Pour beaucoup, nous y compris, l’année 2018, fût marquée en France par d’excellents projets. De Alph Wann à SCH en passant par Joe Lucazz, Grems, Isha, Dinos, Maes, Damso, Veerus, Di-meh ou 13 Block… C’est parce que tous s’accordent sur ces grands noms que nous avons décidé, en guise de dernier clin d’œil à l’année qui vient de s’écouler, de mettre en avant 10 albums francophones que l’on a pas, ou peu, vu dans les bilans des différentes rédactions. Pépites under ou coup de cœur plus personnels, voici notre sélection :
YURI J – Texas Tea Volume 2
Quand on parle de soundcloud rap en France, on pense souvent aux artistes de la sphère 667. Pourtant de nombreux autres rappeurs s’épanouissent sur la plateforme, sans pour autant avoir le droit à la même exposition. Parmi eux, Yuri J propose un rap qui peut s’en rapprocher, sans pour autant se noyer dans les clichés du genre. Sa musique use du même type d’artifices : filtres passes-hauts, réverbération, et autres effets voués à créer une atmosphère hallucinée. Pour autant, il ne se contente pas de réaliser une pure musique d’ambiance et rappe aussi avec un certain sens du kickage. Son écriture est imprévisible : les métaphores et les brusques prises de conscience y pleuvent et s’emmêlent avec des éléments de pure imagerie rap. La drogue s’y dissimule partout, sous un angle plus claustrophobe. Tout son style semble construit sur des instants de clairvoyance éphémère, contrebalancés par des refrains qui virent parfois vers les bugs cérébraux. Le ying et le yang. Nadsat
LK DE L’HOTEL MOSCOU – Nuits Mauves
On commence à bien connaître Laurent Kia pour ses albums ultra-construits (San Fransisco, Orient Eights, Xanadu), mais son côté plus direct est moins exposé. LK a pourtant pris l’habitude d’offrir quelques aérations à ses auditeurs avec des mixtapes moins encadrées, mais tout aussi travaillées. Nuits Mauves est sa dernière livraison. La rappeur basé à Londres brille toujours autant pour dénicher des concepts de chansons ingénieux sans jamais virer dans le tout-expérimental. Sa musique reste avant tout cloud, notamment dans les refrains et les choix de production, à l’image du morceau éponyme, mais peut aussi prendre des aspects survitaminés, comme sur « Waka Flocka » ou « Feuilles Bleues ». Sur ce Nuits Mauves, Laurent Kia prouve une nouvelle fois qu’il est un des rappeurs les plus fins de France. Il est polyvalent, sais capter des émotions complexes et les rendre accessibles à tous, sais développer, travailler, et tenir des concepts originaux pour parler de la société ou de la religion, en le mettant toujours en relation avec l’individu. Et plus le temps passe, plus il devient complet, notamment sur l’aspect purement musical. Cette mixtape lui sert également de terrain de jeu, et lui permet d’expérimenter de nouvelles palettes de flows, et de libérer un peu plus ses refrains. On ne saurait donc que trop recommander ce nouveau projet, tout en vous incitant à revenir à ses albums dont la replay value est maintenant confirmée. Nadsat
FREEZE CORLEONE – Project Blue Beam
« J’sais que j’vais brûler ». Comme le fumigène à ses lèvres, Freeze arrive sur le terrain en marmonnant des phases grattées entre deux xans et trois teh. Le plus grand porteur de « Aka » du rap français brûlera un jour sur l’autel de son rap mais là il débarque entouré de ses mangemorts, de ses pirates, de ses créatures rencontrées sur un océan de lean. « J’suis comme un océan, t’es comme un gros verre d’eau », le yung Tom Jedusor nous fournit 11 titres d’un concentré de vices et de bêtes noires. Backs, adlibs et skurts font fleurir les rimes comme si elles sortaient tout droit de l’enfer, noires et scintillantes. Le flow du Chen Zen est égrainé et confortablement installé sur les instrus de producteurs de choix. Médusa sur les claquettes, « tatoué comme un MS-13 » et surtout sans Philip Plein, Freeze a durablement installé son personnage sur l’échiquier souterrain des butés au rap français. « J’garde mon sang froid comme si j’suis un reptilien en hypothermie qu’habite dans la neige. » En flow, il accumule 4 océans quand les autres n’ont que 3 canettes. Freeze est loin, très loin, et nous a tous cassé la nuque. Un premier album explicite et hautement précis. « Argent, sexe, drogue, complot, c’est obsessionnel ». God bless le King Corleone et mort au complotisme. Maëlle
