Pour ceux qui ne le savaient pas encore, le « sampling » ou l’échantillonnage est une activité courante et bien ancrée dans les fondements de la culture hip-hop par la reprise d’un extrait musical, réutilisé souvent en boucle, dans une nouvelle composition musicale. Faire du nouveau avec du vieux, d’où la bien pertinente « quote » du rappeur/DJ américain et pionnier de cette culture, Grandmaster Caz, dans le documentaire Something from Nothing : The Art of Rap (2012) :
« Hip–hop didn’t invent anything.
Hip–hop reinvented everything ».
Cette phrase en dit long et sous-tend cette caractéristique primordiale de tout bon producteur qui se respecte, soit qu’il est un amoureux de la musique. Alors que les ghettos new-yorkais vivaient de misère, faute de ressources, les producteurs américains vivaient celle-ci d’amour et d’eau fraîche, sans argent, mais avides de création. Obnibulés par la musique noire américaine et s’inscrivant dans la continuité de celle-ci, les producteurs vont poursuivre l’ingénieux travail de DJ Kool Herc, le créateur du breakbeat, du début des années 1970, et creuserons dans le jazz, la soul et le funk afin de créer leur propre sonorité hip-hop via leurs choix de samples. Cette pratique a bien évidemment évolué et s’est popularisée, pour se traduire en la recherche de samples inutilisés par d’autres artistes du même genre. Toutefois, leur meilleur ami, leur référent ; WhoSampled, ce site internet et base de données présentant à ses utilisateurs-participants les différents samples déjà utilisés en les comparant toujours avec la version originale, n’a vu le jour qu’en 2008 à Londres. L’Internet n’étant pas à l’époque ce qu’il est aujourd’hui, ce manque a certainement dû contribuer à la reprise, sans le savoir, de mêmes samples, parfois de la même manière, à quelques différences près.
C’est dans cet optique que ReapHit te fait découvrir aujourd’hui un sample utilisé par rien de moins que cinq groupes américains de rap underground. Des titres sortis chronologiquement, à une année d’intervalle pendant cinq ans, de 2002 à 2006.
SHAWN PHILLIPS – THE BALLAD OF CASEY DEISS
Retournons 45 ans en arrière pour y ressortir l’un des plus grands succès de l’auteur-compositeur-interprète et guitariste, Shawn Phillips : The Ballad Of Casey Deiss. Le toujours vivant musicien de folk-rock, reconnu pour son registre vocal de plus de quatre octaves, a définitivement séduit nos quatre producteurs rap avec cette mélodie lente et enivrante dès les premières secondes de la version originale, ce même pincement de cordes continuel à la sonorité aiguë, efficace et simple à échantillonner en boucle. Ce genre d’assonance prise entre deux chaises, entre mélancolie et espoir.
PLAYDOUGH – YOU WILL LISTEN (2002)
Un des nombreux membres en règle du super groupe Deepspace5 et du duo Ill Harmonics durant les années 2000, le texan Playdough ou Play-Doh, sorti de l’ombre en solo avec cet affirmatif You Will Listen, l’intro de son tout premier album Lonely Superstar. C’est par sa voix nasillarde et l’effet d’écho ajouté à celle-ci que le rappeur se vit poser les bases de son rap chrétien sur un copier-coller de la fameuse boucle acoustique de Shawn Phillips. Ligne de basse synchronisée au rythme de la boucle, l’ajout subtil d’un cinq notes aigu de guitare électrique vers la fin de chaque mesure, un « kick snare hi hat » classique, le « Ballad Of Casey Deiss » venait de subir sa toute première métamorphose. Il n’y a pas de doute, cette mélodie inspirait déjà ceux qui voulaient passer un message d’intérêt, jouant dans la croyance et la spiritualité.
CYNE – FIRST PERSON (2003)
Le groupe floridien Cyne (Cultivating Your New Experience) et son harmonieux First Person tiré de leur premier album Time Being en 2003, est une autre preuve que la boucle The Ballad Of Casey Deiss soit une incontournable afin de poser des textes positifs, aux références politiques, religieuses, philosophiques, remplies d’espoir. Inspiré des œuvres du grand philosophe du siècle des Lumières, Jean-Jacques Rousseau, le quatuor Cyne motivait ses auditeurs, à la fin d’un morceau à la boucle accélérée et alimentée par l’ajout de deux échantillons (ligne de xylophone et chant mélancolique) tirés de la version originale, par une phrase expliquant tout le sens du morceau : « Educated gifted minds shine throughout the ignorance, we thirsty. ».
