Pur produit des Antilles des 90′s chez RedZone au coté de Lyricson, c’est en 2002 que la métropole le découvre avec « Ils préfèrent nous dire fous » sorti sur le label de Jmdee et « Hip-Hop Citoyen » le projet de Princess Aniès. Retour de Maj Trafyk en 2014 sur son propre label Indigenius Musik avec Petite Prophétie, album de 10 titres où se côtoient boom-bap efficace et trap musicale, rap street et vie de famille. Récit.
ReapHit : On va commencer en toute logique sur tes débuts dans le rap. Tu arrives dans le hip-hop par le tag, et tu te retrouves très vite à rapper, animer une émission de radio, et gérer un label…. Tu nous refait une rapide chronologie ?
Maj Trafyk : En réalité, j’ai, avant tout, eu un coup de foudre pour le rap en 1988, alors que je n’avais que 12 ans, en écoutant l’album Straight Outta Compton de N.W.A que j’avais sur cassette. Le format CD venait de naître à l’époque et je me le suis procuré quelques temps après. Par la suite, j’ai découvert la culture hip-hop et toutes ses disciplines grâce à mon ami d’enfance Xavier Dollin (Xavibes), qui est d’ailleurs le concepteur de la cover Petite Prophétie. Lui baignait déjà dans le délire et m’a initié au tag, au graff, à la danse, mais je me suis rapidement consacré exclusivement à la plume.
Le jour où j’ai rappé mon premier texte, j’ai vu dans les yeux de mes potes que j’étais fait pour ça. On habitait dans un quartier de Guadeloupe, Bazin, aux Abymes, et le fils d’un animateur de la radio du coin qui avait notre âge, nous a invité à prendre le micro en direct dans l’émission de son daron. J’ai eu le frisson de ma life et tout le monde avait l’air réceptif.
C’est à ce moment là qu’on nous a proposé une émission hebdomadaire de 3 heures tous les samedis de 1989 à 1991. J’écrivais un texte chaque semaine que je rappais en direct à la radio, avec Xavier qui était aux platines. Ensuite l’émission s’est développée et quand on invitait des artistes, c’est moi qui faisait office d’animateur. Depuis cette époque, je n’ai plus jamais arrêté le rap. Le beatmaking et le chant sont arrivés après…
Pour ce qui est de la création de mon propre label, c’est arrivé beaucoup plus tard, en 2005, après moult expériences via des structures qui n’étaient pas les miennes. J’ai eu besoin à un moment de décider seul de ma direction artistique.
Pourquoi avoir pris toutes ces casquettes ? Le besoin de toucher à tout ? Par pur activisme ou par nécessité ?
J’ai toujours fonctionné par passion. Rien n’était calculé, avoir effleuré plusieurs disciplines se justifie par le fait qu’étant très jeune, je me cherchais artistiquement.
Tu as donc fait tes premières armes à deux pas des États-Unis dans une influence jamaïcaine. Tu cites souvent Redman, Mobb Deep, Heltah Skeltah, comme étant tes références. J’imagine donc que le rap français n’est pas ton premier amour. Comment es-tu venu au genre ?
Effectivement, aux Antilles, étant géographiquement proches des States et de la Jamaïque, on a une certaine ouverture musicale qui ne peut qu’enrichir notre créativité, c’est une putain de chance. En ce qui concerne mes références il y a évidement Mobb Deep, Heltah Skeltah, O.D.B, Cypress Hill entre autres, mais Assassin et NTM ont été des groupes très importants dans les débuts de ma construction artistique. J’estime que tous les MC’s français de cette génération sont comme des grand frères. Je fais partie pour ma part de la deuxième vague.
J’ai été récemment invité par Rockin’Squat sur « L’underground s’exprime 7″ , et je peux te dire que les mecs de ma génération et moi-même, sommes extrêmement conscient du symbole et de l’honneur que cela représente. J’ai assisté à toute l’histoire du rap français, et je te certifie que Squat est chronologiquement le tout premier punchliner de France.
« Quand je suis arrivé sur Paris en 2001, j’avais déjà un background de 10 ans dans le rap. Et le choix de rapper en créole ou en français. »
Chez Red Zone tu étais déjà aux cotés de Lyricson que l’on retrouve sur ton album, toujours là 15 ans après, et régulièrement en feat. à tes cotés depuis. Tu nous parles de cette rencontre et de cette filiation musicale entre vous ?
