Clear Soul Forces

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Il y a quelques mois, nous rencontrions Clear Soul Forces, l’infatigable quatuor de Détroit dans la cale exiguë de La Péniche, patientant calmement avant un show nordique intimiste et bon enfant. Visiblement ravi de l’engouement du public français, c’est avec malice que le groupe se prête au jeu médiatique. « You got weed ? Ok, let’s start… »

ReapHit : Pouvez-vous vous présenter individuellement, nous donner quelques éléments de background et puis présenter Clear Soul Forces ? 

E-Fav : Ok, je suis E-Fav, un quart de Clear Soul Forces, je rappe des trucs, et… euh, je ne sais pas trop ce que tu veux savoir !

Ilajide : Je suis le cousin de E-Fav, on rappait séparément et il m’a présenté à L.A.Z., qui est juste là…

L.A.Z. (laconique) : What’s up?

Ilajide : A cette époque, L.A.Z. cherchait des beats et il m’a dit de lui en envoyé quelques uns ; E-Fav nous a mis en contact et une chose en amenant une autre, on s’est tous retrouvé en studio.

Noveliss : Moi c’est Noveliss, et j’ai rencontré ces trois-là, le reste du groupe, lors d’open mics, et on s’est bien entendu. Un jour, on a décidé de tout investir pour aller en studio, où on devait juste enregistrer les sons que l’on faisait chacun de notre côté. On a kické pendant des heures, l’un d’entre nous a alors suggéré de former un groupe, alors on a formé un groupe et nous voilà.

Vous êtes de Détroit, une des plus grandes villes des Etats-Unis en matière de musique. La scène hip-hop vous a nécessairement beaucoup influencé. De quelle manière ?

E-Fav : Ca te donne envie d’être créatif…

Ilajide : (Prenant une voix exagérément inquiétante) Pour te sortir de là…

E-Fav : Ca te donne envie d’être créatif parce que quand tu décides de te lancer, tu te rends compte que tu ne peux pas te confronter à des normes de très haute qualité si tu ne fais pas une proposition vraiment originale. Tu ne peux pas. Alors tu te dois d’être créatif, d’être au dessus du lot, sinon tu te fais aspirer et tu disparais. Et ça, ça te force à montrer ton envie d’y arriver, et d’apporter quelque chose de nouveau.

Beaucoup d’artistes de premièr rang viennent de Détroit et quand tu les écoutes, tu peux sentir l’envie. Et tu as entendu parler d’eux grâce à leur créativité, et l’originalité de ce qu’ils ont créé.

« Détroit est une ville largement négligée, particulièrement lorsque tu parles de hip-hop. Tout le monde connaît le sud, la côte ouest, la côte est… mais le mid-ouest reste largement oublié »
L’un des titres de Gold PP7 s’appelle Beats, Rhymes and Life. Un hommage à A Tribe Called Quest ? Pourquoi choisir ce groupe ?

Noveliss : Euh… Ce groupe est une légende !

Ilajide : Je ne crois pas que ce soit un hommage, Noveliss a utilisé ce bout de phrase pour le refrain. C’est ce qu’on est, beats, rhymes and life, c’est qu’on fait : fuck that snap pop shit (intraduisible)… on rappe quoi ! ( …) ATCQ ont fait cet album, mais nous n’y pensions pas vraiment. C’est juste ce que l’on vit, ce que l’on fait. C’est plus un état d’esprit qu’un hommage.

Est-ce que vous sentez des connections entre les différentes générations d’artistes issues de Détroit ?

E-Fav : Non, et c’est bien le problème ; et c’est la raison pour laquelle Détroit, en tant que ville américaine, en est musicalement là où elle en est aujourd’hui. Je veux dire par à que Détroit est une ville largement négligée, particulièrement lorsque tu parles de hip-hop. Tout le monde connaît le sud, la côte ouest, la côte est… mais le mid-ouest reste largement oublié alors qu’il y a beaucoup de bon hip-hop par là-bas. Cette région ne devrait pas être autant méprisée, mais elle l’est. Parce que son histoire est beaucoup plus récente que celle de la east coast ou de la west coast.

Il n’est pas rare que les artistes ne s’associent pas : tu as les anciens, les nouveaux, et tous ceux entre ces deux extrêmes, mais ils n’ont pas de rapport, il n’y a pas de liant à tout ça. Il est impossible pour un jeune artiste d’entrer en contact avec quelqu’un comme Hex Murda, qui pourrait pourtant lui ouvrir des portes ; c’est impossible, ça n’arrive jamais. Et c’est ce qui nous retient un peu, ce qui nous rend réticents, parce qu’il n’y a pas de liens entre le passé, le présent et le futur.

