Action Bronson, LSD Soul Food : Retour sur Mr Wonderful

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Peu sont les artistes capables d’asseoir complètement leur univers avec autant de facilité que l’a fait en 5 ans Action Bronson. Sorti en quelque sorte de nulle part, Action Bronson a su cuisiner un univers autour de sa propre personne sans chercher une street credibility dont il n’a, au fond, strictement rien à foutre. La recette Bronsolino, on ne la trouve ni dans les livres des grands cuistots, ni dans les sites de fooding, elle est juste le résultat de tout ce qui se trouve sous la main du gros roux avec ses excès et ses carences. Le 23 mars dernier sortait son troisième livre de cuisine musicale avec derrière, un deal signé avec la major Warner Bros. Un contrat qui pouvait annoncer le mauvais présage d’une rentrée dans les rangs, fini la tambouille délurée et bonjour à la standardisation histoire d’être orienté plus « grand public ».

Retour au début de l’année 2011, Action Bronson n’est encore personne dans le monde du rap quand il se retrouve entre les mains de l’excentrique J-Love, MC,  producteur, plus gros dealer de mixtape de NYC et accessoirement roi des pochettes de disques les plus pétées du rap game. Sûrement introduit par Meyhem LaurenAction Bronson va faire ses premières armes autour de futurs newcomers à gros potentiels dont Meyhem mais aussi AG Da CoronerMaffew RagazinoTimeless TruthStarvin B et Shaz Illyork, le tout chapeauté de prêt par un J-Love en retour de grâce. De cette expérience underground sortira des fourneaux son premier starter en format mixtape Bon Appetit …. Bitch aussi dégueulasse qu’un bucket menu chez KFC.

Malgré le viol auditif, il était clair que le Bronson avait une capacité à s’installer durablement dans le paysage underground, un flow très proche de celui Ghostface Killah, des lyrics qui jonglent entre stars de sports et bouffe, et une capacité fascinante à cultiver l’image d’un gros roux en roue libre. Mais voilà, Action Bronson n’en a jamais eu rien à carrer de notre sacro-saint paysage underground, sa motivation première se résumait à faire de la musique comme bon lui semblait, et surtout sans se préoccuper de ce que les gens attendaient. De là, exit J-Love et bonjour à tous les producteurs de saveurs capables de relever ou pas ses plats microphoniques : Tommy Mas et Harry Fraud (Dr Lecter), Party Supplies (Blue Chips), The Alchemist (Rare Chandeliers) ou encore Statik Selektah (Well Done). 5 années de joyeux bordel où Action Bronson s’est mis au fourneau du rap US à toutes les sauces, réalisant des plats aussi savoureux qu’indigestes distribués partout dans le monde lors de ces différentes tournées de concerts. 5 ans au final où Action Bronson a su entretenir son image sans limite, de quoi faire savourer les majors face à ce packaging tout inclus. Dans cette course aux gros gibiers, c’est donc la Warner qui a visé dans le mille en ramenant la bête dans son écurie…

On pensait même la bête friable et sa chair attendrie à l’écoute de Saaab Story, l’EP collaboratif avec Harry Fraud qui servait d’introduction aux deals d’avec Warner. 25 minutes de musiques chiantes avec un MC en marche arrière nous lâchant pour la millième fois les mêmes textes sur la bouffe mais avec un manque d’inspiration très critique. Ça sentait donc très fortement le renfermé dans les cuisines de WB et l’arrivée de Mr Wonderful pouvait faire craindre le pire. Mais voilà, dans les cuisines, il n’y a qu’un seul chef, et son nom est Action Bronson.