De mon point de vue, Lyricson a été artistiquement touché par la grâce. Il s’est vraiment passé quelque chose dans son évolution à laquelle j’ai eu la chance d’assister. Il est le seul artiste de mon entourage qui possède clairement un potentiel international. C’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’affection et que je considère comme un petit frère, étant un peu plus vieux que lui.
Il nous a rejoint sur le 2ème volet des compiles Redzone en 1998. Il a été repéré par LLD, notre producteur de l’époque. On a vécu pas mal de choses avec mon groupe Crise En Thèmes et toute cette équipe, ce qui fait que je nous estime liés à vie. En bref, Lyricson c’est la famille proche.
En 2001, tu décides de t’installer en métropole, et après quelques contacts fructueux et une apparition sur Hip-Hop Citoyens, tu lances ta carrière solo. Comment appréhendes-tu le marché français après 25 ans de carrière en Guadeloupe ? Pour toi c’est une continuité logique, ou tout est à refaire ?
Quand je suis arrivé sur Paris en 2001, j’avais déjà un background de 10 ans dans le rap. En tant que Guadeloupéen, j’avais le choix de rapper en créole ou en français. J’ai privilégié un travail intensif sur l’écriture de textes en français, tout simplement parce que je visais depuis le début le marché hexagonal.
Je connaissais déjà Jmdee que j’avais rencontré en 1999 en posant sur sa mixtape Illegal Mix, lors d’un court passage sur Paris. Alors quand j’ai débarqué 2 ans après de façon définitive, j’ai repris contact avec lui et on a bossé ensemble via son label Gaz Dem All. En 2002, on a sorti mon premier EP solo Symétikman et s’en sont suivis quelques apparitions ça et là. Je suis en quelque sorte reparti de zéro, mais avec le bénéfice des expériences passées.
Niveau voix, tu es passé d’une voix très aigüe, époque Red Zone à la voix grave de « Bonhomme de neige 2.0 » comment s’est faite cette évolution et pourquoi ? Ton « personnage » est d’ailleurs de plus en plus sombre au fil des albums.
Mon univers est sombre et mélodieux depuis le début. Lorsque de temps en temps je dévie un peu de cette direction, ça me demande un petit effort. Je le fais volontiers, car j’en ai la capacité technique et que je suis relativement ouvert musicalement. Donc je ne dirais pas que je suis de plus en plus sombre car si tu regardes bien, je l’étais en 1998 sur Redzone (Eclipse Totale), puis en 2002 sur Symétrikman l’EP je l’étais moins, ensuite en 2007 avec Chrysalide le LP c’était quasi le darkness total, puis en 2012 sur ma mixtape Sphinx tu pouvais trouver du sombre et du plus lumineux, même chose sur Petite Prophétie… En fait la courbe de la sombritude est plutôt assez aléatoire chez moi.
En revanche, c’est un fait avéré, ma voix est petit à petit descendue dans les graves avec le temps. Comme je le dit dans mon titre « La p’tite case dans l’zion », j’passe du grave de Doudou Masta à l’aigu du castrat. Alors, bien sûr, la métaphore est exagérée, mais c’est révélateur de ce libre choix artistique que je m’accorde, comme un chanteur qui décide d’adapter sa voix à l’univers de la musique sur laquelle il va chanter. J’ai du mal avec la routine, alors j’essaie de varier les plaisirs.
« Avec Nakk, on est de la même génération 1976, on rappe toujours, on est sensibles aux belles plumes et à part nos enfants, tout le reste est secondaire. »
C’est aussi à cette période que tu poses avec Joe Lucazz sur le Street Minimum de Nakk sur le très bon « J’crois pas en l’homme ». Comment se créer l’opportunité et la rencontre avec Nakk ? De là nait une affinité musicale de longue date, on le retrouve d’ailleurs sur Petite Prophétie.
En 2003, je bossais encore avec Jmdee dans son studio qui se trouvait dans un immeuble à Stains. Juste au dessus de nous, il y avait le studio de mes frangins du groupe Béton Armé. C’est Las Lémir, un autre frère qui faisait partie de leur équipe, qui a ramené Nakk dans les locaux. Ils étaient à l’école ensemble à Bobigny je crois. Je n’étais pas présent ce jour là, mais lui a semble-t-il écouté ce que je faisais, et avait adhéré.