MOÏSE THE DUDE – Keudar
Lui aussi commence à être un habitué de nos bilans. Véritable « Dude » de l’underground, Moïse cumule depuis quelques années projets surprenants et réalisations abouties. Entamé avec son premier album « Dudelife », le rappeur a continué en 2018, avec Keudar, à prendre le virage surprenant de l’introspection et se livre en toute simplicité, nu sous son peignoir blanc. Textes personnels et références égocentrées, Keudar est une ballade nocturne aux allures de purge. Moïse y met à mort une partie de son univers, et la femme renarde, personnage que les habitués ont appris à connaître et apprécier, disparaît peu à peu dans un brouillard d’ivrogne, au fur et à mesure que les vapeurs de vodka et de kahlua s’échappent de son grand verre de russe blanc. Qualité des jeux de mots, sens du placement, l’univers lancinant et violent du Dude ne cesse de s’étoffer dans cet album concept. Pour la première fois, Moïse the Dude se tourne vers le futur, concluant l’album dans un élan d’optimisme touchant : « J’ai l’amour et l’amour comme seuls idéaux ». Nous aussi on t’aime Dude. Florian
LA HYENE – Thugz Mixtape
Cela fait bon nombre d’année que La Hyène traine sa ganache et sa voix r(a)ocailleuse dans les dessous de l’underground du rap français. Aboutissement de tant de temps passé dans l’ombre, Thugz Mixtape à marqué 2018 aussi sèchement qu’un coup de matraque de Benalla. Dès le titre, l’univers était posé. Le rappeur avait promis de faire le rap que plus personne n’ose faire. Un rap sans concession, sombre, violent, hardcore, noir, aux antipodes de la zumba et lyricalement sans pitié. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le rappeur de 94 Records a tenu promesse. Dès l’intro, et le titre « Hagra », le membre émérite des 400 hyènes nous le rappelle : « Si tu kifs le zouk-rap, la zumba-rap, tout ça là, barre toi avant que ça commence ». La messe est dite. S’en suivront 15 titres, parfois inégaux, pour plus d’une heure de sons, toujours sans concessions. Rappelant un temps où les quartiers achetaient plus de Lacoste que de Philip Plein, La Hyène a refroidi l’année rap aussi surement qu’une levrette de Sub Zero. Thugz mixtape nous a accompagné tout au long de 2018. De quoi attendre patiemment la nouvelle gifle. Florian
ROUQUIN – Le Meilleur des Mondes
Les plus assidus chineurs le savent bien, la Normandie regorge de talents cachés et de pépites rapologiques camouflées. C’est le cas de Jean Baptiste, auteur, compositeur et interprète depuis plus de 20 ans. Découvert, grâce à Vîrus, sous le pseudonyme d’Un sale Noir il y a quelques années, Jean Baptiste revient depuis 2017, au commande d’un groupe de rap progressif intitulé Rouquin. Un premier projet nommé en référence à Huxley, pour une atmosphère poisseuse, noire et sans espoir. Évoluant au cœur du désastre contemporain, Jean Baptiste distille d’une voix rauque ses textes à la métrique déstructurée sur des batteries lourdes et arythmiques. Laissant dégouliner son flow à la manière d’une logorrhée, retenant ses mots, les mâchant presque, explorant le paradoxe du progrès scientifique, enfermant les hommes dans leurs conditions, les contraignant dans leurs rôles bien plus qu’il ne les libèrent, Jean Baptiste se fait observateur d’un monde qui brûle. Éventration plus qu’introspection, le rappeur réussi à la manière d’un Vîrus ou d’un Barabara, à transformer un tourbillon de douleurs et de peines personnelles en l’évocation d’une dépression contemporaine universelle. Baptiste Jean Kubrick Stanley, signe une épitaphe du meilleur des mondes. Florian
ZUUKOU MAYZIE – Jmuaz
Si on avait déjà bien rigolé en 2017 avec les EP’s Finder et Disneyland, Zuukou Mayzie nous a lâché un projet qui a réchauffé notre fin d’année. Le farceur, et autoproclamé BG de la secte 667, a sorti la suite logique de ses pérégrinations intitulé Jmuaz. Toujours aussi sûr de lui Zuukou s’aime et nous le fait savoir. Reprenant sa recette désormais célèbre, faites de zouk et de langage codé(iné), diluée au dancehall ou à l’électro-pop, le troubadour roule à fond sur l’autoroute du succès au volant de son Pussy Wagon. Un peu perché, gentiment séducteur et toujours salement inspiré, le rappeur met un point d’honneur à ne travailler qu’en cercle fermé. Lala Ace et Freeze Corleone, sont les seuls jugés dignes de l’accompagner dans les 29 petites minutes que dure ce road trip halluciné. Si le lascar et son rap se font encore rares, avec des projets aussi originaux et réussis ça ne devrait pas durer. Maëlle
