Après un premier EP solo paru en 2013, Moïse the Dude effectuait son retour en 2014 avec un deuxième sept-titres. Le rappeur y propose un univers maîtrisé et riche en références qui a immédiatement éveillé notre curiosité : nous n’avons donc pas hésité une seconde lorsque l’opportunité d’une rencontre s’est présentée. Pas de chance, une forte pluie s’abattait sur Paris à l’heure de notre rendez-vous, Moïse avait donc dû enfiler quelque chose d’un peu plus chaud que son traditionnel peignoir. Mais cela n’aura pas suffi à démotiver le bonhomme. Place donc à une conversation débridée dans laquelle s’entrechoquent rap, cinéma, pornographie et pizzas pas trop cuites.
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ReapHit : Pour ceux qui ne te connaîtraient pas, pourrais-tu nous résumer ton parcours, de tes débuts dans le rap à aujourd’hui ?
Moïse The Dude : J’ai commencé par écrire des textes dont je ne savais pas trop quoi faire, puis j’ai vraiment commencé à rapper en 2000 quand j’ai rencontré des gens avec qui j’ai co-fondé le Sound system Bhale Bacce Crew, qui comme son nom l’indique est un sound system, et donc plutôt à tendance reggae. Nous on mélangeait ça avec un peu de rap et c’était un peu moi le rappeur du groupe. Ça a duré 10 ans.
Après j’ai eu envie de faire autre chose, des trucs plus personnels, donc j’ai embarqué Cosmar, un autre membre du groupe, avec moi dans une aventure en duo, ainsi que Monkey Green qui faisait nos prods et avec qui je bosse toujours. On a sorti deux projets qui sont restés assez confidentiels, et après ça je suis donc parti en solo, avec un premier EP, puis un autre, sorti récemment.
Maintenant que tu as un peu de recul sur la sortie de ce second EP, pourrais-tu nous dire la manière dont les choses ont évolué pour toi ? Ta musique est-elle plus diffusée aujourd’hui ? Les retours sont-ils positifs ?
Il y a eu encore plus de téléchargements, de lectures et de bons retours que sur le premier EP, sur lequel il fallait que j’installe un univers et que je me fasse un peu connaître. Petit à petit, les choses ont avancé : sur le deuxième, il y avait plus d’attente et j’ai également eu un peu plus de médias, donc mon public grossit de plus en plus, même s’il reste assez restreint. Je gagne des fans tous les jours et c’est cool.
Tes influences semblent assez diverses, tout en restant très actuelles. Qu’est-ce qui t’inspires en terme de musique ?
J’écoute beaucoup de rap US, beaucoup plus que de rap français, donc mon inspiration vient forcément de là. C’est vrai que je suis sensible à toutes les tendances actuelles, j’ai toujours une oreille portée vers le futur, entre guillemets, ça m’inspire par la force des choses. Ce n’est pas que ma musique suit les tendances, mais disons que j’aurai du mal à faire du boom-bap aujourd’hui, parce que j’écoute et j’aime les sonorités récentes, qui m’influencent d’une certaine manière.
Après pour être plus précis, je suis vraiment porté sur la scène sudiste : tout cet axe Atlanta-Miami-New Orleans-Houston et compagnie. Je ne vais pas donner de noms parce que ce serait trop réducteur. Mais le son de Houston du début des années 2000, c’est parmi les trucs que j’aime le plus.
J’avais aussi lu que tu aimais bien les années 80. Qu’est-ce qui te plaît dans ces sonorités ?
Oui, j’adore les années 80 ! Je suis un enfant des années 80, donc j’ai grandi avec toute cette musique là. Je pense qu’inconsciemment, ça m’a marqué. Après, ce que j’aime vraiment en terme de sonorités, c’est le côté synthétique, le côté boîte à rythmes, les grosses nappes de synthétiseurs et les trucs comme ça, qui sont des choses que l’on a pu retrouver dans le rap sudiste américain avec le retour de la TR808 notamment. Pour moi, tout cela est lié, c’est une même famille de sonorités. Une famille qui me touche sans que je sache réellement pourquoi, mais en définitive, je préfère ça à la musique classique (rires).