C’est seulement 2 ans après qu’on s’est rencontré chez Las qui, en plus d’être rappeur, produisait des beats à l’époque. Nakk et moi avons chacun pris une instru, la sienne a donné « Chanson triste ». Un an plus tard on s’est mutuellement invités sur nos projets, Street Minimum et Chrysalide, sur les titres « J’crois pas en l’homme » et « Salaire d’ministres ». Le jour de l’enregistrement du premier morceau, j’ai fait la connaissance de Joe dont j’ai bien apprécié le délire aussi.
J’ai récemment rappelé Nakk sur Petite Prophétie, parce que je l’apprécie humainement et artistiquement. Lui et moi avons au moins 4 points en commun. On est de la même génération 1976, on rappe toujours, on est sensibles aux belles plumes et à part nos enfants, tout le reste est secondaire.
Tes projets sont assez espacés dans le temps. Si l’on met de côté les mixtapes et apparitions : 3 albums en 13 ans. C’est ton rythme d’écriture qui t’impose cela, ou le format album qui mérite d’être un projet plus mûr ?
Il faut 9 mois de gestation avant qu’un enfant naisse en bonne santé. Dans ma vision des choses, ce laps de temps est à peu prêt la période idéale nécessaire si tu souhaites vraiment livrer un album abouti. Un projet d’album, c’est de l’amour, du temps et de l’argent. Exactement ce que je donne à mes enfants depuis ces dernières années. C’est un début d’explication. Ces dernières années, concevoir un album n’était plus la priorité dans ma vie.
Après, il est clair que je me prends la tête quand j’écris, mais ça ne dure pas trois plombes non plus. Il faut savoir que quand tu es indépendant, autoproduit, tout marche dans le sens que tu veux, mais au ralenti. Après, si tu es blindé, tu gagnes beaucoup de temps. J’aurais pu l’être mais par le biais de l’illicite. Ce n’est pas un exemple que je souhaite donner à ma descendance, donc je prends mon mal en patience et n’emprunte pas les raccourcis…
« Concernant la direction de Petite Prophétie, elle s’est organisée au gré de ma volonté seule. Also me donnait son avis, mais ne m’imposait rien. »
Tu as sorti « Petite Prophétie » sur ton propre label, Indigenius Muzik. Tu nous parles du projet, il s’agit simplement de te produire toi, ou tu penses à l’avenir intégrer d’autres artistes sous cette bannière ?
J’ai commencé à concevoir le projet de label Indigenius Muzik en 2005, en ayant en tête d’y sortir mes albums, mais aussi de produire d’autres artistes. Je suis toujours dans cette optique et ai commencé à réellement apprendre le métier en 2007 avec la sortie de mon premier album solo Chrysalide. Pour l’instant je ne prends pas la responsabilité de rechercher activement d’éventuels talents à produire, car ma propre carrière est toujours en plein développement malgré mon ancienneté dans le milieu. Mais l’histoire ne fait que commencer, et j’ai beaucoup d’ambition dans le futur pour Indigenius Muzik.
La majorité des titres ont été produits par Alsoprodby, le producteur du Saïan, et beatmaker attitré. Tu peux nous parler de vos collaborations et de votre mode de fonctionnement ?
Notre collaboration avec Also est assez récente en fait. C’est Nkodem (créateur de la BD Manioka) qui nous a mis en relation sur la bande sonore vinyle de Manioka 2. J’ai enregistré la version initiale du titre Syndrome du phœnix à cette occasion sur la prod d’Also. Nous avons chacun apprécié ce que l’autre faisait, et avons décidé de bosser un projet ensemble. Notre mode opératoire s’est construit naturellement au fil des morceaux. Je sélectionnais des instrus, j’écrivais sur les sélections et après l’enregistrement des maquettes, Also faisait des arrangements supplémentaires sur les beats avec ma voix. Par la suite le tout est parti au mixage avec Etienne Colin qui bosse régulièrement avec Also.
Avoir un beatmaker unique sur l’ensemble de l’album (à l’exception de Mona Lisa, Pon the top et Bonhomme de Neige 2.0) permet de gagner en cohérence sur le projet ? Ses prods « dansantes » contrebalancent fortement avec la voix grave et l’univers qui se dégage de tes textes.
