A 36 ans, Seth Gueko vient de sortir Barlou, son 5ème album.
Il a bien changé après tant d’années, le Seth. Celui que l’on a découvert en survêt jaune, les patates au fond du sac, a quitté les champs de caravanes du Val d’Oise pour les contrées ensoleillées de Pukhet, il y a déjà quelques années. La joncquaille en or à coups de rimes à fructifier et les petits recels de la casse-auto ont laissé place aux tiroirs-caisse des bars à hôtesses. Transition étonnante, mainte fois évoquée et partout commentée, jusque dans les textes mêmes du bonhomme.
Car à travers ses cinq albums, Nico n’a cessé de faire évoluer son personnage et réussit pour ne jamais se répéter, à se réinventer. Du manouche de Snatch à Charles Bronson, en passant par Jacques Mesrine ou l’iconique Dodo la Saumure, les alter-ego s’enchaînent et lui marquent la peau. Charbon sous l’épiderme. Créant l’un des personnages les plus homogènes et cohérents du game.
A 36 ans, et pour son cinquième album, Gueko ralentit le temps et pose le rythme, revendiquant à sa manière un retour aux racines où partout la Jack Mess éducation transpire. Le vocabulaire est argotique, l’OG s’accorde entre les lignes quelques pincées de nostalgie. Des rues de St-Ouen-L’Aumône à l’université Néochrome, les dédicaces s’entremêlent et les titres s’enchaînent.
« C’est le retour du titi parisien, pas du kéké marseillais ». Par extension, on pourrait rajouter du tenancier thaïlandais. Car de son éden, il en est revenu. Les nuits thaïlandaises et leurs excès l’ont abîmé et l’homme à arrêté de boire. Nico vieillit, change, se pose davantage et réfléchis, même avec les petits devant Gulli. Spiritualité et amour des siens, quelques lignes politiques et une dimension de lutte sociale plus affirmée, donne au personnage de Seth Gueko un nouveau souffle et apporte une nouvelle imagerie. L’utilisation de l’esthétique de Charles Bronson pour la cover du projet y est à ce titre intéressant, le britannique pouvant être vu à la fois comme la personnification d’un enfermement – dans le personnage de Gueko, à travers ses tatouages et son vécu – et comme celle de la rédemption par l’art et l’écriture – le prisonnier ayant occupé une bonne partie de sa vie à écrire de la poésie.
Loin du forain, Gueko est chef de gang aujourd’hui. Assis sur sa légende, mais plus que jamais dans la course. Désormais prompt aux carnages méthodiques et soignés, plus qu’au « coup de sang où on descend à 100 ».
Du coup dans Barlou, ça sort le cigare et claque une fesse pour exiger son du, balançant, presque en freestyle, quelques unes de ses techniques ancestrales. Rimes aberrantes et blagues de comptoir, Seth Gueko ose tout, et c’est même à ça qu’on le reconnait. Redécoupant méthodiquement l’instru sur des prods plus homogènes que sur ses derniers projets, le Seth Guex détricote toujours avec la même aisance les schémas de rimes qu’il affectionne tant. Le retour d’un rap sévèrement burné, d’un univers protéiné. Multisyllabiques en automatique et punchlines en rafale, Gueko sans forcer l’originalité remplit le contrat de mal-saiance et on ne peut à l’écoute de l’album, comme à chaque fois, réprimer quelques sourires grivois et ricanements d’approbation. Avec testostérone et rap hardcore pour seul crédo, Gueko nous met à l’amende sur son propre terrain, mais va plus loin.
Elle paraît déjà lointaine, l’heure des vinyles et des K7, mais la vague Seth Gueko revient toujours broyer les corps des rappeurs Incognito. Telle une Machine à Laver le linge sale en famille, le Maître de Cérémonie distille avec un flow épuré et sur des mélodies rodées les lettres de noblesse d’un album à la quintessence d’un rap hardcore mais adulte. Ramant parfois à contre courant, le Versace Guevara abuse de la Vodkanagra pour jouer la mixité et nager avec les jeunes requins, cassant la nuque à un public de Barlou désormais éclectique qu’il fait dabber Comme Des Sauvages. Roulant Au Ralenti sur sa Morray Davidson pour mieux analyser les directions actuelles, il injecte de la codéine dans ses rimes, batte Lucille 2 à la main, l’ancien sort vainqueur de ce duel d’escrime. Que Joey Starr sonne le glas ! Jeunes ou anciens, C’est Pas Pareil, mais lorsque Seth Negan frappe, c’est pour inscrire sans distinction d’âge les rappeurs à la Rubrique Nécro, et scander son nouvel adage « c’t’année c’est mon année », car immortel est l’aîné.
Entre nostalgie du MC et intemporalité du Barlou, politisation et rapta, business et vie de famille, le rappeur marche vers la quarantaine sereinement. Marquant à nouveau son territoire pour les quelques ignorants osant marcher sur ses terres, Seth Guex nous rappelle avec Barlou qu’en ses contrées il est Roi sans couronne, mais chevalière à l’annulaire, prêt à bastonner à rimes nues comme Charles Bronson.
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