Selon les réseaux de socialisation, vous étiez plus de 500 000 à squatter le terrain vague de La Chapelle tous les samedis d’automne de l’année 86, et si ce n’était pas vous, c’était votre grand frère ou carrément votre père. Prêts à ruiner vos Air Pegasus pour entendre le dernier set de Dee Nasty et ses nouveautés fraîchement débarquées. Toujours d’après nos chers réseaux, vous étiez 380 000 à venir passer des soirées bouillonnantes sapés de votre plus beau haut en nylon au Globo et à vous déhancher sur les dernières pépites rap. Si on émettra un sérieux doute sur ce comptage digne de la CGT des personnes réellement présentes à l’époque, il y a un élément commun à la naissance du rap en France qui est, dans un autre contexte environnemental, similaire à celui des Etats-Unis : le DJ.
Vrai point d’entrée de la culture, le DJ a été le messager du rap à ses débuts, devenant l’un des piliers les plus importants du mouvement. L’introduction du scratch, sa présence dans les formations de groupe comme membre à part entière, l’ajout des cuts puis le passage par le beatmaking pour certains ; peu de disciplines peuvent se targuer d’avoir réussi à évoluer de la sorte, et on pensait donc la place du DJ dans le rap comme irremplaçable.
2016. Trente ans après, le DJ est au rap ce que la diligence est à la logistique, un lointain souvenir d’une autre ère pour la nouvelle génération. Le seul truc qui semble encore rimer avec DJ dans le rap actuel médiatisé, c’est Khaled, de quoi faire mourir une deuxième fois Roc Raida. Ghettoïsés dans des compétitions entre eux, à des sets dans des soirées de vieux de la vieille ou à quelques cuts pour des MC’s underground, on ne peut pas dire que le métier de DJ soit au beau fixe. La faute à une évolution musicale peut être, où l’on ne voit pas comment un DJ pourrait actuellement venir apporter une valeur ajoutée aux instrus de PNL, ajouter du sel à du tofu, ça reste du tofu, bref c’est dégueulasse… Le constat est amer, certes, mais il semble tout de même réaliste, le deejaying dans le rap est en train de mourir, au même titre que le story telling et autres phrases composées.
Derrière ce constat personnel et pessimiste, je me suis souvent demandé si un dernier samaritain serait prêt à prendre le risque de remettre en avant cet art au détriment de la tendance actuelle. Avec D-Styles : the Only Mixtape, c’est donc Bachir qui s’y colle, et c’est tout sauf une surprise. Déjà auteur d’une sélection millimétrée autour des trop oubliés The Nonce et du Bomb Squad, histoire de rappeler qu’il y a eu un avant DJ Premier et que J Dilla est loin d’avoir le monopole des sources d’inspiration, Bachir revient au travers de D-Styles pour un hommage qui va au-delà du personnage, pour englober toute la profession. Un DJ qui fait une mixtape sur un autre DJ, on peut dire que cela ne manque pas d’originalité ! La profession passée niveau rayon du fond du hip-hop, pourquoi pas utiliser une mixtape – à l’origine pour faire découvrir un nouvel artiste – pour en faire redécouvrir un : c’est ici la base du travail de Bachir dans sa collection The Only Mixtape.
Alors pourquoi D-Styles ? Même si l’univers du deejaying peut paraître obscur pour beaucoup, il suffit à l’écoute de la sélection mixée par Bachir de s’arrêter à la piste 21, « Wreck Fader ». Sur une instru électro minimaliste, on a le droit à une démonstration de turntablism très complète. Aidé de Kipsky, autre grand nom du deejayin, D-Styles présente un éventail de techniques que t’auras beau essayer d’imiter sur ton tourne disque en bois brésilien recyclé avec des vinyles réédités à 150€ pièce, au final t’auras toujours l’air du con qui a acheté un tourne disque en bois brésilien recyclé pour écouter des vinyles réédités à 150€ pièce.
D-Styles, c’est une évidence qui tient sur 30 années de savoir-faire. Avoir D-Styles sur son morceau, c’était – et c’est toujours d’ailleurs – la garantie de se retrouver dans une dimension supérieure, là où un beat simple comme « You Can Love Me When I’m Dead » de Jonwayne serait peut être passé à la trappe, les cuts de D-Styles amènent une saveur supplémentaire qui en font un morceau complètement addictif. De grands DJ’s, il en existe une palanquée, mais peu ont cette oreille capable de sublimer aussi parfaitement un son. Comme en 2002 sur le maxi Felonious Funk, là où d’autres seraient arrivés avec pâté de campagne et grosse rillettes, D-Styles déploie un touché classieux qui transforme ton plateau de charcuterie en dégustation foie gras du Périgord.
Tout au long des 22 morceaux, D-Styles affirme cette évidence. La sélection a dû être rude (avec une vraie prise de risque à l’arrivée) car derrière, Bachir doit assurer le plus difficile : réussir les transitions en tant que DJ originel et offrir un mix pointilleux pour rendre le tout homogène et addictif. Mission accomplie : D-Styles The Only Mixtape est une masterpiece sans défaut, un open bar au rhum ambré qui donne envie d’aller plus loin et de se mettre minable avec toute discographie de D-Styles.
Bachir se serait surement fait moins de mal à mixer une playlist PNL, Damso, SCH et Kekra pour le compte de l’Abcdrduson, mais l’homme aime souffrir afin de rendre un hommage brillant à l’une des figures incontournables du turntablism. Cet acharnement, c’est aussi ce qui fait de la série The Only Mixtape la résurrection d’un format vraiment très loin des produits soporifiques actuels qui n’ont de mixtape que le nom.
Les 100 exemplaires du pack spécial (en photo) sont déjà épuisés, mais la mixtape est toujours disponible en CD, ça se chope par ici.
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