Je crois aussi savoir que tu es assez cinéphile. Je trouve que l’on peut faire un lien entre la musique des années 80 et le blockbuster américain des années 80 qui a aussi un côté débridé. Est-ce-que c’est aussi quelque chose qui t’intéresses ?
Oui c’est pas con de comparer les deux, et ça marche aussi pour les blockbusters des années 90. Peut-être que je vais dire une connerie, mais j’ai l’impression que les années 80 et le début des années 90, il y a encore des choses un peu nouvelles qui se créent, que ce soit dans le cinéma ou dans la musique, pour le pire et pour le meilleur d’ailleurs ! Parce que les années 80, c’est ce qui est bien, c’est que tu as des trucs vraiment de qualité, et des trucs vraiment à chier et ultra-cheap (rires).
Mais du coup, par rapport au cinéma, ce qui m’intéresse dans les années 80, ça peut être Die Hard par exemple. Ce genre de films qui ont vraiment posé des jalons pour la suite. Il y a plein de classiques qui sont nés dans les années 80, que ce soit en musique ou en cinéma.
« Si au bout d’une minute, j’ai le sentiment de me faire chier ou de pas être entré dans un univers, je vais pas insister non plus. C’est l’époque… »
En même temps, nous n’avons pas encore forcément le recul quant aux futurs classiques d’aujourd’hui, mais je pense qu’on pourra parler de la même manière d’un film comme Spring Breakers dans les prochaines années.
Complètement, comme tu dis on n’a pas encore le recul, mais ça va commencer à se décanter. C’est marrant que tu parles de Spring Breakers parce que j’adore ce film, je l’ai vu plein de fois et je pense que c’est typiquement le genre de films que les gens comprennent pas trop, parce que sur la forme il est un peu étrange, un peu conceptuel, parce que le scénario est un peu inachevé… Mais c’est clairement le genre de film qui va devenir culte dans 10 ans. Ce sera le petit film culte, un peu chelou…
Oui, rien qu’en terme d’esthétique il y a quelque chose de fort, mais c’est surtout en terme de narration que le film est impressionnant car il crée quelque chose de nouveau et de fort en décalant son et image de cette manière.
Carrément. Le film prend aussi de la valeur quand tu lis les interviews de Harmony Korine où il t’expliques qu’il a voulu faire des boucles visuelles en utilisant le montage. Il explique également qu’il a fait le film en écoutant beaucoup de rap et qu’il est à fond sur des mecs comme Gucci Mane, qui apparaît d’ailleurs dans le film. Il est dans cette musique de transe, et c’est pour ça que le film marche de cette manière. Il y a beaucoup de répétitions dans le montage et le son est décalé. Il y a un vrai travail là- dessus et je trouve ça hyper intéressant, car même si cela paraît un peu étrange pour les gens qui n’ont pas vraiment l’habitude de voir ce genre de films, au final ça donne un objet visuel surprenant. Pour moi c’est une sorte de clip parfait.
Si le rap français était le monde du cinéma, on pourrait dire que Kaaris serait une sorte de blockbuster ultra-violent par exemple. Et toi, qu’est-ce-que tu serais ?
Moi je serais un peu un Spring Breakers justement, je pense que ça me convient bien. Ou un Big Lebowski, vu que j’ai basé mon premier EP là-dessus. Je suis pas un blockbuster, je serais forcément un petit film indépendant que les gens découvrent un peu sur le tard, que les gens apprécient après l’avoir vu plusieurs fois et pas forcément du premier coup, ça c’est une remarque que l’on me fait souvent et que je trouve plutôt positive, même si ça ralentit un peu les choses. Mais si les gens ont besoin de prendre leur temps, qu’ils prennent leur temps.
C’est toujours délicat dans une époque où on écoute tellement de musique qu’on a tendance à vite passer à autre chose.
