Cela fait un moment que l’on suit les Soul Square dans leur univers teinté de Soul des 60′ tout autant que de bon vieux BoomBap des familles si cher à nos 90′. Attendant frénétiquement la nouvelle cuvée, la main tremblante sur le vinyle, proche du délirium tremens. Actuellement en tournée pour quelques dates accompagnés de l’américain RaceCar et du canadien Jeff Spec, impossible pour ReapHit de ne pas allez trinquer avec tout ce beau monde. Rencontre dans l’antre de la Cave aux Poètes.
ReapHit : Première question, très classique, pouvez-vous revenir sur la formation du groupe et vos parcours respectifs ?
Arshitect : Bien sûr ! Nous sommes Soul Square, groupe formé en 2005 sous le nom de Drum Brothers, et initialement composé de 3 beatmakers, PermOne, Guan Jay et moi même Arshitect. On a sorti la même année un projet qui s’appelle The Fresh Touch, qui était une compilation de remixes américains.
On s’est ensuite lancé directement dans un projet d’album « Live & Uncut », sorti en 2010 sur le label Kif Records. Pour la création d’un morceau de l’album, on a fait appel aux services de Atom et Pfel des C2C, et suite à cette collaboration Atom s’est proposé pour mixer tout l’album. Il a aussi proposé de faire une partie des scratches dessus et, de fil en aiguille, il s’est intégré naturellement au groupe et est aujourd’hui le DJ studio du groupe. DJ studio, parce qu’on a maintenant un DJ scène qui nous suit et qui s’appelle Jay Crate (aka Dj B-Loo), un pote de Nantes aussi qui fait partie de la famille.
L’année dernière on a débuté une série d’EP : les Millésimes, avec RacecaR, un rappeur de Chicago qui nous suit aussi sur scène puisqu’il habite désormais à Paris. Et on a sorti le volume II, tout récemment avec le canadien Jeff Spec.
Vous êtes originaires de Nantes pour la plupart donc. On ressent une scène electro hip-hop « de province » qui est de plus en plus présente. Vous avez l’impression d’une prise en compte plus sérieuse de cette scène au niveau national ? (Hocus Pocus, C2C, Micronologie…)
Arshitect : Je sais pas, un des seuls groupes qui ait vraiment percé c’est Hocus Pocus. Micronologie, même s’ils ont fait de gros festivals, ça a malheureusement jamais vraiment décollé.
PermOne : On connait bien Micronologie puisqu’on produit une partie de leurs instrus et c’est vrai qu’en terme de projets et de disques ils n’ont pas pris l’ampleur qu’ont pu prendre d’autre groupes.
Arshitect : Franchement dans le Hip-Hop de province dans le même style de son que nous, à part HP, je vois pas trop. Il y a eu énormément de groupes dans ce style, qui ont émergés il y a quelques années, malheureusement, il n’y a qu’eux qui ont pris de l’ampleur.
Aujourd’hui le renouveau du Hip-Hop français il est quand même principalement à Paris avec des groupes comme 1995, l’Entourage etc… Si, sur Nantes, il y a les Fixpen Sill qui suivent un peu cette mouvance. Mais c’est vrai que majoritairement c’est Paris, du moins c’est mon impression.
On sent quand même une « patte » représentative de l’ouest, non ?
Arshitect : Ah ça oui ! Si tu parles de la musique en général à Nantes, il y a clairement un style nantais qui se développe, sauf que ça va au delà du Hip-Hop, c’est beaucoup plus varié.
Le renouveau est donc parisien pour vous, c’est pourquoi vous avez été amené à déménager…
Arshitect (nous interrompant) : C’est pas pour ça qu’on a déménagé !
PermOne : On a pas tous déménagé d’ailleurs, puisqu’une partie de l’équipe est toujours sur Nantes, Guan Jay et Jay Crate notamment.
Arshitect : Atom lui il est passé par Paris mais il est parti à Bruxelles…
PermOne : Nous on ne vit pas de la musique, on a des activités professionnelles parallèles, et c’est tout simplement pour les besoins du taff qu’on a dû déménager, pas pour la musique.
Donc à l’heure actuelle, on est capable de produire la même musique et de faire les mêmes collaborations que l’on soit à Nantes, à Bruxelles ou Paris…
Arshitect : Complètement ! Nous, notre musique on la fait via le biais d’internet. On est dispatchés et il nous est impossible de nous voir à chaque fois que l’on compose. Ça m’est arrivé de finaliser un morceau alors que j’étais en Corée du Sud pour mes études, et le reste du groupe à Nantes ou Paris. Il n’y a plus vraiment de barrières.
