2014, le Wu est mort

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Gravé dans le marbre pour l’éternité, le Wu-Tang Clan reste le symbole de ce que le rap a pu offrir de meilleur, de ses classiques en collectifs 36th Chambers et Wu Forever aux premiers solos de ses membres, une patte et un style indélébile qui aura profondément marqué des générations d’écouteurs, et influencé bon nombre de MC’s et de beatmakers. A contrario, le Wu-Tang Clan c’est aussi une incompréhension, une vision artistique qui au bout du compte s’est effritée, pour devenir un laboratoire expérimental pour RZA. Conçu comme un posse et donc sans tête dirigeante, le Wu-Tang Clan a mué pour devenir l’entreprise d’un homme devenu trop mégalomane pour accepter ses erreurs, continuellement adoubé par une fan base d’irréductibles : RZA n’a que faire des critiques. Il est au-dessus et ne semble pas vouloir regarder au-delà de ses manettes.

Et même quand, en 2007, Ghostface Killah et Raekwon menacent de faire un album du Wu-Tang sans le chef du laboratoire suite à l’échec de 8 Diagrams, RZA décide de continuer selon ses désirs. C’est donc sans étonnement qu’en 2014 A Better Tomorrow vient confirmer que le Wu-Tang Clan n’a plus lieu d’être, ou ne doit plus être. Un album qui se présente comme un suicide en règle où les 9 têtes, excepté Method Man, n’ont plus l’énergie pour sortir avec fierté de cette mascarade. On pourra pointer du doigt que les protestataires de 2007 sont à l’affiche de ce A Better Tomorrow qui, dans sa ligne musicale, est aussi creux que 8 Diagrams. Un album attendu comme une curiosité, mais non plus comme un espoir par les headz : « pourront-ils faire pire ? » est sûrement la seule interrogation à se poser avant la première écoute de cet opus. Le Wu-Tang Clan est mort de par sa propre faute, rongé de l’intérieur par la rancœur et l’autosatisfaction. RZA en est certes le principal responsable, mais chaque membre garde une part de responsabilité pour non-assistance à personne en danger. Face à ce constat, peut-on se demander comment régler le problème RZA ?

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Le problème ne date pourtant pas d’hier, il trouve sa genèse dès 1997 avec la sortie du Wu Tang Forever. Entre Enter The Wu et la sortie du second album, il va se passer 5 ans de marathon musical où RZA va adapter les sonorités du Wu aux albums solos de ses membres, et au projet Gravediggaz. Rien que sur l’année 1994, RZA va enchaîner la production de 6 Feet Deep des Gravediggaz, le Tical de Method Man et enregistrer le Return To The 36 Chambers : The Dirty Version et Only Built 4 Cuban Linx, soit une moyenne de 64 morceaux produits directement ou indirectement par RZA (en plus de son rôle d’executive producer). Il faut se remettre dans le contexte pour comprendre le travail abattu : la technologie de l’époque n’avait clairement rien à voir avec celle d’aujourd’hui, produire 64 titres en 1994 demandait bien plus de temps et d’étapes qu’aujourd’hui, un vrai rythme digne d’un abattage industriel de porcs en Bretagne.

Les années 1995 et 1996 marqueront une baisse de rythme, mais restent tout de même conséquentes entre la production de l’album de GZA et Ghostface Killah, et les sollicitations diverses du game, avec un nombre de remixes pléthorique. On arrive donc à cette fameuse année avec le tant attendu deuxième album du Clan, qui a la particularité d’être un double disque. Si aujourd’hui, il semblerait que ce deuxième essai soit considéré comme un classique, au même titre que le premier, cela n’a pas été le cas lors de sa sortie. Des disparités sur le ressenti de cet album ont été très vite mises en avant. Pour les plus sceptiques, deux reproches plutôt pertinents permettent de comprendre l’évolution de RZA.

Premièrement, un album qui a plus la saveur d’un coup marketing que d’un coup musical. A renfort de gros budgets lâchés par Loud, le label du Wu-Tang Clan de l’époque, la déferlante marketing a inondé aussi bien les rues que les pages de pub des magazines, une communication digne d’un artiste mainstream signé sur gros majeur. Cerise sur le gâteau, l’intégration dans le livret des produits dérivés nous interrogeaient déjà sur l’intégrité de la démarche.

Deuxièmement, sur le ressenti de l’album, et plus particulièrement la qualité du travail de RZA. S’il n’était pas encore aussi bas qu’actuellement, force est de constater que l’homme n’est plus sur cet album le pourfendeur du style musical du Wu-Tang Clan. Coiffé au poteau par ses propres disciples 4th Disciple et True Master, RZA passe comme un second couteau, et semble surtout blasé par son propre style. On ne peut pas à proprement parler de raté pour la partie RZA mais d’un début de lassitude, 5 ans à répéter constamment le même son use forcément, et on peut considérer aujourd’hui que le deuxième album du Clan sonne comme un prémisse à un RZA en recherche d’autre chose.