L’un des plus grands kiffs pour moi en tant qu’artiste est d’essayer de ramener un truc, une patte qui m’appartient. J’ai trouvé qu’Also apportait une originalité musicale que j’ai cherché à concilier avec ma voix et mes lyrics. Je suis sans cesse dans un laboratoire à chercher, à tester. C’est ma façon d’appréhender la musique. J’ai besoin d’explorer de nouveaux concepts, ça peut parfois donner des trucs bizarres, mais avec un savant mélange de chance et de science, ça peut être génial. Donc oui, j’ai voulu une cohérence dans ce projet à l’inverse du précédent « Sphinx tête de mort mixtape », qui artistiquement partait dans tous les sens.
Je crois savoir que tu as enregistré l’album au studio d’Eben, là encore un ami de longue date. Comment s’est déroulé l’enregistrement ? A-t-il eu son mot à dire sur le projet ? Un rôle de directeur artistique en quelque sorte ?
En réalité, j’ai enregistré Petite Prophétie au studio Blaxound avec Jonathan Fourel. Le travail que j’ai effectué avec Eben ne concerne pas cet album. Je prépare tout autre chose avec lui qui n’a pas encore vu le jour, mais qui ne saurait tarder.
Concernant la direction de Petite Prophétie, elle s’est organisée au gré de ma volonté seule. Also me donnait son avis, mais ne m’imposait rien. On a vraiment bossé en toute intelligence, transparence et respect.
« Je fais de la musique qui me parle à moi, et je me dit que qui aimera suivra. Je pense que l’essentiel est qu’il se passe un truc dans un morceau. »
Tu as fait mixer « Bonhomme de neige 2.0 » par Fred Dudouet. Pourquoi un seul titre, la raison est financière on s’en doute, mais alors pourquoi CE titre ? Qu’est-ce que son expérience a apporté au titre ?
Ça fait un moment que j’avais en tête de collaborer avec Fred. Je l’ai d’abord sollicité pour une prod juste après la sortie digitale de Petite Prophétie en 2013. Mais à ce moment là, il mixait plus qu’il ne produisait. Donc connaissant ses qualités d’ingé son, j’ai eu l’idée de lui confier le mix du titre inédit « Bonhomme 2.0 Neige », que j’avais enregistré dans des conditions plus modestes que le reste de l’album. Il me fallait donc un magicien. Je confirme qu’il en est un, car il a su relever le bordel avec maestria.
Je précise que l’on retrouve le titre Bonhomme 2.0 Neige dans l’album digital, mais uniquement dans sa version CD. Il est disponible en téléchargement légal mais en single.
On retrouve pas mal de sonorités reggae/ragga dans ton album, comme on en trouvait beaucoup il y a 15 ans avec un mélange des styles et des écoles. Aujourd’hui, le rap est de plus en plus cloisonné en sous-genres bien distincts. Tu penses que ce genre de sonorités a encore leur public dans le hip-hop ?
Les influences reggae/ragga que tu perçois dans certains sons de l’album n’étaient pas du tout dans mes critères de choix des beats. Je choisis toujours l’instru pour son univers global avant tout.
En fait, j’essaie toujours de faire de la musique intemporelle, donc je ne me préoccupe pas tellement des styles de rap « à la mode » ou genre du moment. Je suis aussi bien à l’aise sur boom-bap ou trap, mais quand je prépare un album, j’ai une vision qui va au delà de ces considérations. Je fais de la musique qui me parle déjà à moi, et je me dit que qui aimera suivra. Après, je pense que l’essentiel est de faire en sorte qu’il se passe quelque chose dans un morceau. La mission est de faire les meilleurs sons possibles, et des bons sons, il y en a dans tous les styles.
Quelque chose à ajouter ?
Je vous remercie, ReapHit, ainsi que tous ceux qui mettent la lumière sur mon travail. J’ai fait mon temps dans l’ombre. Merci à ceux qui ont acheté mon dernier album, à ceux qui l’achèteront. Je n’ai pas fini de défendre Petite Prophétie, d’autres clips de titres issus du LP arrivent et je prépare déjà le projet suivant. Restez connectés.
Petite Prophétie disponible à l’écoute et à l’achat digital et physique sur le Bandcamp de Maj Trafyk et sur IndigéniusMusik.com
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