Oui c’est ça … Mais quand on me dit, « j’ai écouté ton morceau trois fois, et c’est là que j’ai commencé à capter le truc et j’ai kiffé », bah c’est cool. Mais je me dis, combien de personnes n’ont pas fait l’effort de l’écouter trois fois ? Mais moi je suis pareil, surtout en rap français, si au bout d’une minute j’ai le sentiment de me faire chier ou de pas être entré dans un univers, je vais pas insister non plus. C’est l’époque. Ou plutôt c’est qu’il y a un milliard de trucs qui sortent. Fatalement, le tri est cruel.
C’est peut être aussi parce que tu as des morceaux assez référencés qui s’adresse à un public … Je ne saurais pas définir à qui ça s’adresse en réalité.
Moi j’ai tendance à dire que je fais du rap pour des gens qui écoutent déjà du rap, alors forcément ça limite un peu. Après en même temps, Kaaris c’est pareil, à partir du moment où tu fais de l’egotrip, c’est déjà un genre que le grand public est pas forcément censé comprendre. En même temps, tout rappeur met une part d’universel dans son rap qui fait que tu puisses malgré tout être compris de plein de gens. J’ai pas forcément de contrôle là-dessus à vrai dire.
Pour revenir au cinéma, j’ai vu que tu avais posté un montage de Nicolas Cage sur ton Twitter, est-ce-que c’est un acteur qui t’intéresses ?
J’adore Nicolas Cage ! (rires) Et ce malgré toutes les bouses qu’il a pu faire … Mais je l’ai découvert quand j’étais plus jeune, et du coup, comme un Bruce Willis, il faisait partie du panthéon de mes acteurs préférés quand j’étais adolescent. Je l’ai découvert dans Les ailes de l’enfer. J’ai kiffé le film quand il est sorti, j’étais à fond dans les films d’action comme ça ! En fait, il fait partie des acteurs avec qui j’ai une histoire personnelle. Par exemple Les ailes de l’enfer, j’ai un souvenir très précis de comment je l’ai vu : j’étais en vacances dans le sud, c’était dans une petite salle, il faisait super chaud dehors mais très frais dans la salle, il n’y avait pas grand monde, le billet n’était pas cher, bref j’étais bien. C’était le film parfait pour le moment auquel je l’ai vu : j’étais tout seul, c’était mon évasion au cœur des vacances. Du coup, je garde un attachement spécial à ce film-là et donc à Nicolas Cage ; et depuis je n’ai pas cessé de l’aimer.
D’ailleurs là il revient pas trop mal, j’ai vu Joe et c’était bien. Et il reste un putain d’acteur.
Ce qui est marrant, c’est que c’est vraiment un personnage à part entière en dehors du cinéma, et qu’à la limite, si on est attaché à lui, même un mauvais film dans lequel il joue peut être plaisant.
C’est un mec pour lequel tu peux aller voir un film, même si tu sais que ce sera mauvais. Après il a quand même fait des trucs très très compliqués … (rires)
Je pense que maintenant c’est le contraire, les gens se méfient plutôt. Il a fait tellement de merdes, c’est rare d’être aussi constant dans la nullité, respect ! Mais bon moi un film comme Hell Driver par exemple, qui est vraiment un espèce de nanard en mode série B, voir série Z, ben j’aime bien. Dans son genre c’est plutôt rigolo.
« Cela fait un moment que je considère que le rap et la culture hip-hop sont une immense machine à recycler tout ce qu’il y a autour. »
Je lisais une interview dans les Cahiers du Cinéma dans laquelle il disait qu’il se sentait proche d’une méthode développée par un universitaire, qui déclarait que les acteurs étaient en quelque sorte les chamans modernes.
Oui, j’ai lu des trucs là-dessus. Il a l’air dans des délires un peu barrés, après je ne sais pas quelle est la part de vrai et la part de faux. Est-ce qu’il se prépare vraiment comme ça ? Il y a une part de légende. Mais à priori, c’est un acteur qui se met à fond dans ses rôles, dans l’immersion totale. Il y a une légende qui dit que pour un rôle dans lequel il devait se faire arracher les dents, il s’était vraiment fait arracher les dents par un dentiste, sans anesthésiant. C’est débile en plus, mais bon, après peu importe la méthode, ce qui compte c’est ce qu’on voit nous à l’écran.
Pour revenir à la musique, on voit que le rap est en pleine mutation, comment est-ce-que tu perçois cela ?