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Il y avait donc de l’eau dans le gaz. RZA, éreinté par des années de productions à bloc, et fort d’une certaine aura, va vouloir muer son style de production, orientant sa carrière solo comme un laboratoire de ses propres envies. A partir de là, l’âme musicale du style Wu-Tang Clan n’existe qu’à travers quelques tracks et projets éclairés (Afro SamouraïGhost Dog ou encore le Supreme Clientele de GFK) et la cassure au sein de sa fanbase consommée, entre les ultras de RZA qui donneront leur bénédiction aveuglément à son travail, en son nom comme sous le pseudo Bobby Digital (même devant l’invraisemblable Birth Of Prince). L’utilisation du nom Wu-Tang Clan se fissure au fur et à mesure que RZA s’enfonce dans sa bulle, pour finir par s’effondrer complètement avec A Better Tomorrow.

Tel un homicide volontaire, RZA finit par tuer sa propre création, trop sûr d’être au-dessus du lot. Mais paradoxalement, on se dit que RZA n’est pas complètement terminé. Fort d’une existence musicale de plus de 20 ans, c’est quand RZA lâche le rôle de producer pour celui d’executive producer qu’il redevient l’Iron Fist du rap.

En quelques projets lâchés en 5 ans en tant que producteur exécutif, on a retrouvé une once de l’âme du Wu Tang Clan. Le plus symbolique reste la compilation du Wu Tang : Chamber Music, surement l’album le plus marqué Wu-Tang des dix dernières années, dans lequel RZA tire les ficelles et oriente avec intelligence le groupe de soul The Revelations et Fizzy Womack (aka Lil Fame des MOP) à la production (la même équipe qui donnera la structure musicale du dernier GFK, 36 seasons). Ce même ressenti, on le retrouvera sur le OB4CL2 de Raekwon et le Twelve Reasons to Die de Ghostface Killah. Tout n’est pas encore perdu, il faudrait juste faire comprendre à RZA que sa place n’est plus derrière les manettes, mais bien derrière les nouvelles têtes qui tiennent les manettes. Atteindre une certaine sagesse en prenant de la distance et en étant assez stratégique pour que le style du Wu-Tang survive avec lui dans l’ombre.

Derrière le cas RZA et la fatalité salutaire qui en découle, il reste un espoir tenu par une poignée d’hommes, qu’ils soient du Clan ou affiliés, l’aigle continue à rayonner que ce soit dans la lumière ou l’obscurité.

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Au niveau du Clan, il y a déjà bien longtemps que l’on peut louer le sérieux des solos de Ghostface Killah, chaque livraison comme 36 Reasons redore le blason du Wu, une constance qui font de lui l’âme du groupe, ou tout au moins le pilier qui tient debout, rôle qu’il exécute à merveille devant le public : sa prestation lors des 20 ans du Wu au Zénith en est le plus beau symbole, celles des autres, insipides et méprisantes à souhait, ne font qu’entretenir une certaine rancœur à leur égard. Sans chercher le clash avec RZA, Ghostface Killah a finalement très vite entendu que son salut ne pourrait passer que par lui en cherchant constamment à se renouveler sans créer de fracture (RZA a toujours été directement ou indirectement rattaché aux projets solo du Ghost).

Longtemps perdu, Raekwon fait aussi un retour aux sources tonitruant depuis OB4CL 2. L’homme que l’on sait en froid avec RZA a bien compris que sa survie passait par la répétition continuelle d’un environnement musical façon OB4CL. Pour l’anecdote, on pourra quand même s’étonner de la capacité de Raekwon à jouer la girouette sur le cas RZA. Avec Immobilarity et The Lex Diamond Story, le Chef avait déjà essayé de s’émanciper de l’emprise de RZA, pour au final revenir vers lui afin de prendre la place d’executive producer sur son OB4CL 2, ultime chance de relancer sa carrière solo. Les hommes se retrouvent de nouveau en froid suite au 8 Diagrams amenant encore une fois Raekwon à partir sur un solo sans RZA (Wu Tang VS Shaolin), mais derrière, il se pointe pépèrement sur A Better Tomorrow repoussant même son nouveau solo Fly International Luxurious Art en 2015…

Plus étonnant, U-God, maillon faible du clan, continue depuis 2009 à livrer des albums de bonne facture, alors que des Masta Killah et Inspectah Deck s’effondrent dans une mélasse musicale à 36 lieux de leur talent. The Keynote Speaker de U-God, avec tous les défauts qu’on peut dresser sur le MC, rentre dans les albums Wu-Tang actuels à posséder. Rien d’étonnant à cela, puisque l’album est sorti sur le label Soul Temple fondé par RZAEt comme par hasard, on retrouve le gus en executive producer !

