Damso, padawan du 92vie

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A l’ombre de la Menace Fantôme, Maître Yoda rappelle l’immuable règle, « Toujours par deux ils vont. Ni plus, ni moins. Le maître et son apprenti. » Le Jedi et son Padawan, Booba et Damso.

92i. Une entité presque aussi vieille que la carrière de celui qui l’a fondé, une entité continuellement mouvante, changeante, voire instable, une entité au destin parfois funeste, une entité irrémédiablement liée à Booba et à la manière dont il marque depuis deux décennies l’histoire du hip-hop hexagonal. Les prémices avec Lunatic et Malekal Morte, l’affirmation d’une équipe constituée uniquement de numéros dix, le légendaire trio avec Mala et Bram’s, la mort de ce dernier, les échecs à répétition des nouveaux entrants, aujourd’hui l’émergence d’un quator prometteur, le label se voit auréolé d’une histoire en dents de scie. Pourtant, il semble désormais renaître plus fort que jamais, et ce au travers de l’avénement de Siboy, Benash, Shay, et désormais Damso. Sous l’œil du Duc qui semble s’investir d’une nouvelle mission, celle de producteur à part entière, les 4 protagonistes construisent leur propre univers, leur propre imagerie dans la direction qu’est celle du 92ième régime d’infanterie. Or, celui qui comme Maître Yoda a toujours donné « de la force aux chiens de la casse » a trouvé en son sein un digne successeur, l’héritier du duché, un rappeur à la hauteur pour reprendre le flambeau et non pas mimer ce qui a pu être fait, mais plutôt le réinventer. Damso, c’est ce Skywalker à qui Maître Booba pourrait dire « Luke, quand je ne serai plus, le dernier des Jedi tu seras. »

Pinocchio, c’est cette poupée de bois créée par Geppetto qui à chaque mensonge voit son nez s’allonger, cette poupée de bois qui après de nombreuses aventures se réveillera en véridique petit garçon. « Pinocchio« , c’est aussi ce morceau qui verra le talent d’un rappeur à chaque phase se confirmer, ce morceau qui après de nombreuses lectures en fera de l’écurie du 92i, l’iconique étalon. Encore inconnu du grand public, le jeune rappeur belge y délivre un couplet d’une rare violence, millimétré et précis, annonçant l’inévitable déferlante du « Capitol 92i nouveau flow noir » et où il prévient magistralement « t’as micro-pénis donc tu n’es pas de taille » avant de le signer adroitement et d’instituer dans les esprits un nom, le sien, Damso.

Si le rap game est un sabre laser, Damso considère qu’il a la Batterie Faible, et est bien décidé à venir la recharger par un apport artistique novateur et un talent certain. Beatmaker avant d’être rappeur, membre fondateur du crew bruxellois OPG, celui qui a intégré le 92.i n’en oublie pas pour autant ses origines, et multiplie les références à son groupe à qui désormais le « game appartient ». Une manière de concevoir le rap où fidélité, intégrité et partage sont érigés au rang d’évidence. Ce sont ces mêmes valeurs qui sont constamment mises en avant dans l’album par les nombreuses références à celui qu’il érige en véritable mentor : Booba. Lucide sur les raisons de son succès, ou tout au moins de sa mise en lumière, il témoigne tantôt humblement « Pas de meilleur appui qu’un feat légendaire, J’te le dis, c’est pas tout seul que je me suis fait » tantôt de manière plus egotrip puisqu’il a mis « le rap français K.O. en un seul feat ».