Après, c’est une méthodologie, il faut savoir bosser ensemble, être suffisamment carré pour être capable de communiquer clairement via le biais d’internet, mais une fois que ça fonctionne, en théorie la composition est tout aussi efficace qu’en live.
Il y a des groupes qui n’arrivent pas du tout à travailler avec cette méthode, ils ont besoin d’être ensemble, de réfléchir ensemble pour que ça fonctionne. Ce n’est pas notre cas, on se connait assez et on arrive suffisamment à se dispatcher les tâches pour pouvoir bosser peu importe où l’on est.
Cette méthode de travail et la possibilité de collaborer peu importe la distance vous a permis de collaborer avec des artistes internationaux. C’est une plus value, cette French Touch dans vos collaborations ?
Arshitect : Non, je ne pense pas que les artistes bossent avec nous parce qu’on est français. RacecaR lui nous a contacté, bien sûr parce qu’il aimait notre musique, mais surtout parce qu’il s’est retrouvé à Paris, et qu’il voulait continuer de travailler avec des gens dans son affinité musicale. Jeff Spec, ne nous connaissait pas avant.
Non vraiment, on a jamais joué sur le coté French Touch pour nos collaborations, au même titre qu’on a pas choisi un Canadien ou un Américain pour leur nationalité. C’est une simple question d’affinité musicale en ce qui nous concerne.
Comme vous l’évoquiez tout à l’heure, vous avez dû changer de nom, Drum Brothers étant déjà utilisé par un petit groupe américain.
PermOne : Par un groupe de percussionnistes du Montana…
Arshitect : En fait, on le savait dès le départ qu’il y avait un autre groupe qui s’appelait comme ça, sauf que quand c’est des sortes de hippies qui ne font pas du tout la même musique que toi, en haut de leur montagne, tu te dis pas que ça va toi, petit français, te gêner un jour.
PermOne : Et inversement, on ne pensait pas non plus les gêner du fait que notre musique soit complètement différente.
Jay Crate : Pisté ! C’est internet les mecs, vous vous êtes fait niquer ! (rires)
Arshitect : Non même pas, les mecs ont vraiment eu des soucis à cause de nous. Ils ont eu des fans qui étaient étonnés de voir des vinyles Drum Brothers dans les bacs aux États-Unis et leurs demandaient s’ils avaient sortis un nouveau projet, pourquoi est ce qu’ils en savaient rien etc… Finalement, ils l’achètent, et ce n’est pas du tout le son et la musique à laquelle ils s’attendaient. Du coup, ça leur portait préjudice, et je peux le comprendre. Même si les gars sont là depuis quelques années, on les a rapidement dépassé en terme de visibilité sur internet.
Et puis c’est un peu compliqué juridiquement, même si on a pas spécialement vérifié ni pris d’avocat, mais en France quand tu déposes un nom, tu ne peux pas le déposer mondialement en fait, tu es obligé de le déposer dans chaque pays, du coup c’est sans fin. La loi américaine semble quelque peu différente puisque eux nous ont dit qu’ils avaient déposé le nom dans le monde entier. Après, est-ce que c’est vrai…
Une précédente interview évoquait assez judicieusement, les membres du groupe comme quatre piliers, quatre cotés d’un carré, avec chacun un rôle à jouer dans la réalisation du projet. C’est important pour en assurer la cohérence et éviter les batailles d’égo ?
PermOne : Au niveau purement musical c’est pas tellement vrai, puisque si on prend un prend les trois beatmakers – Arshitect, Guan Jay et PermOne – on a un peu tous le même rôle à jouer, et une part équivalente de travail dans la réalisation du projet. On se partage le même travail qui est la composition, la production d’instrumentales.
Après il y a DJ Atom qui a un rôle effectivement différent puisqu’il est ingé son, il fait le mix, il fait les scratchs, et les arrangements. Donc lui c’est clair qu’il a une tâche prédéfinie un peu différente de la nôtre.
Mais au niveau des beatmakers, je pense qu’on est complémentaire. Quand on fait des productions communes, on part toujours d’une ébauche fait par l’un de nous trois, et les autres ensuite vont venir la compléter.
En général, sur les projets millésime en tout cas, on va partir d’une prod d’un des beatmakers, qui, une fois que la voix est posée, vient retravailler et agrémenter sa propre instru. Bien sûr, de temps en temps, les autres sont là pour proposer des ajouts, mais pour les Millésimes, c’est quand même très rare.
