au sombre et puissant destin. Septique sur le fait que noire Vie puisse devenir aussi rose que chnek de tchoin, Damso préfère faire chauffer le bitume de la route du succès et avouer qu’elle ne part pas de si loin. Décomplexé, Damso lâche dès les premiers mots qu’il ne « vient pas du ghetto, ne vient pas de cité », qu’à la bourgeoisie il a goûté, pour évoquer ensuite les difficultés, la pauvreté et la maladie de celle qui l’a vu grandir et qu’il voit mourir. Après être tombé, il s’est relevé, et a couru puisque ça ne pouvait pas marcher.

Damso a donc couru vers la célébrité, suivi les pas du « coach Elie », tout en se démarquant ; Ipséité. Avec « Signaler » il rappelle « Validée », tout en apprenant des erreurs du maître ratpi ; « crie pas je suis sur écoute », ce ne sera pas une femme qui le fera tomber. Il a couru vers la célébrité, sans perdre de sa lucidité ni de ce nihilisme caractéristique. « Le diable se cache derrière l’artistique, pour l’milieu d’la musique, j’étais pas prêt » ; et pourtant, Dems continue de courir.

Les tracks passent donc, ne se ressemblent pas, et surtout se libèrent, peu à peu. Les instrus se diversifient, et la prise de risque avec elles. Avec « Signaler » il ose le reggaetón, avec « Kin la belle », s’offre l’ode à Kinshasa qu’il paraissait attendre depuis « Graine De Sablier », le morceau africain pour exprimer doutes, pleurs et sang sacrifié. Une prise de risque croissante, jusqu’au dernier morceau, presque alternatif, dans lequel il se perd dans son ivresse et dans sa folie, dans lequel la mise à nu est telle que même sa peau est arrachée.

« Une âme pour deux », torturé et risqué, répond à « Nwar Is The New Black », mais surtout, pose avec finesse et malice des questions sans réponses. Ipséité se termine sur les propos d’un « black habillé en blanc » : « Je suis content de dire que votre flow Monsieur Dems, vous a sauvé la vie. Je vous garde encore une petite semaine afin d’effectuer quelques analyses en plus. Je vous ai prescrit en attendant la Mixtape 4 de Damso et Jackpot du groupe OPG. Je vous revoie dans quelques heures. Reposez-vous, à tout à l’heure ».

Damso, sourire moqueur aux lèvres, fait languir, laisse planer les éventualités ; que la fuite de l’album 5 jours en avance, soit intentionnelle, qu’il pourrait compléter cet alphabet par ses 10 lettres restantes, qu’il le fasse dans un quatrième projet, ou qu’il sorte un projet avec son groupe OPG. Roi de la communication, Monsieur Dems est capable de tout et il faudra sûrement attendre vendredi 28 avril pour confirmer ou non les hypothèses qui se murmurent dans les couloirs. En attendant, plusieurs certitudes demeurent. Avec Ipséité, Damso rappe sa différence, chante son unique vérité et assume son évolution avec maîtrise. Bien que le nihilisme ne l’ait pas quitté, il s’affranchit dans la sincérité et s’accomplit dans une libération progressive qui laisse présager quelque chose d’encore plus fort et encore plus nwar pour la suite. Efficace sans précipitation, il a construit son chemin, pierre par pierre, et ce depuis Batterie Faible. Et à ceux qui trouvent cette évolution étrange ou décevante, Damso donnait déjà une réponse dans « BruxellesVie » : « Si t’aimes pas c’est que j’rappe c’que tu n’vis pas ».

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Maëlle

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