Ainsi, il conçoit le rap comme une affaire de famille, mis en avant par le patriarche il rend la pareille à son équipe du 92.i et à « Siboy, Shay et Nash, [il] transmets mes amitiés, Négro j’viens de tout officialiser ». Insinuant dans son univers l’imagerie de ses comparses, il rêve de « jolies garces comme dans la team de Shay » et « cagoulé (s)’la joue S I bo Y » pour commettre son crime lyrical. Et si comme l’élude Maître Yoda, « la peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine … mène à la souffrance. » c’est bel et bien cette souffrance qu’il a connue qu’il souhaite aujourd’hui éviter. Le morceau final où Lio Brown son ami de toujours du OPG vient l’accompagner au refrain est l’illustration même de cette peur de la traîtrise, cette peur d’être confronté à un Iscariote dans sa propre équipe, un Judas qui pourrait le vendre pour une poignée de pièces, alors « dans la haine [il] médite, rallume bédo de beuh pour éviter de broyer du noir » et de s’enfoncer vers le côté obscur d’une Force nouvellement acquise à renfort de 92i-chloriens.

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La filiation avec Booba se fait parfois criante, tant Damso s’érige en véritable héritier de cette patte si caractéristique qui auréole le rap du DUC. Nombre des morceaux de cet album sont ainsi directement dans la lignée de ce que peut faire son aîné. Son mode de vie excessif est exacerbé à de nombreuses reprises, créant un univers brut et violent qu’il excelle à dépeindre. Les plaisirs charnels dans ce qu’ils ont de plus crus sont mis en exergue par la Damsodomie, « [sa] gaule rêve de trouver sa Cléopâtre » puisque elle se fait « avocate du diable, elle [lui] donne le barreau ». La fumée, l’alcool et la consommation de drogue se font omniprésentes dans son Quotidien de Baisé, nourri de « drogue douce de la Goose à la douze » il avoue même de manière lancinante et presque sur le ton de la confession sa paradoxale Peur d’Être Sobre. Un registre dur et excessif qu’il renforce par l’utilisation de métagores renouvelées, toujours plus violentes, s’affirmant véritable tueur en série lyrical face à « ces fils de putain [qui] veulent pas qu’on sorte du trou (fuck Mélissa, Julie) ». Le maître n’a qu’à bien se tenir, l’élève vient user de sa propre figure de style afin d’affirmer l’assimilation de son héritage.

Cette filiation peut néanmoins déranger tant elle se fait criante jusque dans l’écriture du rappeur, et à voir les similitudes entre les plumes, on pourrait presque oser se demander si pour permettre à son poulain de briller, Booba n’aurait pas pu ghostwriter certains morceaux. Ainsi, le très bon BruxellesVie aurait pu être écrit par le DUC lui-même, tant l’utilisation des hashtags en fin de phrases pour appuyer la rime, les innombrables références à son univers, notamment au travers des clins d’oeil à Star Wars, ou le name dropping comme moyen de clash sont autant de similitudes qui font planer l’ombre de Boulbi. Celle-ci se retrouve sur d’autres morceaux où les schémas de vers minimalistes, la redondance de rimes plates et simples, la succession de phrases courtes et percutantes sont caractéristiques de sa sombre plume.

Damso est cet indéniable Padawan qui en rechargeant la Batterie Faible du game, réalise l’album que Booba n’aurait pu faire. Par cette capacité à chanter sans, ou avec très peu d’autotune, il poursuit la direction prise et la transcende. Le morceau Amnésie est symptomatique de cette direction artistique. Mystérieusement doublé et backé par une voix qui pourrait bien être celle d’Elie Yaffa, il réalise le storytelling que B2O ne pourra plus jamais se permettre, et atteint ainsi une quintessence certaine.

