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Date de Sortie : 15 Juin 2018
Label : 92i / Capitol Music France
Production : DSK On The Beat, Benjay, Junior Alaprod, Ikaz Boi, Nk.F, Ponko, Pyroman, Twinsmatic…
Featuring : Angèle
Puisque la langue française adore les dictons et que « deux avis valent mieux qu’un », nous avons proposé à trois rédacteurs d’écrire, parfois dans la douleur, ce qu’ils pensaient du nouvel album de Damso. Trois avis pour autant de chroniques, contradictoires ou complémentaires, afin d’explorer l’un des albums les plus attendus de l’année.
Entre Ipséité et Lithopédion, Damso a continué à beaucoup faire parler de lui. Volontairement parfois, avec une stratégie de communication qui a poussé son public à la recherche, mais aussi involontairement, avec toute la polémique qui a suivi son éviction de la confection de l’hymne belge pour la coupe du monde.
Malgré tout cela, sur ce nouvel album, le rappeur du 92i reprend là où il s’est arrêté. La teinte du disque est très proche de celle du précédent, même si Damso pousse clairement plus vers la chanson, et effectue quelques tentatives audacieuses (on pense notamment à la production d’Aux paradis). La formule reste aussi la même : toujours possédé par l’obscurité de son époque, Damso se donne pour mission de l’absorber pour tenter de lui donner forme. Ne pas hésiter à se salir pour mieux désigner les maux qui hantent sa génération.
Le premier problème, c’est que la formule commence à sembler un peu systématique. Après la violence psychologique d’Amnésie, le délire psychanalytique d’une Ame pour deux, Damso se met cette fois dans la peau d’un pédophile avec Julien. Le morceau Monde donne lui aussi naissance à une flopée de chansons. Tandis que le délire nwaar se répercute lui aussi sur plusieurs titres, dont Baltringue. On peut y voir une forme de cohérence, une capacité à pousser toujours plus loin chacun des aspects qui font sa personnalité. Mais c’est parfois l’aspect redondant qui prend le pas sur ce qui aurait pu être une qualité. Cette manière incessante de verser dans l’outrance, même si elle est honnête et utile dans son œuvre, semble parfois forcée et peut rapidement fatiguer l’auditeur.
Il serait toutefois malhonnête d’accuser Damso de refaire toujours le même album, tant on sent qu’il fait des efforts à se renouveler dans ses thématiques, comme dans la manière de les aborder, ainsi que dans son interprétation. On relève tout de même un certain nombre de morceaux chantés assez réussis, sans être des tubes évidents. Ce qui démontre aussi que sa démarche artistique ne souffre d’aucun cynisme. Damso essaye certes d’aborder des terrains plus pop, mais Litophédion n’a rien d’un album qui cherche les tubes. On a affaire à un disque sans concessions.
La violence contenue dans le disque le prouve d’ailleurs assez clairement. Mais cette brutalité verbale est aussi l’une des problématiques du disque. Qu’elle soit physique ou psychologique, elle est toujours complexe à manier dans une œuvre d’art, que ce soit dans la littérature, la musique, ou le cinéma. Certaines œuvres tombent parfois dans le grotesque en jaugeant mal la distance à laquelle se placer, et c’est aussi un peu ce qui arrive à Damso, que ce soit au détour d’une phrase mal dosée, ou au cœur d’un morceau complet, à l’image de « Julien ». L’audace des tentatives du rappeur belge est salutaire, mais échoue parfois à trouver le bon ton. Face à la morale ambivalente de cet album, on ressent parfois de la gêne, voir de l’agacement. Mais c’est aussi sa principale qualité, et ce qui fait son identité. Il parvient à saisir une partie de la noirceur de son époque, et à l’incarner, hélas, parfois de manière trop bancale. On préfère ses albums à ceux d’un rappeur moralisateur qu’on ne sentirait pas toujours sincère, mais ce qu’on découvre derrière est parfois assez glaçant et nous met face à nos contradictions. Malgré les maladresses que peuvent contenir son œuvre, cet aspect-là est ce qui rend sa démarche pertinente, autant que dérangeante à l’écoute. A chacun de choisir son camp.