Cela fait un moment que je considère que le rap et la culture hip-hop sont une immense machine à recycler tout ce qu’il y a autour. C’est la nature même de cette culture : s’inspirer de l’ère du temps et s’en approprier des choses, que ce soit une marque de fringue, que ce soit un style de musique qui va être samplé… C’est ça le rap et le hip-hop, et je pense qu’il ne faut pas aller contre ces évolutions, il faut juste faire le tri. L’évolution est inévitable.
Moi le rap, je vois ça comme une boule de neige qui roule en permanence et à laquelle s’agglomère tout ce qui se trouve sur son chemin. On est tous pris dans le truc, on roule avec, et il y a plein de choses qui viennent s’y ajouter.
Avec Internet, il y a de plus en plus de « phénomènes », que personne ne sait si il faut ou non les prendre au sérieux, à l’image de Riff Raff, de Lil B pour les USA, ou de Swagg Man en France. Est-ce-que tu vois cela comme quelque chose de positif ?
J’ai une position assez contradictoire là dessus : j’aime beaucoup Riff Raff par exemple, alors que Swagg Man je trouve que c’est de la merde. Mais c’est perturbant parce que tu ne sais pas à quoi te raccrocher, tu ne sais pas sur quoi juger le type. Il fut un temps tu avais la pseudo street-credibility, mais ça maintenant on s’en fout, c’est un concept qui est assez dépassé. Qu’est-ce-qui fait que le mec va être crédible ou pas ? Qu’est-ce-qui fait qu’on va pouvoir s’y intéresser sincèrement, autrement qu’en se foutant de sa gueule ? Pourquoi est-ce-que je vais kiffer musicalement parlant un Riff-Raff et pourquoi est-ce-que je vais me foutre de la gueule de Swagg Man ? Je sais pas trop …
Enfin si, Swaggman s’est fait connaître en faisant de la merde, en étant un clown de Youtube, alors que Riff Raff propose du rap depuis longtemps. Du rap purement divertissant mais du rap quand même. Riff Raff a sorti plein de projets, il a sa place dans le game. En plus, il reste généralement assez fidèle à ses racines texanes. Alors que Sawggman c’est que dalle, sa disco c’est deux/trois morceaux – ghostwrités qui plus est – qui sont des parodies en définitive. Alors c’est golri comme ça sur trois minutes mais c’est tout, il n’y a rien derrière.
Moi ce que j’espère juste dans ce tourbillon de sorties et de personnages, c’est qu’il y ait de la place pour tout le monde, et là où je vais être réac’, c’est que je vais considérer que Swaggman fait beaucoup trop de vues par rapport à ce qu’il propose, contrairement à d’autres mecs qui ont un univers plus intéressant et moins factice, et je ne parle même pas de moi quand je dis ça. C’est juste une question d’équité dans la place que chacun doit avoir. Le problème c’est que Swaggman est tellement un clown que c’est ça qui attire les gens aussi, c’est là où ça commence à devenir relou. C’est là où la parodie fait du mal. Bon, en fait, le problème, c’est pas Swaggman, c’est son public.
Est-ce que cette multiplication des phénomènes rap ne vient pas du fait qu’il y ait eu une sorte d’affranchissement de la « technique » rap des années 90 ? Quand quelqu’un ne savait pas rapper, il ne pouvait tromper personne. Aujourd’hui un Swagg Man avec un type qui gère bien son autotune derrière peut déjà plus tromper. Les années 2010 auraient-elles un effet trompe-l’oeil ?
C’est aussi parce qu’il y a une tendance qui vient des USA avec la Trap, et maintenant le rap de Chicago, dans lesquels on est sur un style de rap où ça « kicke » moins et où on est plus basés sur des adlibs, sur des refrains… Un morceau comme « Go to jail » de Chief Keef, c’est une forme de transe. Mais au fond il y a parfois beaucoup plus de musicalité dans le rap de ces mecs-là que dans un vieux morceau de Nas. Je vais me faire lyncher là, mais c’est vrai. Ca chante, ça déraille, ça met des effets, c’est un laboratoire le truc ! C’est des savants fous !