« N’essaie pas ! Fais-le, ou ne le fais pas ! Il n’y a pas d’essai. » A la manière d’un Maître Yoda inculquant à Luke cette vérité lourde de sens, on ne peut imaginer Booba qu’encourageant Damso à dépasser cette filiation, cet héritage, et bel et bien mettre en lumière tout son talent dans son entière singularité. Ainsi, le rappeur belge n’hésite pas à prendre des risques et à réaliser des morceaux ô combien audacieux, mais réussis. Il réalise ainsi un véritable track de club, des plus dansants sur fond de « Sombre », histoire de règlement de comptes entre négros armés et youv’ trop écoutés, où une fois de plus « tout est bressom, tout est black black ». Mais c’est dans sa pleine capacité à dépeindre son passé, ses ambitions, ses désirs et finalement sa pensée jusque dans son substrat idéologique que Damso se montre le plus complet. Peignant ce que fut sa vie avant le succès, celui qui avoue qu’à « la rue, [il] était locataire » raconte la misère, la galère, les déboires d’une jeunesse attirée inlassablement par l’illicite au péril de sa vie. Omniprésente mélancolie, le rappeur évoque l’écoute d’Agnès Obel pour sortir de sa léthargie et ne plus penser à un quotidien qui le détruit. Inlassablement obsédé par le temps qui passe, Damso voudrait sauver ceux qu’il aime et se lance en quête des Graines Du Sablier.

Relatant son enfance dans son Congo natal où « Les tirs de kalash [l]’empêchaient de rêver, rebelles ennemis armés dans les parages » il rend hommage à Patrice Lumumba, père de la nation congolaise, et se dit également prêt à se sacrifier pour sa famille, prêt à se sacrifier au nom d’une quête plus grande que lui. Sur fond de questionnement constant, l’introspection atteint sur ce morceau son paroxysme et démontre toute la polyvalence du belge, et de fait son talent émergeant dans cette sincérité non cachée. Si la question des attentats perpétrés par Daesh en France et le traitement qu’en avait fait Booba dans un de ses textes avait suscité une polémique, Damso n’hésite pas lui aussi à revenir dessus. Partageant le point de vue de son aîné, il l’amène d’une manière peut être plus subtile, mais surtout met en exergue les conséquences directes qu’ils ont eu dans l’exacerbation d’une haine de l’autre, et ainsi se dit « seul dans le coin, accusé à tort, je suis ni Charlie ni djihadiste. Maîtresse m’en veut car je suis noir comme Dark Vador. Maîtresse est-elle raciste ? ». Un questionnement amené de manière presque enfantine, mais ô combien révélateur de l’ambiance nauséabonde qui s’est installée et qu’il fustige au travers de ceux qui « sont venus piller comme Luc Michel » homme politique d’extrême droite belge ouvertement néo-nazi. C’est cette capacité à être en phase avec son temps et son histoire qui clôt l’album lorsque il affirme «J’suis plus Mohammed Ali que Cassius Clay ».

Les 92i-chloriens ont mené Damso sur le chemin de la Force, en emboîtant le pas de son Maître, il marche sur le sentier de la légende. Avec cet album complet et varié, dur et réfléchi, il s’affirme comme une pièce maîtresse du label de Kopp. Ce dernier pourrait une fois de plus se grimer en Yoda, et le rejoindre dans cette dynamique de passage de flambeau en lui empruntant ces quelques mots : « Robuste je suis grâce à la Force, mais pas à ce point-là. Le crépuscule m’envahit et bientôt, la nuit va tomber. Ainsi vont les choses. Ainsi va la Force. ». Si pour la créature verte, le crépuscule signifie la fin de son histoire, il n’en est rien pour Booba. Les similitudes dans leur manière de manier la plume-laser laissent à présager que l’art martial qu’est la métagore a encore de longues heures devant lui. L’avènement de son digne successeur lui permettrait une forme de renaissance, et ce crépuscule ne serait qu’une nouvelle aube dans sa carrière. Après quelques ultimes coups d’éclats lyricaux, celui qui étend désormais son empire sur les ondes pourrait, du haut de son trône, s’affirmer comme producteur et maître d’un label des plus prometteurs, et ainsi poser la plume au profit d’autres ambitions posthumes. Pour ce qui est de Damso, Padawan devenu Jedi, une seule expression résonne dans la galaxie rap, « Débrouillard (Que la Force soit avec toi) à jamais ».

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Théo

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