C’est le cas pour l’ensemble des Etats-Unis, ou bien est-ce que c’est propre à Détoit ?

E-Fav : Je ne sais pas, mais il est possible que ce soit propre à Détroit parce que certains artistes, dont le travail est reconnu ici (en Europe), n’ont pas le succès escompté chez eux (à Détroit). Ils ont donc encore ce sentiment de devoir prouver quelque chose, ils ne te diront jamais « viens, je peux t’aider » parce qu’eux-mêmes considèrent qu’ils n’ont pas encore la carrière qu’ils devraient avoir ; ils sont encore actifs, et se sentent en compétition avec la jeune génération, qui pourrait prendre leur place. Ce genre de schémas est très fréquent.

Qu’en est-il de l’ « esprit hip-hop » ?

E-Fav : Ouais… je ne sais pas. Tout ça freine la ville. Tout bien considéré, Détroit pourrait faire bien plus.

« J’ai l’impresson que les Américains pensent à Paris comme à une ville sophistiquée. Beaucoup n’y sont jamais allés et ils entendent les rappeurs parler d’une ville classe et stylée… »
Vous avez shooté le clip de « Continue » à Paris. Beaucoup d’artistes américains font ou aimeraient faire leur propre « Niggas in Paris ». Quelle est l’image de la ville aux U.S. ?

Noveliss : Je ne sais pas, j’ai l’impresson que les Américains pensent à Paris comme à une ville sophistiquée. Beaucoup n’y sont jamais allés et ils entendent les rappeurs parler d’une ville classe et stylée… en ce qui me concerne, j’adore Paris mais c’est juste une ville cool pour se décontracter. D’après ce que j’ai vu, je ne dirais pas que c’est une ville où seules les classes sociales supérieures vivent. C’est ce que pense les gens, mais c’est une ville cool.

E-Fav : Mais il faut faire gaffe aux pick-pockets ! Surveillez vos poches dans le train !

C’est votre deuxième tournée en Europe en l’espace de quelques mois. Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès international ? Vous aimez vous produire ici ?

Noveliss : Oh mec…

E-Fav : Oui, bien plus qu’aux Etats-Unis. Selon moi, les gens ici apprécient bien plus l’esprit et la culture hip hop qu’aux Etats-Unis. On ne peut qu’aimer jouer ici.

On a rencontré les Dopplegangaz cette année, et ils nous ont parlé de l’importance d’Internet et de la manière dont il bouleversait les choses, particulièrement pour les fans aux quatre coins du monde. Par exemple, une vidéo peut-être vue des millions de fois en quelques jours.

Noveliss : Internet, ça change tout. Ta musique devient accessible dans le monde entier, n’importe qui peut l’écouter, donc ça rend les choses bien plus faciles. Mais en même temps, ça les rend plus difficiles parce que le nombre d’artistes présents sur la toile est toujours plus grand. J’imagine que c’est une sorte de don et de malédiction pour les artistes.

E-Fav : Internet a un vrai pouvoir. Il ouvre des fenêtres à des gens qui ne se trouvent pas dans les zones où tu peux facilement voir les choses que se passent. Tout le monde n’a pas la chance de sortir de chez lui et de voir des B-boys ou autres. Certains sortent de chez eux, et il n’y pas de MC’s, il n’y a rien. Donc, avoir un outil avec un peu plus de portée qu’une télévision, où tu peux te permettre d’être sélectif dans ce que tu regardes, et devenir fan des trucs que tu aimes vraiment… Pour ça, Internet est vraiment utile pour les gens qui n’habitent pas les endroits pro-hip hop ou les villes qui te prédisposent à comprendre tout ça.

Que connaissez-vous du rap français ?

Noveliss : Ces deux derniers jours, on était à Orléans, et on a kické avec un producteur, et quelques rappeurs français. On ne comprend pas ce qu’ils racontent, mais ce que l’on comprend, c’est le flow, et à mon avis, les mecs en France rappent vraiment bien. Le hip-hop français est vraiment cool.

Ilajide : Absolument, il se passe des choses. On ne peut pas être sûrs, parce qu’on est là que depuis quelques jours, et ce que l’on a vu pourrait bien représenter des cas isolés, en ce sens que, pour nous, le hip-hop français se réduit à ce que l’on a vu. Mais il se passe vraiment quelque chose, les gens qui font du hip-hop ici sont vraiment passionnés.

E-Fav : Je vois vraiment l’influence américaine dans le rap français : le style, les double temps, on dirait qu’ils essaient de raviver ce qui se faisait dans les années 1990. C’est ce que les gens semblent apprécier le plus ici et c’est ce qu’ils ont envie d’entendre. Et je comprends tout à fait !

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