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Dernier espoir : le cas Method Man. Il faut sauver le soldat Johnny Blaze de la merde dans laquelle il s’est engouffré avec Def Jam. Englué avec ce dernier album à sortir, qui d’avance, sera aussi mauvais que ses précédents, on pourrait espérer un second souffle du MC via un statut indépendant ou une signature sur Soul Temple, car même si le niveau n’est plus celui de ses débuts, il reste le seul à avoir pris plaisir et à nous avoir fait plaisir sur le A Better Tomorrow. En dehors du trio GFK, Raekwon et Method Man, on ne voit pas trop qui pourrait venir redorer le blason au sein du clan. Et quand la question se pose concernant GZA, elle est très vite balayée par les prestations plus que médiocres de ses dernières sorties.

Au niveau des affiliates, si la liste est devenue pléthorique, et que d’arriver à suivre toutes les sorties n’est humainement pas possible, on trouve certes pas mal de projets foireux, mais aussi quelques autres qui remplissent la frustration laissée par le Clan. Dernièrement, les Black Nights sont les plus novateurs avec une touche éclectique propre influée par John Frusciante, ex-guitariste des Red Hot Chili PeppersUn style assez moderne qui en déroutera surement plus d’un, mais qui donne cette touche de fraîcheur qui manque aux compositions plus classiques. La liste est longue, et depuis plus de 10 ans ce sont bien les affiliates qui maintiennent en vie l’aigle, on se rappellera à ce titre The Holocaust, album collaboratif entre les producteurs Blue Sky Black Death et le MC Warcloud d’une noirceur sans égal. Un album souvent oublié des tops, et pourtant…

Autre album oublié, et pourtant de très bonne qualité, celui des Theodore Unit conduits par Ghostface KillahLeur 718 sorti en 2004 est un petit bijou égaré produit par de gros noms comme Marley Marl ou K-Def. On pourrait aussi citer la discographie de Killah Priest : même si elle commence à décliner depuis quelques années, Killah Priest reste l’affiliate le plus emblématique du WuVéritable plume, il est en quelque sorte le double de GZA, et s’il lui manque un Liquid Sword, il peut se targuer, lui, de toujours être resté au niveau et de nous livrer régulièrement de quoi faire.

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Niveau producteurs, l’arrivée d’Adrian Younge et du groupe soul The Revelations depuis 2009 viennent consolider une équipe de producteurs qui ont depuis longtemps pris la tangente face au grand chef (4th DiscipleBronze Nazareth ou encore Mathematics). Peu prolifique mais capable de quelques sursauts, Mathematics fait partie, quand il n’est pas poursuivi pour agression sexuelle, des producteurs ayant participé à toutes les époques du Wu. On l’a retrouvé plus ou moins en forme sur Meta-Historical, son album commun avec KRS-One. Ils sont aujourd’hui les gardiens du Temple, mais derrière eux se cachent d’autres franc-tireurs capables de pouvoir faire la différence, comme Clivaring et son album Studio I, sorti en 2007.

Derniers espoirs, les fils du clan. Sun GodYoung Justice et Young Dirty Bastard n’en sont qu’à leur prémisses, restent des talents à confirmer et à s’émanciper de l’héritage de leurs pères. Mais soyons objectif deux minutes, ce que cette nouvelle génération nous offre actuellement est très loin du niveau de leurs aînés. Il va vraiment falloir que les mioches se creusent les méninges pour pouvoir légitimer leur place de successeurs sur l’échiquier des Shaolins de Staten Island…

2014 est donc l’année de la mort du Wu-Tang Clan, une mort longue et douloureuse, mais une mort qui se doit d’être bénéfique, car sa mémoire vit désormais au travers de la constellation de personnages que composent la nébuleuse WuAu fond, toute réanimation semble cause perdue. Il y a des choix futurs qui devront être plus stratégiques que marketing, si le Wu-Tang veut continuer à vivre. La création par RZA du label Soul Temple est un vrai pas en avant, car on y retrouve une certaine touche de nostalgie, mais certains déboires viennent déjà entacher le label : manque de promo, articles commandés non reçus… Il va falloir que RZA fasse le ménage pour que le label tienne la route et puisse devenir une plateforme à projet pour les membres du Clan, mais aussi pour les affiliates. Le Wu-Tang Clan est mort, vive le Wu-Tang !

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