Arshitect : Après pour ce qui est du coté « bataille d’ego » on fait en sorte que ça n’arrive pas. Au delà de laisser le choix au rappeur en lui envoyant une présélection des instrus de tout le monde, on essaie d’avoir une parfaite équité, afin que sur les vinyles, il y ait deux prods de chaque beatmaker et un interlude chacun. On se pose même pas la question, ça parait logique, de mettre en avant chacun d’entre nous. On est tous partis de ce commun accord, donc on a jamais eu de soucis.
Guan Jay : Bon après, il y a Arshi’ qui a un rôle un peu plus évolué en terme de création artistique, puisqu’il s’occupe aussi des vidéos, des pochettes, des visuels… c’est aussi notre community manager, c’est lui la grosse tête du groupe.
Arshitect : La vérité c’est que je fais tout ce qu’ils veulent pas faire.
Guan Jay : Et moi mon rôle principal est de veiller à ce que le stock de gorgeon soit toujours conséquent.
PermOne : Autant vous dire qu’il gère ça d’une main de maître. On est jamais en rupture de stock ! (rires)
Guan Jay (nous prenant à partie) : Ils ne se rendent pas compte à quel point c’est un travail prenant ! Il faut prévenir les organisateurs, s’assurer qu’ils aient pris les bonnes bouteilles, en quantité suffisante. « C’est bon vous avez du gorgeon ? Sûr hein ? Sinon on ne joue pas ! « . L’alcool, c’est le réseau social interne de Soul Square ! (rires)
Arshitect : On a joué une fois à Dublin, pour une soirée organisée par des étudiants. Autant te dire qu’on s’attendait à des caisses et des caisses d’alcool. On arrive dans une soirée un peu tricard et les mecs nous disent : « Ah bah non les gars, y’a pas de gorgeon… »
Oh putain la déception… Du coup, on a un peu ralé et c’est l’organisateur qui s’est retrouvé à nous payer des coups en douce toute la soirée. Le mec n’a fait aucun bénéfice ! (rires)
Pensez vous qu’Atom apprécie sa place de dernier échelon de la création, d’oreille extérieure pourtant intégré au groupe ?
Guan Jay : Je pense qu’aujourd’hui ça fait largement partie de son métier, il gère ça avec beaucoup d’artistes, sur de nombreux albums. C’est aussi lui qui a mixé l’album de C2C, et il nous a déjà parlé de sa volonté future de se concentrer sur ce travail de studio.
Arshitect : Bien sûr, c’est parce qu’il nous fait confiance et qu’il aime ce qu’on fait, si on faisait de la merde, il apprécierait bien moins sa place ! (rires)
Mais je pense que, comme tu le disais, il aime bien arriver à la fin d’un projet. C’est une surprise pour lui quand il découvre le travail réalisé, et il aime essayer de bonifier le truc, le rendre meilleur pour nous surprendre à nouveau avec nos propres morceaux.
Donc il a carte blanche pour mixer et retravailler vos prods comme il l’entend ?
PermOne : Carrément ! Après on peut bien sûr revenir sur des détails qui ne nous satisferaient pas, au niveau de l’arrangement ou du mix. Mais c’est une discussion, et ces ajustements se font naturellement, les décisions se prennent assez vite.
Arshitect : Mais c’est très rare qu’on soit revenu sur un seul de ses scratches ! Et pour cause, c’est pas n’importe qui ! Et en terme d’ingé son, ça fait super longtemps qu’on bosse avec lui, donc autant les premiers morceaux il a pu avoir besoin d’un temps d’adaptation pour trouver le son qui nous convienne à tous, autant maintenant il est rodé.
Il sait qu’il peut se faire plaisir tout en restant dans les limites de notre univers musical. Et puis, on a tous des références communes dans le hip-hop des années 90 – le son boom-bap – donc c’est assez facile de contenter tout le monde.
Guan Jay : Ouais et puis le mec est rentré dans une routine ! Il se dit, allez c’est pour Soul Square, les mecs sont à moitié sourds, ça va être rapide ! (rires)
Vous parlez des influences hip-hop 90′ et pour nous ça se ressent surtout dans le grain choisi, cette texture sonore qui peut rappeler le vinyle.
Arshitect : La texture sonore vient principalement des samples utilisés. Comme on prend principalement des samples de soul ou de jazz des années 60-70, tu retrouves forcément ce grain et cette texture dont tu parles. Mais on choisit un sample pour la mélodie, plus que pour son grain, donc nous ne cherchons pas forcément à le reproduire dans nos compos.
D’autant plus que je ne suis pas puriste au point de ne vouloir absolument mixer que du vinyle. Je suis très difficile sur ce que je sample, et si je devais me contenter des vinyles que j’achète, je me retrouverais très vite limité. Surtout que c’est un budget conséquent, donc par la force des choses, je m’oriente vers des formats plus faciles à obtenir.