THE LOYALISTS – WASH (2004)
L’année suivante, dans la Bay Area de San Francisco, un jeune trio réitéra ; The Loyalists, formé d’emcee Framework, le DJ/producteur E-Train et l’emcee/producteur Touch Phonic. Ces derniers auront connu un premier succès mitigé dans ce petit monde peu médiatisé du rap underground de l’époque, avec un premier album maitrisant les rythmes et les refrains accrocheurs guidés par un rap inspiré du golden era, ce skeud portant bien son nom : Moodswing. The Loyalists se sont, à leur tour, laissés emporter par ce tourbillon, cette fameuse boucle de Shawn Phillips avec le très propre titre Wash. Les détails simplistes ajoutés à la fameuse boucle, discrètement accélérée pour l’occasion, jouaient dans l’efficacité avec ses roulements de tambour, cette sonorité de distorsion synthétique vers la fin du sample, qui faisaient tous deux croisière avec cette empilade de métaphores alliant introspection et monde aquatique :
« All hands on deck in the fishbowl / Knowing it’s always staying wet in the fishbowl / There’s decisions which aren’t kept in the fishbowl / The fishbowl of thinking wishful »
THE CHICHARONES – BREAKING POINT (2005)
Le point tournant, c’est définitivement cette reprise reproduisant l’ambiance globale (boucle incluse) du morceau The Ballad Of Casey Deiss sur le tout premier album studio du duo américano-canadien The Chicharones formé de Josh Martinez d’Halifax, fondateur du label Camobear Records, et de Sleep de Portland, l’un des membres fondateurs du super collectif à 20 têtes; l’Oldominion Crew. Fait étonnant; le duo a fait tabac seulement cinq ans après la sortie de When Pigs Fly en 2005 grâce au titre Little By Little, courtisé à paraître sur la bande sonore du jeu vidéo NBA 2k11 de 2K Games, le titre « Breaking Point » pour sa part, produit par Earthfire music et Vertigo, frappait fort avec sa formule adaptée à un public plus large. Ajout d’une sonorité constante de distorsion de guitare en arrière-plan, sifflements, des percussions de batterie en intermittence, tous ces éléments savaient alimenter avec succès le chanté copieux de la version originale de Shawn Phillips. L’alternance mélodique entre le rap, les phases et les refrains chantées, dans un registre pop risqué pour un groupe indépendant de rap underground. Sleep et Josh Martinez ont toutefois visé juste, se permettant même d’imager ce « point tournant », mettant en scène ce cowboy pressé de son propre gré, en cette journée, par l’examen introspectif de ses accomplissements de vie, où les questionnements ne cessent de se succéder : « I don’t know all of the details of the day / But I felt that it wouldn’t be wrong to bow my head and pray »
CUNNINLYNGUISTS – REMEMBER ME (ABSTRACT/REALITY) (2006)
Cinq ans après la sortie d’un des grands classiques du rap underground américain ; Will Rap For Food, les linguistes rusés du Kentucky nous avait offert un troisième et solide opus A Piece Of Strange, un album aux samples très variés dans les genres, comportant cette reprise instrumentale gracieuseté Kno de la fameuse boucle de Shawn Phillips. On pouvait y entendre dès les premières secondes ce délire imaginaire : « The abstract has become the reality »
Le tout alimenté par les percussions et cette ligne de xylophone reprise de sa version originale, cette juxtaposition des deux samples « flippés » de la même manière que la version de Cyne avec leur First Person présenté ci-haut.
Il n’y a pas de doute, The Ballad Of Casey Deiss inspirait. La mélancolie, l’espoir, le pessimisme, la positivité, la spiritualité, la religion, la croyance, le politique, la philosophie, l’introspection, la remise en question ; c’est cette averse de thématiques prouvant, année après année par son évolution, que la boucle enivrante de Shawn Phillips a définitivement su mettre à profit et motiver la jeune créativité de ces rappeurs et producteurs revendiquant un rap consciencieux, guidant leurs premiers pas dans l’industrie du rap underground américain.
Enfin, petit bonus avec ce remix de 2010 par Bolo du morceau Lumiere des américains Blue Scholars.
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