On se demande bien la gueule qu’on du tirer les pontes de la WB à la présentation de la carte des plats que contient Mr Wonderful, car s’ils pensaient se retrouver avec une carte grand public, c’est mission ratée. Mr Wonderful est clairement le genre de menu capable de passer du met voluptueux à la cuisine de grand-mère bien grasse, une liste de plats sans queue ni tête qui doit surement faire regretter au major d’avoir laissé la production exécutive à Action Bronson. Seul aux manettes de la cuisine, Bronson livre avec Mr Wonderful cinq ans de carrière condensé avec toujours ce juste équilibre entre les barquettes premier prix et des ingrédients de première saveur. Histoire quand même de ne pas tomber dans le piège du serpent qui se mord la queue, Action Bronson a eu la formidable idée de saupoudrer l’ensemble de ses plats avec du LSD. Ingrédient plutôt rare en cuisine, mais qui pour le coup donne tout le sens à la créativité d’Action Bronson. On ne saura jamais à quel niveau de défonce Action et son équipe se sont retrouvés pour aboutir à cet album, mais il est sûr qu’à un moment donné, le Bronson avait comme fixation de se refaire un trip gustatif version Woodstock avec agent chimique. Résultat, un album qui ne laisse aucune chance à se retrouver avec des morceaux calibrés radio, et surtout l’assurance de sortir un projet aussi bien encensé que critiqué, de quoi s’alimenter tout seul pour marquer de façon durable les esprits.

Habituellement les effets du LSD apparaissent 30 à 60 minutes après consommation, avec la recette d’Action Bronson et l’aide de Mark Ronson, son effet est immédiat dès les premières notes de Brand New Car, on n’a même pas commencé l’écoute que l’on perd directement Action Bronson dans son délire, un peu comme un gosse qui vient d’avoir un nouveau jouet et qui veut remettre en question les lois de la gravité. On retrouve cet espèce d’instinct d’autodestruction qui se traduit par des rides musicales en solitaire comme Baby Blue et son côté codéino-romantique et bien sur Easy Rider et sa boucle psyché toute droit sortie du répertoire rock turc des années 70. De là à directement prendre la tangente, il n’y a qu’un pas, mais la tradition reste la tradition et avec Action Bronson cela se traduit par son lot de sons incompréhensibles, son lot de daubes mais aussi son lot de petites perles.

Pour cette dernière catégorie, on ne parle pas de magret de canard cuit par hydro-synthèse, mais bien de côte de bœuf et ses frites maison accompagnement guacamole et houmous. Il manque clairement à l’album un vrai morceau solide, même si par son aspect décalé Easy Rider pouvait faire l’affaire. On se contentera donc de sons de substitution comme le très conventionnel The RisingTerry (surtout pour cet OVNI de AlchemistActin Crazy (un son à la Drake sans Drake, donc meilleur), City Boys Blues clairement dans l’hommage Woodstock et enfin A Light In The Addict qui par son calme ouvre plus à l’introspection (ou pas) :  »Dawg, what the fuck is with your mother ?  / She got one leg longer than the other / One eye through the shutter / Made the transition from weed to butter / Like spring to summer«

Le reste de la tracklist n’est qu’une question de goût, sachant que selon l’assaisonnement, on y trouvera à boire et à manger sans pouvoir espérer l’unanimité. Bronson voulait synthétiser ses 5 ans de rap en un album tout en y amenant une touche supplémentaire à sa folie, le pari est plutôt bien tenu mais en axant une partie de la production sur Party Supplies il se tire aussi une balle dans le pied, laissant de côté le rap dans sa version plus classique. L’ajout de Mark Ronson n’a au final aucune réelle pertinence, puisque que ce soit sur Brand New Car ou sur Baby Blue, on effleure un côté plus pop sans y aller pleinement, c’est détonnant sur le moment, mais sur la longueur l’effet de surprise laisse place à la lassitude. On restera tout de même frustré de ne pas trouver Harry Fraud dans les parages, surtout après la déception de Saaab Music, on sait que les deux sont capables de bien mieux.

Attendre d’Action Bronson une formule entrée, plat, dessert sans fautes de goût est assez utopique, et Mr Wonderful n’en fait pas exception. Pour autant, l’album est à l’image du personnage et contentera ceux qui le suivent depuis 5 ans dans ses trips musico-gastronomiques. Entre un album aseptisé de Joey Bada$$ et un album musicalement très technique mais sans groove d’un Kendrick Lamar, le Mr Wonderful d’Action Bronson a la particularité de ne pas chercher à péter plus haut que son cul, et au fond ça fait du bien.

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