En France, ça arrive avec toujours un peu de retard, donc ceux qui n’ont pas suivi le truc depuis les USA sont forcément un peu surpris.
« La pop, c’est quoi ? C’est un morceau efficace qui dure pas trop longtemps, avec un refrain qui se retient bien »
Mais ce rap conserve quelque chose de technique, et se baser sur des adlibs et des gimmicks demande aussi un certain talent. Est-ce-que selon toi c’est bien de s’affranchir de la technique d’avant pour intégrer la nouvelle, et est-ce-que les deux ont autant de valeur ?
Oui, ça a autant de valeur. C’est une technique parmi d’autres, et il faut aussi avoir le sens du rythme et le sens de la mélodie pour poser sur des trucs lents, pour être dans les adlibs, etc. Parce qu’un adlib, en définitive, tu ne le poses pas n’importe où sur l’instru. C’est un feeling qu’il faut avoir. C’est une technique qui a autant d’intérêt que le rap de kickeurs. C’est de la musique quoi.
C’est comme un mec comme Young Thug. Au départ tu te dis : « c’est limite n’importe quoi ! », ça a été ma première réaction. Mais en fait tu insistes un peu et tu captes le truc, on est plus dans la technique, maintenant c’est une question de feeling et de groove. T’imagines les mecs, ils arrivent en studio, ils sont pas trop préparés mais ça sort, ils se baladent sur l’instru, ils serpentent, ils se laissent aller. C’est juste du feeling, et c’est bien que ces mecs là marchent comme ça en ayant l’air de s’en foutre, même si je pense que c’est un poil plus précis que ce qu’on peut imaginer malgré tout.
C’est moins écrit, moins millimétré en apparence, mais c’est plus ouvert et c’est surtout une démarche pop. Le fait d’avoir des refrains hyper-catchy et des adlibs, c’est un truc qui vient de la pop. La pop c’est quoi ? C’est un morceau efficace qui dure pas trop longtemps avec un refrain qui se retient bien, et on ne parle pas de technique dans la pop. C’est de la musique, c’est de la mélodie. De la chanson tout simplement.
C’est marrant, parce que moi je considérais plutôt que la trap, et notamment Waka Flocka, c’était au rap ce que le punk avait été au rock. L’affranchissement du côté technique pour revenir à quelque chose de plus brutal et de plus efficace.
C’est vrai, c’est vrai… Mais ce serait un punk qui aurait compris les recettes de la pop. J’ai l’impression que les mecs de la trap ont intégré ce schéma, ce serait un mélange de punk et de pop ? Du punkop ?
La technique ils s’en foutent, ils envoient du lourd et du catchy. Du brut, et à la fois, ça pourrait aussi être de la musique de stade.
Tu as invité une actrice porno dans le clip de « Russe Blanc », tu as fait un morceau qui traite partiellement de la pornographie avec « Exit to San Fernando Valley », un autre qui s’appelle « Porno psy-chic », etc. Qu’est-ce-qui te fascines dans ce milieu pour que tu y reviennes autant ?
Ce qui me fascine à la base, c’est que ça m’excite ! (rires) J’ai été un gros consommateur de porno. C’est un truc que j’ai digéré et que je ressors dans mes textes. De toute façon, il y a toujours un côté cul dans mes textes, même sans perler de porno. Il y a toujours une touche de sexe parce que cela fait partie de moi. Je suis le contraire d’un moine … « Porno psy-chic », c’est moins un morceau porno qu’un morceau où un type veut niquer sa psy en fait. Bon, c’est vrai qu’on dirait un scénar’ made in Dorcel …
Après, avoir une actrice dans le clip de Russe Blanc, c’est une opportunité que j’ai eu en définitive. C’est une histoire de contacts, je pouvais le faire, et je ne m’en suis donc pas privé. Cela permet aussi de côtoyer des gens qui sont dans le porno et de pouvoir discuter un peu avec eux, de voir un peu l’envers du décor.