VEENCE HANAO & LE MOTEL – Bodie
Les soucis de santé de ce cher Veence Hanao ont bien failli lui coûter sa carrière. Souffrant de problèmes d’audition et d’acouphènes handicapants, le (plus si) jeune belge s’était, depuis 2015, éloigné des studios et du microcosme du rap francophone, jusqu’à presque totalement disparaître des radars. Autant dire que d’avoir la chance de réentendre en 2018 Veence Hanao sur tout un projet est déjà un petit miracle en soi. Alors qu’en plus le tout se cuisine sur les bons beat du Motel, aka le beatmaker du tout Bruxelles, on se hâterait bien vite de crier à l’EP de l’année. Dès le premier titre, Veence nous plonge, ou plus précisément, nous noie, dans un spleen épais, une douleur étouffante. Véritablement déchirant, Bodie nous emmène dans les recoins d’âme du Bruxellois, où la survie, entre cynisme et cirrhose, n’est plus qu’une routine parmi tant d’autre. Disque atmosphérique douloureusement intime et toujours aussi finement écrit, Bodie nous éloigne de Veence pour nous rapprocher de Vincent. Une parfaite réussite pour le retour d’une plume qui nous manquait franchement. Florian
ZIPPO – Zippo contre les robots
Soyons clair, « Underground » en 2018, ne veut plus rien dire dans le rap français. Si la qualité ne s’est jamais mesurée grâce à la renommée, il est pourtant assez rare qu’à ce niveau de notoriété, un rappeur s’approche si près de l’album parfait. Avec un album concept maitrisé de bout en bout, dans Zippo contre les Robots, Zippo nous entraine, entre sujets futuristes, et réflexions actuelles, dans un univers Orwellien grandiose et assumé. L’intelligence artificielle, les voitures sans pilote, la conquête de Mars, les catastrophes naturelles, le réchauffement climatique, le Greenwashing et la mode du bio, la prolifération des robots et autres supersoldats, la surpopulation, la surconsommation et la gestion des déchets… tout y passe et sous la plume de Zippo, ces problèmes planétaires se magnifient. Sans tomber dans le survivalisme, armé d’un solide cynisme et d’un sens de la poésie inné, le rappeur nous offre une vision globale de l’époque entre pessimisme et refus absolu de se résigner, et réussi étonnamment sur tous ces sujets, à être pertinent. Accompagnés de nappes synthétiques brumeuses et de beats vaporeux, Zippo a réalisé un tour de force, un album à mettre sur la table de chevet de tous les amoureux de Phillip K. Dick ou d’Aldous Huxley. Florian
GREEN MONTANA – Orange Métallique / Bleu Nuit
Green Montana, c’est d’abord au détour d’une phase d’Isha qu’on l’a découvert : « J’entend du bruit en bas de chez oim, y’a Green Montana dans la gova ». Mais qui est cet illustre inconnu qui se fait name dropper sans pression par l’un des meilleurs rappeurs de la scène francophone ? Issu du soundcloud game (encore), Green Montana rencontre Isha par l’intermédiaire de son cousin Chico Montana. Dès les premières écoutes, celui-ci tombe sous le charme de son univers musical. Et il y a de quoi : productions toujours au top, flow travaillé entre rap et chant, toujours parfaitement maîtrisé, Green a clairement tout d’un grand nom en devenir. En 2018, il sort deux mini-projets, Bleu Nuit et Orange Métallique (2×2 titres), privilégiant la qualité à la quantité, et on ne va pas s’en plaindre. Production aériennes, ambiance nocturne et enfumée, clairement si ya pas Green Montana dans ta gova pendant tes zones, tu rates un truc. C’est 4 titres, c’est dans le tout haut du panier, donc passe pas à côté et garde un œil dessus pour 2019. En tous cas nous on surveille ça fort. Charlem
Share this Post
- 2018 : 10 albums que l’on a trop peu vu dans les bilans - 9 janvier 2019
- 3 avis sur « Lithopédion », le nouvel album de Damso - 18 juin 2018
- Haroun, quelques nouvelles du front - 24 mai 2018