Photo : Colin Delfosse
Si Ispéité a fêté sa première bougie, on ne peut pas dire que Damso ait chômé sur cette dernière année. Celui qui décrivait son premier disque d’or comme un succès d’estime, a depuis connu le grand public, le triple platine et la polémique. De la folie « Macarena », aux querelles sur l’hymne des Diables Rouges, Damso, aidé par un relai médiatique dévoué et par la hype sans précédent entourant le rap belge a su occuper l’espace, trouver un nouveau public, et entretenir l’attente de son troisième album. C’est en ayant déjà gagné la bataille que Damso, sort donc Lithopédion.
La pochette suffit presque à elle seule à décrypter la volonté inhérente à l’œuvre du rappeur. Un œil noir ouvert sur le monde et ses vices, une galaxie tout entière dans l’iris. Si dans ses précédents projets, Damso exprimait l’intime pour mieux toucher l’universel. C’est sur ce troisième album principalement en tant qu’observateur que l’artiste se place. Le belge, déclarait d’ailleurs en interview, avoir cherché l’inspiration en sondant la nature humaine pour en analyser les penchants les plus sombres et dérangeants. Si il continue de manier ses thèmes fétiches – la complexité des relations hommes femmes, l’égoïsme de l’époque, l’amour impossible – et proroge la litanie de ses addictions – au sexe et à l’argent principalement – Lithopédion est l’occasion d’exprimer de nouvelles inquiétudes et d’aborder d’inédites thématiques. La « peur d’être père », s’est confirmée et Damso se veut déjà nostalgique de l’époque « Débrouillard », face à une célébrité pas si soudaine, mais difficile à gérer.
Damso n’est plus le même et il le sait. Pourtant, presque pour se persuader du contraire, l’album s’ouvre à l’exact endroit où le précédent s’était clôturé. Appareillé et à bout de souffle, Damso nous crache à fleur de peau sa frustration brute dans une très convaincante « Introduction ». Le ton semble donné, le formule reste la même, fidèle au personnage. A tel point, que l’on pourrait croire Lithopédion et Ipséité sortis d’un même moule. Construit autour du même squelette, enchainement méthodique d’une recette qui a fait ses preuves, les titres semblent se répondre, donnant parfois un sentiment de redondance malvenue. « La peur d’être père » à laissé place à un « Noir Meilleur » et lorsqu’Ipséité questionnait Damso en lui demandant « Kietu », Lithopédion répond sobrement « William ».
Même « Amnésie » et « Julien » semblent utiliser les mêmes ficelles. Musique douce pour thème horrible. Ce dernier morceau semble d’ailleurs astucieusement placé pour être le cheval de Troie de l’album. Attirant les regards, les louanges ou les polémiques. Face à ce titre, les réactions ne se sont d’ailleurs pas fait attendre. La fanbase encensant la prise de risque, quand les médias plus généralistes, voulant faire preuve pour une fois d’ouverture d’esprit marginale, nous explique que si un auditeur est choqué par ce texte, c’est qu’il pense que le rap ne devrait se limiter qu’à Big Flo et Oli, le cerveau étriqué par la bienséance. Sauf qu’il ne s’agit pas de ça. Là où « Baltringue » touche sa cible en plein centre, symbolisant l’époque grâce à l’universalité de ses lignes, « Julien » aborde un thème sociétal complexe de façon bien trop superficielle. Si le sujet des pédophiles « vertueux », les personnes souffrant de pédophilie, conscients de leur problèmes, acceptant les traitements, et se refusant résolument à ne jamais mettre en œuvre leurs fantasmes, est un vrai sujet de société comme l’explique le rappeur en interview : «Quand tu nais pédophile, tu es considéré comme une erreur par la nature ou par la science pour quelque chose que tu n’as pas forcément choisi (…) Ils sont parmi nous mais on ne trouve pas de solutions médicales pour ceux qui le sont.», le traitement de la thématique par Damso est en réalité profondément malsain et dérangeant.
Justifiant la pédophilie de Julien, par une « taille de pénis méprisée par dame nature », le protagoniste semble se tourner vers les enfants par rejet du monde adulte. Outre ces aberrations, Julien ne se contente pas d’imaginer ses vices, mais les réalisent. « Julien vit ses vices et sévit sans se faire prendre ». Dès lors la chanson prend une autre tournure. Là où un Rochdi sur le même thème, réussit par la violence brute de son vocabulaire, à interroger l’auditeur sur ses propres limites morales, le poussant consciemment ou non à les affermir, Damso lui, sans réel positionnement, se contente de décrire « prépuces venimeux » et « actes peu sages », ne justifiant pas, mais banalisant bien malgré lui la pratique. La faute à un vocabulaire lisse et fade, oscillant entre dureté du propos et absence de jugement moral. Il serait alors trop facile, de se cacher derrière une filiation probable aux textes polémiques de Gainsbourg, pour justifier la liberté d’expression dont dispose le rappeur. « Si Annie aimait les sucettes » en 1966, c’est sans finesse aucune que « Julien aime les gosses » en 2018.