C’est intéressant de voir que c’est un vrai métier, que ces gens ont des réflexes de pro. Quand tu tournes avec une actrice X sur un clip, c’est pas la fête, c’est vraiment un taff, elle fait ce dont tu as besoin pour le clip et … voilà. Tu passes un bon moment à la voir faire mais t’es pas là non plus avec une gaule de dingue à vouloir t’astiquer, loin de là. Même pas une demi-molle.
Il y a eu quelques projets-concepts sur le sujet de la pornographie dans le rap, que ce soit via D.Abuz ou Aelpéacha en France, ou via Necro ou Too-Short dans le rap US. Est-ce-que ça t’intéresserait de te diriger dans cette voie ?
Faire un projet-concept non, parce que ce qui m’intéresse, c’est de créer un univers qui est fait de plein d’autres petits univers. Je veux pas verser dans un truc franchement porno, cela ne m’intéresse pas. Je préfère que ce soit par petites touches, je trouve ça plus subtil.
Comme « San Fernando Valley« , c’est un morceau dans lequel j’évoque une personne qui travaille dans le porno, mais il y a aussi toute une histoire qui est associée à ça. Cela parle d’une fille qui se drogue et qui fait du porno pour pouvoir payer sa drogue, et en même temps elle se tape un mec, le personnage que j’interprète, on comprend pas trop leur relation, et le mec en parle au passé, on ne sait pas exactement ce qui s’est passé entre eux … Il y a plein de questions qui se posent comme ça, et c’est ce qui m’intéressait dans le fait de raconter cette histoire-là, et je voulais donc faire quelque chose de plus complexe que de simplement parler de pornographie.
« Finalement, mon univers est juste le mélange de plein de trucs que j’ai bouffé plus jeune, ou dont je m’alimente aujourd’hui… »
Est-ce-que le pan du rap que j’évoquais t’intéresses quand même ?
Oui clairement, ce sont des choses que j’écoute. Mais c’est aussi des mecs qui ont un univers qui est plus complexe que de la simple pornographie. Too Short il y a le côté pimp, qui est tout un pan de culture afro-américaine, c’est l’histoire de Pimp de Iceberg Slim. Et Necro c’est pareil, il est dans le porno et en même temps dans les trucs un peu gore. Il a une espèce de culture de série B, il est un peu white trash. Moi j’aime bien les mecs qui ont des univers, c’est ce qui m’intéresse dans le rap.
Aelpéacha aussi est assez fort pour faire des trucs un peu sexy comme ça, mais encore une fois il mélange ça à tout son délire de ride, de chill, de Splifton, de Cali lifestyle.
Tu as mis un sample d’orgasme à la fin de « San Fernando Valley », est-ce-que c’était pour te venger des traumatismes adolescents des écoutes de Ready to Die ou de Chronic 2001, lorsque tu écoutes pour la première fois cet album et que tes parents sont à côté ?
Ah c’est marrant, j’ai pas du tout pensé à ça. C’est vrai qu’on est un peu dans la lignée des bruitages suspects des albums de rap. (rires)
On a juste mis le sample pour habiller un peu plus la prod’ qui a un côté assez minimaliste, et pour illustrer un peu le propos du morceau. Et surtout en cherchant un son d’orgasme, on est tombés sur celui-là, qui est mixé de manière assez légère, mais le fichier sur lequel on est tombés était vraiment beau à entendre. Une espèce de pureté assez perturbante. (rires)
Dans « L’homme à tête de Screw », tu dis : « Moi j’existe en dehors du rap, je suis un grand garçon ». Est-ce-que c’est une volonté pour toi de garder cette indépendance vis-à-vis du rap ?
Effectivement, je ne gagne pas ma vie avec le rap, et je le vis bien. Ce que je veux dire, c’est que je serais sans doute très content de vivre du rap, mais je n’en vis pas et ce n’est pas un drame.
Mais ce que je voulais dire aussi c’est qu’il y a autre chose que le rap dans la vie en général, parce que je m’intéresse à d’autres trucs : le cinéma, d’autres styles de musique, ou la vie réelle en général …
Avant de commencer l’interview, je te disais que je passais beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et c’est vrai, mais j’oublie pas que quand je quitte tout ça, je retrouve ma meuf, mes potes, ma famille, et c’est ça, la vraie vie elle est là.