Il faut donc reconnaitre que le grain particulier c’est tout le talent d’Atom ! Réussir à retraiter des sons qui peuvent paraitre froids, déformés par le MP3, de les retravailler et leur redonner une chaleur et réussir à les faire passer pour des formats analogiques.
Comment s’est créé le show live ?
Arshitect : Préparer un show live c’est évidemment une méthode de travail différente que pour la compo studio. Il a fallu qu’on se réunisse sur plusieurs week ends, et comme on est un peu tous éparpillés, ce n’était possible qu’une fois par mois.
On a donc mis deux ans à le créer, puis à l’améliorer entre les lives. Créer ces morceaux-là, les tester en live, les re-modifier. Savoir quels morceaux fonctionnent, lesquels se plantent, comment améliorer ceux qui fonctionnent déjà… C’est sans fin, et le live est en constante évolution.
C’est plus compliqué de faire adhérer le public sans rappeur ?
Arshitect : C’est plus compliqué, parce que l’interaction avec le public est moindre. A la base, on est pas forcément faits pour parler au public, parce qu’on a rien à dire en fait ! A part « ça va Vesoul ?« où ce genre de trucs.
On est derrière nos machines et le public ne comprend pas toujours ce que l’on fait. Ca nous arrive de jouer de la basse, de la guitare puis de la batterie, du coup il ne peut pas se référer à l’instrument que l’on joue, pour comprendre nos mouvements. Et si on joue parfaitement une musique, sans aucun décalage, ça sonnera comme un album qu’on peut écouter dans sa bagnole, parce qu’il n’y a pas le doigté d’une main sur une corde de guitare par exemple.
Mais depuis que ces rappeurs nous accompagnent, en l’occurrence RacecaR la plupart du temps, et Jeff Spec sur ces quelques dates, c’est eux qui créent l’interaction, c’est eux que le public regarde, et ils ne restent plus focalisés sur nos mains.
Vous rejouez complètement vos compos sur les live ?
Arshitect : Sur la majorité des morceaux, on a une sorte de playback qui est joué en fond et qui nous permet de poser nos mélodies par dessus. Par exemple il n’y aura concrètement que la batterie, et nous dessus on va venir jouer tout le reste, c’est le cas notamment pour les morceaux avec les rappeurs. Ca permet de respecter des arrangements parfois complexes et un bpm parfait. Parfois on joue vraiment tout, batterie, basse etc… à la manière d’une routine, ça dépend vraiment des morceaux.
A chaque Millésime sa bouteille. C’est qui le prochain rappeur à payer son coup ?
Arshitect : On ne sait pas encore, on a fait des tests avec différents rappeurs, mais au-delà de l’affinité artistique, on a aussi besoin d’un feeling humain. Et ce feeling tu ne peux l’avoir que en commençant à travailler. Donc pour le moment on est pas sûr à 100% de qui sera le prochain.
On pensait à Fisto, au vu de vos précédentes collaborations.
Arshitect : Non, pour la série Millésime on tient à garder cet aspect anglophone. Et puis avec Fisto c’est impossible de sortir un projet en une année. Vous pouvez le mettre en gras ! (rires)
Guan Jay : À l’époque de notre collaboration, Fisto ne savait pas trop où il voulait aller, donc on a perdu beaucoup de temps, à travailler sur des choses qui sont restées inexploitées… Donc bon…
Arshitect : D’une manière générale, c’est vrai qu’on a eu moins de soucis à travailler avec des anglophones qu’avec des français. C’est une autre mentalité. En France, pour qu’un rappeur écrive un morceau, il faut qu’il soit dans des conditions optimales, une température ambiante parfaite, que ça aille bien avec sa meuf – ou au contraire très mal – qu’il ait prit un bon petit déjeuner et fumé de l’herbe fraîchement importée… C’est chiant.
Allez dernière chance, Raashan Ahmad ?
Arshitect (surpris) : Alors ça ne se fera pas… parce qu’on a déjà bossé ensemble et ça s’est mal terminé. C’est ça aussi les américains, eux sont très rapides à faire des projets, et se retrouve à boucler un album en un mois. Mais la qualité n’est pas forcément au rendez vous, et Raashan Ahmad a préféré sortir un morceau enregistré sur une de mes prods non arrangée, non mixée en MP3 dégueulasse plutôt que la version mixée et arrangée : « Ah bah je préférai la première version, je pensais pas que ça te gênerait ». Donc ce ne sera pas lui non plus, même si il est effectivement très talentueux.
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