Si la noirceur de Damso est évidemment toujours présente dans ses thèmes, elle prend des formes plus singulières et le rappeur s’exprime sur Lithopédion dans un registre chanté de façon plus radical que sur ses précédents projets. Sans concession, le disque exploite des sonorités nouvelles comme sur l’étonnant mais réussit « Paradis ». La musicalité semble avoir prit le pas sur la noirceur du propos, les plus critique évoquant un mauvais mixage de l’album pour justifier ce choix. Mais c’est surtout le vocabulaire de Damso qui a le plus évolué. Conscient de son succès et de son impact, ses mots se sont dilués, lissés. Et avec le recul, il apparait assez clairement, qu’il existe un avant et un après « Macarena » chez Damso. Le rappeur ayant d’ailleurs déclaré en interview que le morceau aurait sans doute été matraqué d’avantage sans la phrase « Rappelle-toi quand t’avais des courbatures, j’t’avais bien niqué ta race ».
Celui que personne n’attendait il y a encore quatre ans, est devenu fer de lance du rap mainstream sans avoir rien fait pour. Dans ce nouveau rôle Damso se cherche, et parfois s’égare. Lui qui n’avait pas vocation à représenter qui que ce soit, sent désormais sur ces épaules le poids d’un succès, logique et mérité, mais terriblement difficile à entretenir et à gérer, l’empêchant souvent de développer les thèmes comme il devrait. L’empêchant de faire du sale. Même si c’est toujours Dems.
Soutenus par le bruit mécanique du respirateur artificiel et la mélodie monotone de l’électrocardiogramme, reprenons là ou l’on avait laissé Dem’s. Reprise agressive. Nous ne saurions qu’être surpris par le kickage frénétique que nous offre Damso sur l’introduction. C’est prometteur. L’esprit semble préservé. Les meubles sont saufs. Festival de rêves ouvre d’autres horizons, mais après tout, c’est aussi cette hétérogénéité que nous apprécions chez l’artiste belge. Jusqu’ici, tout va bien. Un Baltringue assassin nous laissera le même ressentiment. Les thèmes semblent récurrents. Sans doute trop pour certains. A ce point que l’on pourrait se demander si Lithépodion est un album à part entière ou une simple continuité à Ipséité. Après tout, rien ne semblerait moins surprenant que ce nouvel opus soit en réalité l’album oublié dans la boite du cédé. Un truc qu’on aurait zappé trop assommé par la claque précédente.
Arrivons donc au morceau le plus clivant de l’album. Sur un Julien somme toute Gainsbourien pour le goût. Certains y verront un véritable blasphème, mais une palanqué en conviendront. La question qui se pose ici est la suivante : La paternité donne-t-elle une légitimité à aborder certains sujets ? Les chemins de vie forgeront les avis.
Feu de bois et Même issue viendront confirmer nos doutes et prêcher les convaincus. Damso nous ressert la même soupe. Mais elle est pas dégueu. Simplement, pas assez surprenante. Et le niveau atteint se doit d’étonner afin d’apporter un certain crédit à ce rap. Autant Batterie Faible et Ipséité furent deux grosses bombes, autant la calcification du Lithopédion parait de trop. Reste à savoir pourquoi cet album fut fait de cette manière. Le teasing mystérieux aidant, tout à chacun s’attendait à un gros truc étonnant, fusant dans tous les sens par une lourdeur conséquente. D’autant qu’il est inutile de chroniquer le reste des morceaux, tant le phénomène de rebond se ferait sentir. « Merde, j’ai déjà entendu ça… ».
Que reste-t-il donc de nos premiers amours ? Et bien tout. Parcimonieusement réparti. Comme si Damso, au delà de nous montrer l’étendue de ses talents, souhaitait se voir adoubé par le grand public d’une certaine forme de légitimité, prouvant au monde qu’il peut tout faire. Et soyons honnêtes, il en est capable. Reste à savoir à qui de destine cet album. A un public déjà conquis ? Ou bien est-ce une carte de visite ? Dans les deux cas, c’est une réussite. Mais que nous réserve l’avenir Damsoninen ?
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