Est-ce-que c’est pas aussi une critique vis-à-vis des gens qui prennent le « rap-game » trop au sérieux ?
Oui, exactement c’est ça. C’est aussi pour dire que tous les mecs qui se branlent à longueur de temps sur les clashs d’untel, ou même tous les mecs qui commentent les morceaux sur Youtube et qui s’étripent juste pour dire « lui c’est un vrai », « lui c’est pas un vrai », « telle boucle elle est à chier », etc…
A un moment donné, on s’en fout quoi. Avec Internet, tout le monde s’empare de tout et tout le monde commente tout le temps. On s’en branle en fait juste. C’est que de la musique.
Ce morceau fait aussi directement référence à Gainsbourg. Est-ce-que Gainsbourg et la chanson française en général, ça te parle ?
Oui, j’aime bien la chanson française. Plutôt les trucs à l’ancienne, maintenant il n’y a plus grand monde qui m’intéresse. Effectivement j’adore Gainsbourg. J’ai beaucoup écouté Brel, ou même Bobby Lapointe dans un registre plus drôle. Brassens un peu aussi. Même un mec comme Robert Charlebois qui est québécois et qui chante en français. Après, c’est aussi et surtout les trucs avec lesquels j’ai grandi et que mon père écoutait : Renaud, Gold pour revenir aux années 80, Daho, Katherine en ce moment, Alain Souchon, Vincent Delerm, Sheller putain ! Sheller c’est un tueur. Son enregistrement en public là, « Sheller en solitaire », je l’ai écouté en boucle. J’ai une fibre chanson française, c’est vrai.
Je pense que c’est aussi ce qui fait la force de ton univers, car tes références sont assez variées.
Il y a une partie inconsciente, mais il y a aussi une partie consciente dans la manière dont ces références sont réutilisées.
Je me suis quand même dit « ok je fais du rap, il y a des codes et des figures de style à respecter » mais j’avais pas non plus envie de renier toute une partie de ma culture et de ce avec quoi j’ai grandi, donc je me suis dit que j’allais créer mon univers car quand je fais du rap, je veux quand même être fidèle à moi même. Du coup, je me suis décomplexé par rapport à ça, et c’est peut-être ce qui permet de créer cet univers qui connecte pas mal de choses différentes. Mais finalement, c’est juste le mélange de plein de trucs que j’ai bouffé plus jeune ou dont je m’alimente aujourd’hui, et j’ai pas envie de faire semblant de pas connaître ces trucs-là. J’ai pas envie de faire des morceaux à la gloire de Tony Montana comme tout le monde quoi. Surtout que c’est franchement un looser.
« Ok, je fais du rap, il y a des codes et des figures de style à respecter, mais j’avais pas non plus envie de renier toute une partie de ma culture et de ce avec quoi j’ai grandi ! »
Sur tes deux EP’s, on retrouve une seule collaboration par projet. Peux-tu nous dire comment les connexions s’étaient faites ?
Alors Cosmar, comme je le disais, on se connaissait déjà, on sortait de deux projets ensemble donc c’était assez logique de faire un morceau avec lui. J’avais un morceau où je l’ai tout de suite vu sur le refrain en addition vocale donc ça s’est fait très naturellement.
Et sur le volume deux, on a donc Seno. Je trouve son parcours intéressant et j’ai énormément écouté son dernier EP, 2.0, ainsi que les morceaux qui n’étaient pas dedans et qu’il a fait dans la même lignée, peu de temps après, comme « Clé de bras » en feat. avec Lil Thug. J’ai écouté tout ça en boucle et ça m’a aidé à trouver le bon équilibre sur l’EP entre le côté nonchalant et le côté vénère.
Quand j’ai commencé à construire l’EP, la première personne qui m’est venue à l’esprit, c’est lui, parce que son rap était le plus cohérent par rapport à ce que je voulais faire sur ce projet là. Il a accepté de sortir de son hibernation rapologique, et ce fut une belle rencontre.
C’est intéressant, parce que Seno et toi, vous avez des démarches un peu similaires dans le sens où vous décomplexez un peu un rap français qui n’a pas vraiment de raison de l’être ; mais aussi parce que lui est parti d’un son plutôt influencé « west coast » pour arriver à quelque chose de plus actuel, tandis que toi tu es parti de ce que tu faisais avant pour arriver dans une lignée un peu similaire.
C’est vrai qu’on a tous les deux pris des virages. La dose de courage qu’il faut pour prendre un virage, quand on est connus pour quelque chose et qu’on fait autre chose, je l’ai senti chez lui. Il a osé le faire, quitte à déstabiliser son public, et c’est quelque chose que je salue toujours chez les artistes. Je me suis retrouvé là-dedans et quand on s’est rencontré, le feeling est passé parce qu’on avait envie de se faire plaisir sur le morceau avant tout. On s’est aussi découvert une passion commune pour les pizzas PAS TROP CUITES. Seno tuerait pour une pizza trop cuite, c’est toujours bon à savoir.
Peux-tu nous parler des productions de ces deux EP’s ?
Premièrement, il y a Monkey Green que je connais depuis longtemps. Il a produit trois morceaux sur le volume un, et trois sur le second volume. C’est mon bras droit, tout simplement. C’est le premier à entendre mes morceaux. Il est au cœur du processus, on se comprend, où plutôt on se respecte dans le son.
Il y a aussi Pernini 9000 qui a été rappeur sous le nom de Split Magnetic puis qui a arrêté pour se consacrer à la prod’, d’abord dans le rap, puis maintenant dans l’électro/pop. J’aime bien sa touche et le fait qu’il ne veuille pas que faire du rap, cela veut dire qu’il est ouvert, qu’il a des idées fraîches.
Il y a un petit nouveau sur le volume deux, il s’appelle Grissom. Cela ne fait pas longtemps qu’il fait de la prod’ mais il a une bonne oreille et un univers bien à lui, donc ça m’intéresse. J’aime les gens qui m’envoient des prods même un peu bizarres, du moins des prods sur lesquelles tout le monde ne se verrait pas rapper.
On a aussi Joachim De Lux qui a produit sur les deux EP. Il ne fait pas de rap à la base non plus, il est aussi plutôt dans l’électro/pop. Il me connaît depuis le Sound System, et un jour on s’est captés via Facebook. Pareil, vu qu’il n’est pas dans le rap, je trouve ça intéressant. Je trouve ça cool de l’emmener vers mon univers tout en gardant sa touche. Cela donne des morceaux originaux qui – j’espère – ne ressemblent à rien d’autre. « Porno psy-chic » par exemple, c’est un ovni, mais la prod’ est putain de belle et je n’ai eu aucun mal à poser dessus. Gros gros plaisir. C’est parmi mes tracks préférés.
Penses-tu rester sur le format EP pour ton prochain projet, où envisages-tu de passer à un format plus long ?
Je ne sais pas encore. Je suis encore sur la promotion du volume 2. Des clips vont arriver, donc je ne suis pas encore en écriture. Mais j’aime bien le format EP, à l’heure du zapping et de la consommation rapide, un EP c’est pas mal, les gens n’ont pas le temps de se faire chier. Je préfère frustrer qu’ennuyer. Je pensais aussi à regrouper les deux EP et à y rajouter des inédits. Mais cela reste à voir.
J’ai un projet avec un autre rappeur – dont je tairais le nom pour le moment – en cours de conception. On va attendre que ce soit prêt pour en parler, il n’y a rien de pire que les rappeurs qui annoncent des trucs et qui ne le font pas. Une très vieille habitude dans le rap (rires).
En solo, je ne sais pas encore : rien de prévu pour le moment, mais la retraite est loin d’être une option !
Un mot de la fin ?
C’est trop le piège le mot de la fin, parce que tu as envie de dire un truc drôle pour faire genre « Ah le mec est cool ! » et en fait soit tu l’as tout de suite le truc drôle, soit tu l’as pas, et si tu l’as pas, tu dis un truc con …
Prends ton temps, on pourra couper pour que ça soit plus pertinent.
Non mais garde ça, ça démystifie le mot de la fin.
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